Solde de tout compte
Le 16/01/2023
J’habite un immeuble ancien joliment restauré dans le cinquième. Ce n’est pas haussmannien. C’est élégant cependant. Adresse provisoire. Je sous-loue à ma cousine qui fait des études d’architecture et qui, pour compléter sa formation, est partie au Canada pendant deux ans. Moyennant la moitié de son loyer, elle m’offre la jouissance des lieux. Elle est sympa. Je profite de cette opportunité pour me reposer, me ressourcer.
Je fais des rencontres. Il y en a qui sont plaisantes. Il y en a qui durent.
Ce soir-là, par exemple, l’ascenseur remonte au quatrième. J’appuie sur tous les boutons.
Embrasse-moi encore une fois !
Il presse la touche qui nous ramène au rez-de-chaussée. Finalement je le bloque, je le repousse au fond de la cabine et nous finissons à la cave, niveau -1.
Je le tiens écrasé contre la paroi. Je me frotte à lui. J’enfonce ma langue dans sa bouche. Pâmoison… Et entre deux pelles, supplications.
Prends-moi !
Je gémis. Dans une logorrhée salace, voilà que je lui déballe toutes mes envies, lui avoue tous mes fantasmes ! Pas pour les assouvir. Juste pour les lui faire connaître. Histoire que ce qu’il ne savait pas, il le sache. Et qu’il regrette pendant longtemps de ne pas plus tôt l’avoir su …
Sans compter que dire tout ça, rien que dire tout ça, c’est abominablement excitant.
Ma bouche divague. Mes mains palpent, pelotent, pressent. D’abord les bourses, bien grosses, bien remplies, qui se contractent. Insatiables de caresses, éprises de mots aussi… Car plus je précise, plus je dis l’indicible, plus sous mes doigts elles s’affermissent.
Je remonte ensuite vers le sexe, qui gonfle, qui se tend. Ça y est. Voudrait-il débander qu’il n’y arriverait pas ! Il s’étonne de ne plus être maître de la situation. Je lui suggère mes exigences, d’un ton malicieux.
Montre-la-moi encore une fois !
Ce soir, cette nuit, j’ai renoncé au romantisme. Je réclame la base. L’accouplement définitif. Quelque chose de primaire, d’archaïque. Style rut rural. Comme dans ce film X récemment regardé avec scènes d’orgies champêtres. J’ai de l’attrait pour ça. Levrettes dans la charrette, parties de fesses dans le foin. En idée, sinon en acte, malheureusement. Car dans le cinquième arrondissement…
Je me contente de rêver de campagne, d’agrestes jeux de vilains… En attendant, je m’adapte ! Le niveau -1 de l’immeuble est plus en rapport avec un trip gothique catacombes… Qu’importe ! baiser et être baisée, voilà mon programme ! Dans cette cave, j’ai subitement des ardeurs de bête aux abois…
Au reste, tandis que nous nous déshabillons mutuellement, hâtivement, je précise mes objectifs. Je mets les points sur les i. Parce qu’il me plaît, à ce moment-là, d’être directe. Et pourquoi pas vulgaire.
D******-moi !
Je ne pensais pas qu’un jour je prononcerais ces mots-là ! Et visiblement celui auquel je les adresse ne s’attendait pas non plus à me les entendre prononcer ! D’autant que j’ai pris pour le dire une intonation de chipie vorace. Je le déstabilise. Et j’éperonne ses instincts.
Ce soir, la domination et la soumission sont intervertibles et j’entends goûter à ces deux voluptés.
Mon immoralité est totale puisque je passe outre mes propres principes ! Mais j’ai besoin de sauvagerie sexuelle. C’est ainsi. Et, du reste, si je propose sans détour, je n’impose rien…
On peut refuser. On peut me repousser. Au contraire, il est clair que ma demande est reçue avec enthousiasme ! Mes ardeurs enflamment, alors qu’on me battait froid…
Au départ, en effet, on voulait filer sans demander son reste. A présent, ivre de désir, on me plaque contre le mur de béton à la sortie de l’ascenseur !
Comment décrire les lieux, cette cave sale, sombre, suspecte ? Parler de catacombe n’était presque pas une exagération ! Dans mon immeuble, personne ne descend jamais à cet endroit. En tout cas jamais à trois heures du matin…
Des doigts qui les menottent mes poignets se détachent… J’enlève ma culotte mouillée. Je défais le ceinturon. Je sors le dard. Je le masturbe à la cadence qu’il aime. Et que j’ai l’art de moduler.
Agonie dans la pénombre, halètements, emballement.
Nous nous embrassons follement. C’est-à-dire comme des fauves. Mes yeux le fixent. Je l’exhorte, prise de furie. Ma grossièreté l’égaie. Il kiffe mon sans-gêne. Porc est son signe chinois. Ce n’est pas le mien. Mais présentement mes hormones démentent mon état civil. Je suis cochonne en diable !
Lui aussi se montre endiablé. Il me soulève. Il empoigne mes cuisses. Mes fesses s’écorchent contre le mur. Je m’agrippe à son cou. Je me livre à une orgie de mordillements et de suçotements. J’emprisonne ses hanches. J’oscille du bassin et m’abandonne…
Je sens le gland, gorgé de sang, à l’orée de mon sexe. Je pousse, j’avance, et, sur le membre, c’est-à-dire sur le pieu, j’empale mon corps.
L’introduction de ce sexe produit en moi un effet dingue. Parfaite plénitude. Le coït débute sous d’excellents auspices !
Quelle énergie il met, le saligaud ! Il me culbute. Il m’éperonne. Il me saute comme un soudard !
Nos chairs claquent. Le sous-sol s’emplit de nos échos. Cela s’amplifie, devient dément… Souffles, clameurs, plaintes. Je me déchaîne !
L’âpreté minérale du lieu aggrave mon état. Car elle donne à nos ébats un côté BDSM. Délices aussi intenses qu’inattendus. Le béton froid, rude, rugueux, sur lequel frotte mon derrière, ressemble à un gant de crin, à du papier de verre ! J’ai la peau en feu ! Pervertie par la douleur du plaisir, le plaisir de la douleur m’entraîne, m’emporte, m’enfièvre…
Je me dédouble. Actrice et observatrice (dans les limites qu’impose à l’introspection la situation !), je me dis que cet assaut que je n’ai pu réfréner, que ce besoin, cette frénésie, se rattachent à une nécessité inconsciente.
Certes, il y a un truc latent et profond en mon moi qui me pousse à devenir imprévisiblement chienne ! Je me suis jetée sur ce mec en affamée asservie par sa faim. Une faim féroce !
Surgie entre le troisième et le deuxième étages, l’idée, l’envie, la pulsion s’est emparée de moi, m’a enchaînée, a commandé chacun de mes actes, de mes mots. Je perds le contrôle. Je gagne l’extase.
Maintenant…Maintenant je ne suis plus qu’une étrange poupée, impudente, exigeante. Une marionnette, à moitié à poil. Ballottée, démantibulée par un sexe aux ordres de ses désirs. Une créature ambivalente, objet et sujet de lubricité, qui s’agite, frénétique. Et qui réclame à cor et à cri d’être encore et encore prise, prise, prise, empalée, clouée au mur à coups de bite ! Ma fringale me conduit à l’outrance. Je délire…
Plus vite !
Il donne tout, tout, tout, le beau démon. Il ahane comme un tâcheron qu’on tue au travail. Il me pilonne comme un taré ! L’éclairage douteux le révèle sous un aspect nouveau. Sa beauté acquiert une acuité paradoxalement plus trouble et plus nette. Il émane de tout son être un charme hyper-puissant !
Je ne résiste pas. Je pars. J’explose. Ma main enfoncée dans ma bouche, je me mords jusqu’au sang et j’étouffe l’orgasme en pleurant…
C’est fini. Il a joui. Je caresse longuement ses cheveux. Une dernière fois sa joie nourrit ma joie.
Puis la cave redevient ce qu’elle est : un endroit craignos. Il se rhabille. Je remets ma culotte. Difficilement. Mes jambes flageolent. Des gouttes de sperme s’épanchent sur mes cuisses. J’essuierai tout ça en rentrant chez moi. Avec la satisfaction d’une bonne fille qui a bien travaillé.
J’appuie sur le O. Inutile, pour lui, de remonter plus haut que le rez-de-chaussée.
Il ne reviendra pas. Jamais. Il l’a affirmé, répété. Et je sais que ce que nous venons de faire n’y changera rien. Relation terminée. J’entends encore les mots prononcés par lui une demi-heure auparavant : « excuse-moi, oui excuse-moi, Isabelle, mais j’ai l’impression que nous nous sommes tout donné ».
Moi, je n’avais pas cette impression ! Mais quand il sort de l’ascenseur et pour la dernière fois se retourne pour me regarder, je lui confirme, avant que les portes ne se referment :
Tu as raison. Maintenant, c’est certain, nous nous sommes tout donné.
Rien ne dure excepté la fragilité des choses.
Isabelle Delys
© photo : Kohei Yoshiyuki