JOUIR
Le 12/04/2009
Il imagine qu’à force de la caresser en pensée, muscles et tendons, des pieds à la tête – il la connaît par cœur – il va réveiller son désir, que le désir va la réveiller. Elle dit que non, jamais. Pour elle, c’est plus tactile. Sa peau qui, au début, lui paraissait étrangère, hors d’elle, loin d’elle, lui est désormais familière. Son élasticité est la sienne ; ses longues jambes surplombées d’un fessier rebondi, son torse comme un patron de tailleur, les poils qui le garnissent au sternum et au pubis, les ongles épais des orteils, à la surface un peu crantée ; tout cela lui est familier comme une extension de sa peau. Pointe alors une impression d’onanisme ou d’inceste. Ce n’est plus lui, l’étranger, il lui ressemble trop. Mais grâce à ça, ils peuvent dorénavant s’endormir collés, sans heurts ni dérangement.
Jambes et souffles mêlés. Variété des sons : respiration précipitée, ahanement après effort, soupirs qui s’éternisent, saccades du souffle déclenchées par la surprise.
De sa bouche, dans l’entrejambe, il goûte la jouissance. Il s’amuse à la prolonger. Il aime aussi la ligoter. Elle appréhende avec délice d’être ficelée comme un rôti. Cette cuisine où le désir mijote à feu doux pendant les préparations, où les sucs se libèrent dans l’acuité de ce qui viendra. Nawashibari, seul mot japonais qu’elle connaît, elle le tient de lui. Jamais violemment, avec fermeté toutefois, il l’attache. Les liens découpent le corps, menottent les cuisses, souvent les mains. Le buste est traversé par la corde à la manière d’un vitrail. Il découvre de nouvelles rondeurs, une forme de seins inédite, poires pressées. Il la tient serrée. Il la cabre en tirant ici ou là. Le sexe en deux moitiés de fruit. La corde l’irrite, il l’a fait coulisser. Parfois, il l’écarte pour la lécher. Une courbe de niveaux est une ligne qui relie tous les points de même élévation sur une carte géographique. Dans l’amour, les reliefs des genoux rejoignent les tétons, la pointe du menton. L’attachement : mot dont les deux sens se confondent.
Le sexe aussi, il aime qu’il soit fendu par le slip tiré, la corde ou l’appui du manche de la cravache. Le bout s’appelle la claquette. De fait, oui. Parfois elle claque la fente ou ses abords. Parfois, non. Elle s’insinue, délimite le contour de là où il faudra qu’ensuite le sexe frappe, s’accole, presse de haut en bas.
Un jour, il achète une cravache, une vraie, chevaline et vêtue de cuir, instrument qui mêle les vertus de la baguette et du fouet. Elle aima cela. Elle aime le contact de la tige rigide contre ses flancs comme la baleine d’un corset imaginaire, elle aime la pression sur son entrejambe comme à califourchon sur une fine balustrade. Les petits coups donnés sur ses cuisses relevées. Les petites claques sèches, appliquées avec rigueur et tendresse sur son pubis. Elle serre la claquette entre ses dents comme une chienne qui joue et ne veut pas lâcher.
Il la pénètre encore et encore, s’arrête, recommence, la suce, la pénètre. Il titille son bouton, le happe, tire de ses dents les poils du pubis. Il lui faut s’arrêter. Stop, elle n’en peut plus. La chaleur, le trait de chaleur, remonte jusqu’au coccyx. Lestée par l’entrejambe comme une pierre au fond des puits, elle demeure collée au creux du lit. Dès qu’elle bouge une jambe, reviennent les tremblements d’après l’amour. Le corps est déséquilibré. Son centre de gravité a été déplacé. Il faut attendre un quart d’heure pour que la tétanie se dissipe. Elle reste donc, immobile. Elle aime la quasi-rigidité de la posture et l’humidité ressentie. Etre poisseuse, arrosée : ainsi se sent-elle vivre. Elle pousse, s’épanouit à la manière d’une fleur qui s’ouvre. Plus tard une secousse la saisit, les pointes du plaisir, les mouvements qu’elle n’a pu libérer avant quand elle était tenue trop serrée, ces gestes de rejet réprimés pendant le coït. Quand c’était trop, qu’elle acceptait encore et encore, lors même qu’elle souhaitait échapper à l’emprise de son désir pour donner libre cours au sien. Là, juste une main qu’il pose sur son ventre, elle ne peut quelquefois la tolérer. Plus de contacts, aucun, rien. Ça l’ébouillante. La zone érogène s’est étendue à tout son épiderme. Ce qui la rend éruptive, volcanique. Sa langue râpe le palais, la mâchoire est ankylosée. Plus le bas mouille, plus le haut se dessèche. Mécanique des fluides.
Ce qui l’excite lui, c’est explorer sa jouissance à elle, travailler chaque parcelle de sa peau. Parfois il la sent, il la hume, le nez collé contre sa chatte, par petites inspirations successives, puis s’arrête, puis reprend, insinuant un peu plus son nez dans la fente, et c’est tout à fait enivrant, cette odeur de sueur, de sécrétions et de sperme séché. Quelquefois il ne sent rien et il se dit qu’elle devrait se laver moins souvent. Cette ligne qui rejoint le vagin à la gorge, et cette autre qui monte de l’anus, où il pose parfois sa langue, jusqu’à la base de son crâne, il les sent qui s’animent. Et puis l’absolu synchronisme entre le passage de son doigt à lui sur le mince espace qui sépare ses lèvres de la jointure de ses cuisses et la cadence de son souffle à elle. Le plaisir monte, elle gémit, il s’interrompt, ne la touche plus, reprend, ailleurs, puis ailleurs encore, la retourne, change la position, l’écartèle, la pénètre, imprime à sa croupe un trot enlevé, rétrograde au pas, accélère à nouveau. Quelquefois, il voudrait la pénétrer plus avant, toujours plus avant, c’est alors que vient sa propre jouissance. Il cherche sa bouche, aspire son souffle entre ses lèvres. Peut-être à cet instant, ne faire qu’un. Toujours retarder le moment, ne pas lui soustraire un instant de jouissance. Elle peut encore, encore un peu, encore un fois, et puis non, elle ne peut plus, trop de plaisir, trop de douleur, il ne sait pas, elle s’écarte, elle s’absente un moment, elle pleure parfois, il se dit qu’il y est allé trop loin cette fois. Mais non, un peu plus tard, quand son désir à lui revient, elle l’attend déjà, encore détrempée.
La sensorialité appelle la sensualité. L’érotisme de la voix L’érotisme des odeurs. L’érotisme des postures. L’érotisme des peaux. L’érotisme du, de, des…
Elle est sa petite salope adorée. Il veut qu’elle jouisse tout le temps. Il l’impose d’autorité, il l’impose jambes très écartées ou très relevées. De sorte à disposer de tout. Là, il la fesse un peu, introduit un ou deux doigts, appose sa bouche, caresse l’ouverture de son sexe, la fesse encore. Sur cette partition, il multiplie accords et arrangements. En kinyarwanda « tumukundé » signifie celle qu’on ne peut pas ne pas aimer. Ainsi se sent-elle dans ses bras. De la main, il plaque sa joue contre l’oreiller ou lui lève le menton pendant qu’il l’enfile. Lui, n’éjacule pas toujours. Ce qu’il aime par-dessus tout, c’est la sentir à bout, se demander, cette fois encore, qu’elles seront ses limites. Par curiosité, par goût du suspens, par acharnement aussi. Quand il suffit à l’homme d’activer n’importe quel point, de caresser l’aine ou l’intérieur de la cuisse, avec un tempo proche du va-et-vient, pour que la jouissance se répète encore. Après il lui arrive de se sentir violée par son propre plaisir, violée du fait de l’avoir obligée à s’y être asservie à l’extrême. Elle le repousse alors durement, à coté d’elle. De lui, elle ne supporte plus rien. Pas même un geste de tendresse, elle craint qu’il ne veuille poursuivre. C’est intolérable et sadique. Sadique et intolérable. Plus bas, c’est la dévastation. Elle ne ressent aucun contour. La brûlure la cuit de l’intérieur. Après quelques minutes, elle ne lui en veut plus. Pour autant, toucher encore, ce n’est pas possible. Même la hanche du bout des doigts par confort du bras du bras de l’homme ou camaraderie manifestée par le pianotement de la main ; ni là ni ailleurs : en haut des cuisses, au bas du dos. Le moindre effleurement provoque une réaction de refus, une réanimation de la chaleur diffuse. Il le sait. Il l’accepte.
Se lever. Voilà que ça dégoutte sur le parquet du salon, le carrelage de la cuisine. Il fait frais. Un verre de jus d’orange, parfois une cigarette. Elle se recouche. C’est sa fierté, l’amour, leur chef-d’œuvre. « Personne n’a jamais fait l’amour comme ça », il dit. Elle est d’accord même si elle ne sait pas s’il parle d’elle, de chacun d’eux avec les autres d’avant, maîtresses et amants, ou de toute l’humanité. Qu’il s’agisse de leur chef d’œuvre, le fait est entendu. Elle ne voit pas ce qu’on pourrait faire de mieux, de plus généreux. Franz Kafka à Félice Bauer : « Je ne peux pas croire que, dans aucun conte merveilleux, personne n’ait jamais et plus désespérément lutté pour une femme que moi pour toi. Et cela depuis le début et sans cesse de nouveau et peut-être pour toujours. » Elle a soif, elle a faim, il faut aller voir la chatte. Elle miaule. Qu’a-t-elle ? Il se lève, il fait son métier d’homme, lui faire croire qu’elle est une princesse. Il revient, il fait son métier d’homme, lui faire croire qu’elle est son esclave. Là, elle est très chatte, très chienne. Elle murmure : « oui, oui ». Elle soupire : « non, non. » Les deux les excitent. En fait, non. Elle n’en sait rien. Une fois, lors d’un répit et sous l’effet d’un joint, elle lui a dit : « prostitue-moi ! », « prostitue-moi ! » Ce n’est pas ce qu’elle veut. Mais elle comprend enfin Histoire d’O, ce plaisir à se soumettre. Parce qu’elle en est convaincue, il la juge hautement désirable. Son pouvoir s’augmente et, avec lui, la manière de le transmettre. Ce qui fait qu’à la fin, elle est gonflée de la virilité et la vanité de plusieurs hommes. Elle tire elle-même de l’orgueil. Son endurance vient d’elle. Quelle meneuse d’hommes ! Waouh !
M.S.