L’effet pop-corn
Le 29/11/2009
Je t’ai cherché à ton club de tennis, on m’a dit que tu étais au golf. J’ai parcouru les greens, on m’a dit que tu étais au club de boxe. J’ai failli me prendre un direct et on m’a dit que tu étais à la balnéo. Là tu étais presque nu, tu récitais Le corbeau et le renard dans ton jacuzzi et j’admirai ton corps d’athlète, de danseur plutôt qui t’allait bien pour tes 58 ans. Intello et sportif, bravo. Et drôle, en plus. Moi j’arborais mon plus beau maillot "plus size" et je pensais à James Bond, Pierce Brosnan qui venait d’épouser une femme enveloppée. Après tout, si même James Bond...
Tu avais des airs de 007 dans ton jacuzzi, avec ton corps de David de Michel-ange même pas retouché au Photoshop, tes épaules de footballeur américain, tes pectoraux carrés et tes abdos de champion d’aviron. Partout où tu passais dans le spa, les regards n’étaient que désir. Tu te récitais ton texte pour ton prochain colloque sur littérature et médias, vendredi à Beaubourg. Moi j’avais décidé de sécher le ping pong pour aller te voir. Ta seule présence était une thérapie. Un seul de tes textes avait le pouvoir de me rendre le sourire. J’étais passée de subdéprimée à subjuguée et je m’en portais bien mieux.
Vendredi, je suis allée à Beaubourg pour assister à ton colloque sur littérature et médias. J’avais repéré les lieux sur internet, c’était la petite salle au niveau moins 1 par l’ascenseur. J’arrivai et l’ascenseur transparent me parut louche, ce n’était pas le moment de rester coincée et je pris le grand escalier. Il était 14H, je séchais le ping pong et j’entrai dans la petite salle où le responsable du colloque avait commencé son introduction. Je m’installai sur un siège à droite et je me concentrai sur le discours.
Ca parlait d’internet, de bibliothèque, de Facebook, bref j’étais dans mon élément. Beaucoup d’étudiants dans la salle. Brillant exposé d’un philosophe sur les nouveaux médias, une bibliothécoménologie non dépourvue d’exologie, enfin je partais parfois dans le décor à cause des néologismes. Puis exposé du directeur des éditions Pier, très intéressant et ainsi de suite jusqu’à 17H.
Là je vois descendre du côté opposé de la salle, un grand brun charismatique, c’est toi : tu reconnais un ami et t’asseois à côté de lui. On nous annonce une demi-heure de pause : je commence à paniquer, je me vois mal aller te parler pendant trente minutes, je suis tellement impressionnée que je n’arriverai pas à aligner deux phrases et je vais passer pour une andouille (bretonne).
Et pendant que je réfléchis, la salle se vide et on ne voit plus que moi, je me dépêche de sortir ; je file me rafraichir aux toilettes, je m’arrose de Angel de Thierry Mugler et je fais un petit tour dans le sous sol de Beaubourg. Puis je prends mon courage à deux mains et je décide de retourner te voir. Mais la salle est fermée pour trente minutes : je fais les cent pas dans le hall. A 17H30, on rouvre les portes. Je me précipite à l’intérieur et je tombe sur toi : tu as décidé de sortir. Tu me dis : bonjour Isabelle, toujours fidèle au poste ; je sous entends que je ne suis pas toujours là quand même et tu me fais la bise et me dis que je sens bon.
Puis le colloque recommence, je retourne près de ma place initiale, en bas à droite, et toi tu prends place sur l’estrade avec les autres journalistes et chercheurs. Tu m’envoies un regard torride que j’évite, puis un deuxième que j’esquive aussi. Au troisième c’est toi qui détourne le regard. Le quatrième regard torride est partagé, ainsi que le cinquième. Quand tu n’as pas la parole, tu t’amuses à m’exciter de loin et me voilà bientôt morte de désir, le corps qui ondule sous ton regard coquin. Quand le colloque prend fin, je salue ma rivale que je n’avais pas vue, et je m’en vais timide et folle de désir.
Cette nuit là j’ai fait un cauchemar : j’ai rêvé que j’allais chez toi, et que je sonnais. Je n’avais pas compris que c’était pour jouer, du bluff, que tu n’étais pas vrai, que tu n’étais qu’un hologramme jailli comme dans la Rose pourpre du Caire, d’un écran de télévision. Je jouais les Madame Bovary du 21ème siècle et j’étais là en bas de chez toi, je sonnais. Toi tu étais en peignoir, tu me répondis de monter, tu me fis la bise comme d’habitude puis tu appelas les urgences psychiatriques et tu déclaras qu’une psychotique te harcelais. Je n’avais pas compris que c’était faux, que c’était les médias, que tu devais séduire à tout prix. La guerre du faux de Umberto Eco , c’était ton livre de chevet. Les hommes en blanc arrivèrent et tu ne me fis pas la bise comme d’habitude, tu ne me dis pas que je sentais bon, tu m’envoyas vers la porte froide de L’HP pour harcellement, pour érotomanie. Et moi je ne compris pas que tout était faux et je continuais à t’aimer comme si tout cela était pour mon bien.
Puis je me réveillais et je me dis qu’en réalité tu avais beaucoup d’affection pour moi, je ne connaissais pas d’être plus chaleureux, plus solaire ; j’adorais tes émissions littéraires à la radio, à la télévision et désormais sur le net. La légende disait que quand tu regardais du maïs, ça faisait du pop corn : moi, j’étais en transe. Mon grand fantasme c’était que tu me lises La cantatrice chauve de Ionesco, toi le spécialiste de théâtre à la voix si chaude, car c’est ma pièce préférée ; j’allais sonner chez toi à 17H, j’avais gagné un concours de nouvelles érotiques dont une copine m’avait parlé et tu avais accepté de réaliser mon désir, tu me pris dans tes bras musclés, j’en profitais pour effleurer ton corps de rêve, tu me fis la bise (bien que troublée, je reconnus immédiatement ton parfum Bel ami, un parfum de lettré) Tu fis ton plus beau sourire, qui n’avait rien à envier à celui de Gérard Philipe au photographe et tu commenças à me lire la pièce de Ionesco à moi et aux responsables du concours, et je fus emportée par un rire absurde et sensuel qui m’habite toujours et dont l’esprit perdurera en moi à jamais...
[gris]Ororéa
[/gris]
Commentaires (22)
J’ai vu votre message sur le forum de "Sans entraves". Surtout, arrangez-vous pour répondre à l’invitation d’ASI à l’occasion de son déménagement. Votre beau brun parfumé au Bel ami y sera, m’a-t-il confié.
Huuum, zet sûr ? Poisson de décembre ? Ils prennent des spectateurs pour l’émission d’asi spécial déménagement ? Parce que moi je suis beaucoup trop timide pour causer devant une caméra dans les conditions du direct...
Aimé autant ici que sur SE ! :)))
ici, j’ai fait plus long !
Texte vivant et très sympa, bravo ! ;-)
...
vous faites lui faites faire le pop corn ... et moi, encore tout retourné avec des petites taches de cramé sur l’dessus, je fais la crêpe. Bise
P.O.
Votre textologie n’est pas dépouvue de sensualo-poétisme.
J’aime beaucoup ! Merci pour ce texte !
je réfute toutes relations avec cette personne et jure que je ne l’ai jamais vu.
bonjour
j’ai trouvé l’idée excellente, le thème de l’érotomanie, la réaction du bellâtre
il y a des passages rapides, nerveux, qui donnent tout leur piquant à la nouvelle, et d’autres qui ralentissent et ennuient un peu : le descriptif de vos faits et gestes : trop linéaire, un chemin qui manque d’émotions, de vos émotions, de surprise.. un peu trop interieur, je dirais...il manque un regard extérieur, des éléments externes,qui pourraient donner de l’élan.
l’usage du passé simple m’a déroutée
si je l’avais écrite, je la remanierais, parce qu’il y a des perles, et vous pouvez en faire un chef d’oeuvre
je garde après une troisième lecture le goût d’une belle promesse
C’est pas un bellâtre : c’est un homme intelligent, érudit, beau et modeste !
J’aime beaucoup vos aventures poétiques avec le bellâtre (héhé) intelligent, érudit et modeste en général et celle-ci, en particulier ;)
Balnéo...jacuzzi...le spa... enfiler mon maillot...secher le ping pong...secher le ping pong (encore !)...rafraichir au toilettes...je m’arrose de "Angel"...un (plusieurs !) regard torride...tu étais en peignoir...
"Comment trouvez vous mon texte" demanda-t-elle ?
eeeeuuuuuh.............
"Humide",lui répondis-je !
:p
Juber
J’ai aimé ce texte.. il coule un peu comme un ruisseau, évoque, serpente vers le désir à travers les vallons des sensations. Le début est assez froid, mais dès les premières lignes le rythme s’installe, et on se met alors à ressentir l’émoi de la narratrice qui monte crescendo.. les mots sont choisis, rythmés, et comme ce que j’attends de l’ecriture c’est justement celà, ce partage de sensations, de ressenti, forcément, j’aime ce texte d’Isabelle.
Xavier’
Bonjour,
Ce texte est très sympa. J’aurais par contre préféré un présent au passé simple utilisé pour la derniere partie.
A suivre
superbe ! où sont les étoiles ?
Hmmm très chouette texte.
J’apprécie beaucoup.
Dans mes yeux, dès que je LE vois ! Non, tout en haut, si tu aimes, faut pas te priver de mettre une évaluation (de une à cinq étoiles) à coté du nombre de réactions...
Les étoiles sont dans les yeux du lecteur, voyons.
Entre désir inassouvi et rêve éveillé ; pareils à une frontière impalpable du réel où s’argumente un texte monotonique, glissant sur us et coutumes rudimentaires de la vie moderne qu’entravent le récit dans la réalité, dont sont dépourvus certains et que le désir ne devient plus qu’un onirisme avoué et désavoué, une balance rythmique.
Un regard désenchanté dans lequel brille l’espoir.
BRAVO !
A mi chemin entre les délires fantasmés, et l’ode aux plaisirs solitaires.
Et comme disait ma dernière petite copine, alias Foufoune-en-feu :
"J’me suis bien éclatée l’ pop-corn" !
J’vais vite aller acheter du maïs et le regarder !!!!!!!!!!! Bravo, un très bon moment de lecture.