La caresse du pinceau
Le 21/12/2009
À force de le croiser au hasard des carrefours urbains, j’avais fini par le reconnaitre aussi de dos. Toujours la même veste en velours, chevauchant son vieux vélo de course. Nos regards ne manquaient jamais de se croiser, attirés l’un vers l’autre comme par magnétisme même dans la plus dense des foules. Je ne savais rien de lui, à part son goût pour les boutiques d’art dans lesquelles je le voyais parfois entrer. Lui, par contre, devait savoir où j’habitais pour l’avoir croisé à la sortie de ma maison. Je m’étais alors arrêtée brusquement, comme pour mieux planter mon regard dans le sien. Ses yeux verts rehaussés de sourcils noirs me transcendaient un peu plus à chaque fois. Fascinée, j’étais pourtant toujours la première à interrompre ce contact visuel, par pudeur surement, ou pour mieux cacher mon jeu. Car, même si je voulais lui montrer ostensiblement qu’il me plaisait, je ne souhaitais pas qu’il devine à quel point… Après tout, ce n’était qu’un inconnu que le destin mettait sur ma route de temps à autre, rien de plus.
Puis un jour, j’ai trouvé dans ma boite aux lettres une invitation anonyme pour un vernissage. Je l’avais laissée trainer sur une pile puis oubliée, jusqu’au moment où je me suis décidée à faire du rangement. Je suis retombée dessus. C’était le jour même du vernissage, à deux pas de chez moi. Je me suis retrouvée dans une petite salle plutôt sombre dans laquelle se bousculaient les visiteurs. En m’approchant, je découvris que les murs étaient recouverts de tableaux de femmes nues dans des postures plus ou moins lubriques. D’épaisses couches de peinture à l’huile leur sculptaient le corps qui s’articulait sur fond noir, tantôt une croupe généreuse semblant vouloir crever la toile, tantôt des mains soutenant une lourde poitrine, ou encore un chat venant lécher l’entrejambe d’une madame écartelée.
Elles te plaisent ?
J’eus un choc en me retournant. C’était Lui. Lui, l’inconnu qui disparait dans un coin de trottoir, qui apparait sorti de nulle part, qui surgit comme une évidence à mon regard. Lui, l’inconnu que je n’avais pas vu depuis deux mois, et que j’avais presque oublié. J’étais transie. Le corps bouleversé par sa présence si proche et si imprévue. Il était là devant moi, bien vivant. Mes sens me prouvaient que ce fantasme était aussi fait de chair, d’odeurs et de mots... Un sourire heurta ses lèvres. Je parvins tout juste à bredouiller :
Oui, beaucoup. C’est très… sensuel. Tu connais le peintre ?
Le peintre, c’est moi.
D’un pas ferme, il me dirigea vers une toile plus ou moins cachée par rapport aux autres.
Et celle-ci, tu l’aimes ?
Je me sentis rougir dans le noir, surprise de retrouver mes émois d’adolescente. Le coït des deux amants était savamment dissimulé dans un flou artistique qui laisse supposer un plaisir intense. La femme plantait ses ongles dans le dos de son partenaire, les jambes écartées, la vulve écarlate. Je l’aurais presque entendue hurler.
Je n’utilise que des modèles vivants, précisa-t-il.
Pour la première fois, nous nous regardions avec une vraie raison de le faire. Cet homme m’impressionnait, me fascinait, m’attirait terriblement. J’eus une subite envie de l’embrasser, mordre ses lèvres et l’entendre gémir. Mais je restais immobile, comme anesthésiée par sa présence improbable, incapable d’ordonner le moindre geste à mes membres. Il me sourit de nouveau malicieusement sans cligner des yeux. Je me sentais déborder de désir et d’appréhension, ca devait crever les yeux.
Je me suis toujours demandée quelles pouvaient être ces femmes qui posent nues pour les peintres.
Ce pourrait être toi, par exemple…
Là-dessus, il tira une carte de visite de la poche arrière de son pantalon et me la glissa dans le décolleté, entre mon sein et mon soutien-gorge. Puis il s’excusa, m’adressa un dernier regard insistant et disparu au milieu des convives.
Il ne me laissait pas le choix. Allais-je accepter ? Je ne me posais même pas la question. Il m’avait élue moi, femme parmi les femmes, pour être sa muse. Une inspiration sexuelle au service de l’art… L’idée m’en faisait frissonner d’excitation. Quelques jours plus tard, je composais son numéro, un rendez-vous fut pris dans son antre. Il m’accueillit dans son plus simple appareil, sa nudité à demi dissimulée sous un pagne taché d’acrylique. De son corps émanait une odeur chaude de musc et de poivre. Sans mot dire, il me conduisit dans son atelier. Un grand appartement que des volets privaient de la lumière du jour. Ça sentait fort la peinture. Des toiles parfois inachevées se partageaient l’espace dans un désordre confus. Il m’invita à me dévêtir complètement. Comme si je ne m’exécutais pas assez vite, il me rejoignit pour délacer mes chaussures et dégrafer mon soutien-gorge. Une fois mes frusques tombées à terre, un frisson me traversa l’échine. Ses mains chaudes m’enserrèrent les épaules. Il s’inquiéta de la température de la pièce, ajoutant qu’il avait toujours l’habitude de travailler dans un 18°, pour les produits chimiques. En réalité, toutes ces émotions qui montaient en moi me faisaient ressentir une chaleur torride.
Je m’installai dans un canapé en cuir en me demandant combien de femmes avaient déjà posé là leur cul. Je sentis son regard me dévisager pour savoir dans quelle position me mettre, articuler mes membres dans son imagination comme un mannequin de cire, un modèle de femme pour sa peinture … Instrument utile et rien d’autre ? La bosse que je voyais se former sous le tissu qui recouvrait ses hanches me prouvait le contraire. Pourtant, il décida de se concentrer sur ses pinceaux, et bientôt je ne vis plus rien de son excitation naissante. Mais moi, ça m’avait émoustillée et je sentais que je commençais à mouiller sur le cuir froid du divan. Contrainte à l’immobilité, je me forçais à rester de marbre, le fixant d’un œil le plus indifférent possible. Je voyais son pinceau effleurer la toile délicatement, comme une caresse, un murmure, un souffle tiède et suave. Ses yeux se posaient sur moi, avalaient mes formes et les réinventaient. J’étais sienne, il faisait de moi ce qu’il voulait, transformée au gré de ses désirs artistiques. Il me dominait par ce simple pinceau qu’il tenait entre les doigts, symbole phallique par excellence.
Il avait l’air serein et concentré. Le silence n’était brouillé que par le bruit de sa respiration accompagnant les poils de martre frottant la toile dans un chuchotement rond et moelleux. Chaque trace de peinture était une caresse sur ma peau s’accomplissant dans un frisson de volupté. Je le vis embrasser mes seins du regard et flatter leur rondeur de sa main experte. J’étais cette toile blanche qui me voyais naître, chaude et sensuelle, confondant réalisme et désir. Il m’ordonna alors :
Masturbe-toi. Bouge. Vis.
Ma tête se mit à tourner. Je n’avais jamais fait cela devant quiconque. Peut-être parce que c’est un plaisir trop égoïste pour être partagé, peut-être par pudeur. Par gêne : l’homme peut-il supporter de voir à quel point on peut se donner du plaisir sans lui ? Mais là, encore une fois, je n’avais pas le choix. C’était un ordre. Donc pas de honte à avoir. J’ai glissé ma main lentement entre mes jambes.
Le plaisir, d’abord timide et dilué dans ma peur, fini par monter et s’imposer avec de plus en plus d’ampleur. D’un œil inquisiteur, il s’usait la vue, hypnotisé, sur ce secret dévoilé. Peu à peu, je m’abandonnais à mon acte sans nul autre questionnement. Je le fixais droit dans les yeux comme je l’avais toujours fait, et son regard m’injectait à chaque seconde un peu plus d’excitation. Mes doigts étaient comme dirigés par lui, dansant sur mon clitoris en vagues parfaites. Je décollais vite. Mais j’avais beau avoir le sexe grand ouvert, les lèvres affamées et le clitoris prêt à exploser, je n’arrivais pas à jouir. Mes doigts s’activaient dans tous les sens, pressant, pinçant, pénétrant, massant et glissant le long de ma chatte surexcitée, l’orgasme semblait bel et bien inatteignable. Pendant ce temps, mon peintre finissait son tableau dans une sorte d’urgence, immortalisant la lubricité qui m’animait entre des couleurs et des formes mouvantes, ne se souciant pas de sa queue qui pointait droit vers moi. Il fallait qu’il finisse son œuvre. J’étais là pour ça. Je valsais entre l’envie d’interrompre son travail pour le supplier de me baiser, et celle de continuer à me caresser solitairement en attendant qu’il daigne s’occuper de moi. Je ne pouvais pas imaginer qu’il me laisse ainsi sur le feu sans céder à son propre désir de sexe.
J’ai fini, m’a-t-il dit, d’une voix à peine audible.
Une angoisse me crispa. Il ne fallait pas que je laisse cette ivresse inachevée. N’en pouvant plus, je me suis alors retournée, à quatre pattes accoudée au divan, offrant à sa vue le vide implorant de mon sexe trempé. J’ai senti ses mains saisir mes fesses, les palper et finir par se loger contre mon antre diluvienne. Il me faisait languir, et il aimait ça, me voir lui tendre mon cul et écouter mes gémissements.
Tu croyais tout de même pas que j’allais te laisser partir comme ça !
Là dessus, son sexe me transperça vigoureusement et je ne pus m’empêcher de lâcher un râle de plaisir lorsqu’il atteignit le fond de mon vagin. Enfin ! Que c’était bon ! Son membre énorme, dur et chaud me pénétrait puissamment par des allées et venues lentes, et de plus en plus rapides. Son index était posé au sommet de mon clitoris, l’effleurant d’abord, l’écrasant ensuite sous l’effet de mes soupirs accélérés. Ca venait, ma jouissance n’était plus très loin… C’est alors qu’il introduisit, doucement, un doigt dans mes fesses. Il me remplissait de partout, comblait tous mes trous, avait touché à ma plus profonde intimité, mon plaisir vaginal en fut décuplé… Une intense détonation mit en apothéose mon plaisir qui s’explosa dans mon ventre et retentit dans tout mon corps. J’hurlai de plaisir. Quelques secondes plus tard, ce fut son tour de me lâcher son nectar au plus profond de moi, en m’assignant sauvagement ses derniers coups de rein. Nous nous écroulâmes par terre, satisfaits et heureux, nos peaux moites l’une contre l’autre.
Ce fut le début d’une longue série de tableaux intitulée ‘M’…
[gris]Mangelmy[/gris]
Commentaires (1)
oFX2wz Cool ! That’s a ceelvr way of looking at it !