Le merkin ou la mode capillaire autour du slip
Le 04/12/2025
Parfois, notre capacité à épuiser tous les systèmes est aussi fascinante que touchante. Épuisées par l’abondance de poils défendue par les hippies dans les années 70 — cette époque où l’on croyait révolutionnaire de laisser vivre ses aisselles avec l’assurance d’un Spartacus libérant ses esclaves — les femmes n’ont cessé de recourir à des solutions pour se rapprocher du modèle (pourtant honni) de l’actrice porno : intégralement épilée, luisante, et cadrée pour que chaque détail de la vulve soit accessible au spectateur en « mâle » d’excitation. Étrange revanche du panoptique foucaldien appliqué aux muqueuses...
Animées d’un sens du paradoxe affuté, les femmes ont passé des décennies à chasser le poil. Sans s’offusquer d’arborer, à l’âge adulte, une chatte à l’apparence pré-pubère. Et dans un admirable mouvement d’entropie culturelle, nous revenons au poil… sous la forme du postiche. L’exemple récent et marquant reste l’affaire des strings poilus de Kim Kardashian, preuve vivante que la dialectique hégélienne peut s’appliquer aux sous-vêtements. Sa marque, Skims, a lancé un string micro, en faux poils, proposant ainsi aux amatrices des pubis artificiels. Les 20 000 pièces se sont vendues en quelques heures — montrant qu’entre le fétichisme et la consommation de masse, il n’y a parfois que la largeur d’un fil synthétique.
Le retour du poil dans la mode n’a pourtant pas attendu Kim : Galliano l’avait déjà remis en scène pour Margiela en 2023, équipant les mannequins de merkins sous des robes transparentes, comme un pied-de-nez luxuriant au règne des plastiques trop hygiénistes. Le très inventif Duran Lantink a lui couvert ses bustes en silicone de toisons féminines pour les hommes et masculines pour les femmes dès 2024, et récidivé en 2025 pour Jean-Paul Gaultier avec, entre autres, un slip masculin bien velu (voir photo).
Le merkin, pourtant, n’a rien d’une tendance TikTok : il est vieux comme le monde — ou presque. Apparu en Europe vers 1400, il fut utilisé jusqu’au XVIIIe siècle comme remède contre les poux et la syphilis. On rasait, on posait un postiche, et l’on considérait le problème réglé (ou dissimulé, ce qui revient souvent au même dans l’histoire des mœurs). Les femmes aisées en portaient aussi comme accessoires, au même titre qu’un bijou : preuve que l’esthétique a toujours été une affaire de mise en scène, même quand elle concerne la zone la moins exposée à la lumière du jour.
Plus tôt encore, en Égypte, les femmes du harem de Ramsès III étaient épilées sous les aisselles, et l’épilation du pubis servait à la fois de protection contre les morpions et de marqueur social. Déjà, une lutte entre hygiène, érotisme et hiérarchie s’imposait.
Aux États-Unis, au début du XXe siècle, quand la MPAA (Motion Picture Association of America) interdit le nu au cinéma, le merkin devient l’exact équivalent du cache-sexe moral : il n’empêche rien, mais rassure tout le monde. Aujourd’hui encore, il permet aux acteurs et actrices de ne pas se sentir vraiment nus, tout comme il parfait également les RealDolls, ces poupées sexuelles, qui imitent à la perfection le corps humain.
À SecondSexe.com, nous en avions utilisé en 2008-2009 pour notre série de films explicites, X-Femmes, afin de rompre avec les corps imberbes omniprésents et de rappeler que le poil, loin d’être une insulte visuelle, est un organe sensoriel à part entière. Il relie la peau au système nerveux, intensifie les caresses, et diffuse des phéromones — ces bonnes hormones de l’excitation. S’épiler ou se raser, c’est aussi renoncer à une part de l’érotisme olfactif : on gagne de la netteté, on perd de la vérité.
Catherine Blanc, sexologue, rappelait ici même que cette traque du poil féminin est également un fantasme d’éternelle jeunesse : un sexe de petite fille rassure, paraît-il, face à la perspective du vieillissement et de la mort. Comme toutes les lubies esthétiques, celle-ci disparaîtra pour laisser place à la suivante : la mode ne cesse jamais de nous vendre l’illusion que nous contrôlons notre sexualité à coups de tendances.
Sommes-nous à l’aube d’un changement réel ? Ou le poil est-il désormais condamné à devenir un simple accessoire : propre, discipliné, coiffé, manufacturé, prêt à disparaître sur demande ? Autrement dit : l’offre a-t-elle encore une fois créé la demande, transformant les femmes en consommatrices persuadées d’exercer leur libre-arbitre, alors que leurs désirs suivent le marché, telles des moutons de Panurge ... tondus ?

© Illustrations : vendeur de postiches pour pubis en 1860, et défilé Jean-Paul Gaultier par Duran Lantink, 2025.





