Les 7 clichés capitaux

Le 05/03/2009

Après le désormais culte « On ne naît pas femme, on le devient » de Simone de Beauvoir, figure de proue du féminisme, ou encore la provocation délibérée du « les lesbiennes ne sont pas des femmes » de Monique Wittig (théoricienne féministe et lesbienne radicale), on est en droit de se demander quels sont les clichés sur la Femme encore véhiculés actuellement. En affirmant cela, Monique Wittig se dégage des idées préconçues déterminant ce qu’est ou doit être une femme dans une société hétéro-centrée. La progression des mentalités ne semble donc pas si effective en réalité. Nous proposons en réponse de faire se rencontrer sept figures féminines de l’art contemporain et sept clichés sur la femme ayant la peau dure : Les femmes réussissent moins bien que les hommes, Femme : un rôle secondaire, Sois belle et tais toi !, Toutes des salopes !, Ne confiez pas votre carte bleue à une femme !, Dînette pour les filles et bricolage pour les garçons, et Les filles sont fragiles. Ou comment démanteler les idées reçues par l’action artistique.

Les femmes réussissent moins bien

La première question posée concernant une naissance est généralement Est-ce une fille ou un garçon ? À ce stade, déjà, ils ne reçoivent apparemment pas la même attention, c’est ce qu’Éric Brian et Marie Jaisson nomment le sexisme de la première heure. (…) Une négligence à l’égard du sexe méprisé, à l’extrême son élimination criminelle, ou bien une plus grande attention portée au sexe privilégié, l’une et l’autre opérant dans toute la période que nous avons qualifiée de périnatale, des premiers signes de la grossesse jusqu’à l’enregistrement du nouveau-né à l’état civil.(1) Prenons par exemple le cas souvent dénoncé de la Chine, où la politique de l’enfant unique a conduit à la naissance de 55 % de garçons, devient, à lire cette analyse, un cas extrême de la construction sociale du sex ratio à la naissance.(2) Au XIXe siècle en France Halbwachs note que la proportion de filles nées d’unions illégitimes est plus élevée que celle des garçons, il était alors plus rare de reconnaître une fille conçue hors mariage. L’Art reflète également ce sexisme, la place des femmes y est moins favorisée. Dans Portraits grandeur nature (2007), Agnès Thurnauer revisite l’histoire de l’art en rétablissant la parité hommes-femmes. Mies van der Rohe devient Miss van der Rohe ou encore Louise Bourgeois mute en Louis Bourgeois. Un nom fait habituellement référence à un individu, mais celui des artistes se détache de cette notion pour se relier à une identité en tant que marque commerciale, référence artistique androgyne.

Femme : un rôle secondaire

Les héros du cinéma hollywoodien ne portent pas de talons aiguilles et ne sont maquillés que pour mieux capter la lumière. Ce sont majoritairement des hommes blancs, les femmes, elles, sont ordinairement reléguées en arrière plan, inconsistantes voire malfaisantes détournant le héros de son but principal. Dans sa série, Untitled Film Still (#58"), Cindy Sherman reconstitue des scènes cinématographiques dont elle incarne l’unique héroïne, figure démultipliée de la femme des années 60, jouant avec l’imaginaire collectif cinématographique, suscitant des recoupements avec des scènes mythiques ou des icônes aisément reconnaissables. Autant de stéréotypes féminins fournis par le cinéma, la télévision ou les magazines de mode, et dont elle fait au fil de sa carrière une critique acerbe, quitte à se voir accusée par le mouvement féministe de mettre en scène des femmes dans des situations d’extrême vulnérabilité : "Mais ce à quoi je m’oppose, confiait-elle en 2000 au New Yorker, c’est la manière dont notre être est pourri ("fucked") par ce qu’on est censé être. La plupart des mannequins dans les magazines de mode ont sur moi un effet répulsif. "(3) La femme est ici à la fois personnage principal et unique filmé à la manière d’Hitchcock ou de Lynch.

Sois belle et tais toi !

Si le secteur de la chirurgie esthétique est aujourd’hui en pleine expansion et se démocratise (le prix des interventions ayant fortement baissé) faisant l’objet même de séries télévisées à forte audience (Nip/Tuck, diffusé depuis juillet 2003) Orlan s’y consacre et la pratique depuis le début des années 90. Elle poursuit depuis 30 ans son travail artistique de transformation corporelle par le biais de la chirurgie esthétique s’attaquant aux canons bourgeois de la beauté occidentale à travers les âges dénonçant les modèles imposés par l’histoire de l’art tels la Vénus de Botticelli, La Joconde de Léonard de Vinci, L’Europe de Gustave Moreau ou encore L’Odalisque d’Ingres… donnant vie progressivement à sa propre Vénus, manifeste de l’art charnel. "J’ai toujours travaillé sur le statut du corps. Sur l’idée que chaque civilisation fabrique et façonne les corps, comme leur représentation. Chaque fois qu’on dit « moi », « je », « moi, j’aime, je désire », ce n’est pas nous qui parlons, ce « je » est complètement fabriqué." (4) Orlan participe à l’émancipation des regards portés sur la féminité et ses caractères fantasmés d’après des critères physiques imposés par la société et l’éducation.

Toutes des salopes !

En 2007, le patron de l’UMP Philippe Devedjian insulte hors caméra une représentante du MoDem, Anne-Marie Comparini la désignant par le terme « Cette salope ! ». Salope selon le Littré désignant une femme de mauvaise vie ; à l’origine le terme s’appliquait à une personne malpropre, sale (masculin ou féminin). Le terme aujourd’hui est exclusivement employé afin de qualifier un individu féminin. N’ayant pas peur de se laisser aller à certains penchants attachés à une forme de passivité toute féminine, Sophie Calle expérimente en 1989, la vie d’une strip-teaseuse à Pigalle, se faisant engager dans un club. Documentant cette immersion via textes et clichés photographiques : « J’avais 6 ans et j’habitais rue Rosa-Bonheur chez mes grands-parents. Le rituel quotidien voulait que je me déshabille tous les soirs dans l’ascenseur de l’immeuble et arrive ainsi toute nue au sixième étage. Puis je traversais à toute allure le couloir et, sitôt dans l’appartement, je me mettais au lit. Vingt-ans plus tard, c’est sur la scène d’une baraque foraine donnant sur le boulevard à Pigalle, que je me déshabillais chaque soir, coiffée d’une perruque blonde, au cas où mes grands-parents qui habitaient dans le quartier viendraient à passer. »(5) Le paradoxe de l’œuvre de Sophie Calle réside dans l’indistinction qui demeure entre décision affirmée et soumission consentie.

Ne confiez pas votre carte bleue à une femme !

58 % des hommes trouvaient encore les femmes dépensières en 2002 (enquête de l’Observatoire Caisse d’épargne sur « Les femmes, les hommes et l’argent », rendue publique en décembre). Ni fashion victim, ni femme-objet, se jouant de ce cliché, Sylvie Fleury, fashionista aguerrie, revendique son droit à la consommation décomplexée et à une forme d’hédonisme qu’elle pratique en toute conscience, se réappropriant la fonction de Sujet consommant et jouissant. Si la mode s’inspire de l’art la réciproque n’est pas immédiatement évidente. Dans les années 90 Sylvie Fleury exhibe le résultat d’une journée shopping : Shopping Bags déclinée dans chaque ville où elle expose. « Elle sait que c’est dans la relation entre l’emballage et le désir que prend forme le commentaire le plus dissonant et le plus troublant sur notre condition actuelle. On nous fournit un jeu de clefs, une paire de gants et de chaussures à talons aiguilles, à l’aide desquels il faudra négocier le passage de notre personnalité à l’image qu’elle projette. »(6)

Dînette pour les filles et bricolage pour les garçons

« Certains jouets paraissent dès le premier regard sexistes en eux-mêmes. Ils correspondent aux stéréotypes de la division sexuelle des rôles sociaux : la belle femme est la gardienne du foyer et le symbole de la beauté, l’homme fort s’occupe de la sphère publique. »(7) En 1998 dans sa série Les jambes, Natacha Lesueur recouvre de crépine les jambes d’une jeune femme tendance page de magazine mode. « Par son travail photographique, Natacha s’approprie les aliments et les détourne de leurs fonctions vitales, ces motifs fonctionnent comme autant d’atours, d’empreintes ou de paysages. Elle applique des aliments sur les corps comme autant d’improbables parures. L’artiste défie la société et ses tabous de consommation pour convertir les denrées en expressions colorées et vivantes. »(9) Loin de l’image de la femme vouée aux tâches ménagères, l’artiste détourne les codes d’identification et de présentation en vigueur afin de nous présenter une image ludique et affirmée de la femme contemporaine. Si le corps fait l’objet d’une codification particulière impliquée par une lecture lié à une époque donnée, dépouillé de ces codes habituels il devient fantomatique et mystérieux. Il échappe à toute classification catégorique.

Les filles sont fragiles

« Fragilité, ton nom est femme ! » déclare Shakespeare dans Hamlet (Acte1 scène2). Loin d’être dépassée cette définition est encore très parlante dans l’imaginaire social actuel, force en est de le constater encore aujourd’hui en recherchant « femmes fragiles » dans Google et en notant le nombre d’occurrences (260 000) reliées pour la plupart à des forums féminins. Dans les années 70, Gina Pane émerge du body art par le biais de ses actions mettant en scène son propre corps en souffrance, catharsis de la douleur. "Autoportraits, ça veut dire quoi, ça veut dire moi en tant que femme et moi en tant qu’artiste.(9) Alors que défilent des diapositives où apparaissent des ongles vernis, elle s’entaille la peau au bout des doigts, puis marque sa bouche d’un rouge fatal." (10) Loin de présenter une image de faiblesse féminisée, elle marque la force d’un corps à la dimension douloureuse soumis à la dictature des rituels relevant des contingences matérielles, apparentés à des formes de mythologie sociale.

Si ces 7 artistes ont su se jouer des représentations caricaturales de la femme habituellement admises, le point de vue critique reste à renouveler, interroger sans cesse. Des clichés d’un autre siècle sont encore en circulation actuellement même si l’on constate des progrès notables : afin de célébrer le centième anniversaire de Simone de Beauvoir, le Nouvel Observateur (3 janvier 2008) illustre sa couverture d’une photographie la représentant nue et de dos sous titré « la scandaleuse ». Son statut de femme vivante, faite de chair, n’est plus nié mais affiché clairement. Les femmes qui « réussissent » étant bien souvent masculinisées afin d’être réabsorbées par le sexe fort.

[gris]Saskia Farber[/gris]

[gris](1) Le Sexisme de la première heure, Hasard et sociologie Éric Brian & Marie Jaisson, Paris, Raisons d’Agir éditions, 2007.
(2) http://s1h.blogspot.com/
(3) Les Inrockuptibles magazine 681, du 16/05/2006, interview par Jean Max Colard
(4) Femmes artistes/artistes femmes Catherine Gonnard & Elisabeth Lebovici, Hazan, 2007 (entretien avec Orlan 2002)
(5) Doubles-jeux tome 3 -Les panoplies Sophie Calle, Actes Sud, 1998
(6) Sylvie Fleury, les Presses du Réel, 2001 (Liam Gillick, décembre 1998)
(7) Contre les jouets sexistes, Mix-cité et Collectif contre le publisexisme, L’Echappée, 2008
(8) Charlotte Moser, 2007
http://www.galeriemoser.ch/Artistes...
(9) Entretien avec Irmeline Lebeer, 1975 ; reproduit dans L’Art au corps
(10) Femmes artistes/artistes femmes Catherine Gonnard & Elisabeth Lebovici, Hazan, 2007[/gris]

Commentaires (1)

  • mriYrEMOzLIRTL

    You saved me a lot of halsse just now.