Viande froide
Le 22/12/2009
Il est déjà un peu tard pour faire les courses mais je ne peux plus voir ce frigo déserté de tout aliment périssable, subsistent depuis plus de 48h les confitures de ma grand-mère et les pots de moutarde aromatisés.
Je ne suis pas du genre à me laisser déborder par la vie moderne et le travail, je revendique un droit à la cuisine du marché.
« From scratches » disent les américains, carottes, courgettes, viandes armées de leurs os, sont mon lot d’aliments à écorcher et cuire.
21h43. Au pas de course, je remplis mon caddie. Happée par mes recettes enthousiastes, je jette les ingrédients dans le chariot : morue au chorizo, gâteau de carottes, soupe au lait de coco… je redouble de concentration rayon shampooing.
Au loin, j’entends le bruit des caisses, des appels du parking mais aussi ceux de la fermeture proche des portes du magasin. Comme au boulot, je brave les horaires. Grande gueule, ils viendront me chercher, je répondrai avec dédain à l’employé du supermarché !
Je vois s’éteindre les néons, les uns après les autres, je presse le pas vers la sortie « tant pis pour les shampooings aux orties ! ». Quand j’arrive aux caisses, le rideau est baissé et les caissières envolées, l’éclairage des issues de secours et de certains frigos à viande et à yoghourt veillent sur moi.
Seule, dans le noir ou quasi, je crie comme une folle. Personne. Rien. Même pas un écho.
« Enfoirés ! »
Rien n’y fait.
Abandonnée de tous, blackberry livré à lui-même sur le siège de la bagnole, je commence à rire, bêtement, nerveusement. Je réalise soudain que c’est une opportunité dingue pour voler des choses moi qui n’ai jamais fait ça. Je pars donc à la recherche d’un butin.
En route, je décide de dîner, rayon laitier. Cottage cheese, mangé à l’aide de deux doigts joints. Compote de pomme, avec les deux même doigts, je mélange et me dirige vers les spiritueux et l’étalage de la semaine : le rayon Italie. Je jette mon dévolu sur une bouteille de Bellini toute orange. un regain chauvin et j’accélère la descente du Bellini pour foncer sur le champagne. Je suis ivre, je ris chaque minute de ma condition exceptionnelle et surréaliste. Au bout de quelques heures de bulles, de bouffe et de gloussements, je m’effondre au milieu des rouleaux de sopalin.
C’est un étudiant, sorti de son lit à 4h du matin, embauché par la grande surface pour refaire les rayons, qui me sort de mon sommeil d’ivrogne. J’ouvre les yeux, il me regarde effaré. Je sens qu’il va poser des questions, j’ai l’impression d’avoir 200 ans au milieu des rouleaux de papier, la bouche pâteuse. J’entreprends un sourire excessif, il ne dit toujours rien et se penche un peu. Presque assise, je tends le bras jusqu’au haut de sa cuisse comme pour attraper sa poche de jeans. A ma surprise, il ne dit toujours rien, d’où je suis, on dirait même qu’il sourit...
Je commence à rire à nouveau, je tire sur la poche du jeans, son bassin se laisse bousculer avec malice. Il ne dit toujours rien mais passe sa main près de mon oreille. Je comprends l’encouragement, je décide de me laver la bouche.
Alors que seule, toute la nuit, j’ai gardé mes vêtements, c’est au petit matin que je commence à me laisser débrailler !
Mes doigts glissent de la poche aux boutons en un claquement de dents quand il pose sa main sur ma nuque. Me conduisant vers un brouillard de poils, derrière le rideau d’un boxer en coton bon marché et grisouille, je sens cette odeur des chairs tendres des jeunes hommes. Comme si leur peau entière pouvait sécréter une aigreur légère et chaude : une version très subtile de foutre adorable, annonce certaine des saccades et tressaillements à venir. Après quelques coups de langue, tour à tour enfoncé de tout son long ou manipulé avec quelques torsions très précises, le garçon plie et rend les armes au bout de quelques secondes. Il se met à entonner des petits bruits ridicules comme pour justifier… la débandade.
Fâchée, je me redresse. Je ne le regarde pas et tourne les talons bien décidée à trouver un autre étudiant entre le rayon des pâtisseries en kit et les Tupperware !!! Le garçon sopalin s’est lancé à ma poursuite. Je crois qu’il voudrait remettre ça. En même temps, je le comprends… il est malin pour son âge.
Je continue droit devant, une idée en tête, je m’arrête et j’esquisse à nouveau un sourire : le boucher. Il en est à taper sur la viande et les crochets viennent de recevoir les carcasses du jour.
Pas besoin de dire quoi que ce soit au boucher, je suis débraillée, je le regarde en coin. Le garçon sopalin se tient 10 mètres derrière, le cœur brisé de comprendre déjà que ce sont des mains meurtrières dont j’ai besoin ! Le boucher n’est pas encore tâché, pas de sang visible, mais son corps est aussi froid que les carcasses.
J’approche du billot, je grimpe sans y être invitée.
Le boucher se baisse, ses doigts glacés ne fouillent pas, ils écartent mes lèvres. Il les anesthésie. Il plonge sa langue chaude. Il s’en sert comme d’une queue, pas comme d’une langue. Je pense à ça. Par la vitre, le garçon sopalin est toujours là. Impassible. Je lui souris par réflexe et puis je me le reproche, ce n’est peut-être pas charitable. Plongée dans mes pensées, le boucher trempe encore et encore sa langue. Sans prévenir, c’est sa queue qu’il plante. Elle est froide aussi. J’ai l’impression d’être ouverte en deux.
Je l’enserre entre mes cuisses, jetée sur le billot, il appuie, force et s’enfonce jusqu’à m’arracher des cris puis me faire jouir mathématiquement. Il me fait descendre du billot et me pose par terre, à califourchon sur les barres métalliques qui encerclent les frigos et qui permettent aux vieilles dames d’accéder aux rayonnages les plus hauts.
Ecartée et trempée, il me pose sur cette barre gelée. Ses mains sur mes épaules, il me pousse et me branle sur cette barre. Je sens que je suis sur le point de jouir. Je le regarde en l’implorant, je n’ai pas envie de jouir à genoux sur le carrelage… Il cramponne ses mains sur mes épaules et continue à son balancement régulier et puissant. Mes mains tiennent la barre, cambrée je tente de me redresser pour défier le boucher. Mais rien n’y fait. Il me remet en position.
Je sens soudain un gland qui appuie sur mon cul, je supplie le boucher. Il rit grassement et m’enfonce d’un trait sur la queue du garçon sopalin venu chercher ici sa vengeance. Avant que le garçon sopalin n’aie fini, le boucher éructe un tas d’insultes mêlées à l’ordre de retourner à ses rayons ménagers. Il s’exécute illico.
Je regarde le boucher qui me sourit. A terre, ma bouche le cherche instinctivement et le prend.
Il jouit sans secousse.
[gris] Lila Pastrami[/gris]
Commentaires (2)
Un peu salingue, juste comme on aime.
D’accord avec Claire ! les fleurettes ça ne m’excite pas, les mains de mon boucher, si !