Portrait d’artiste : Marilyn Minter

"Entre les mains de Minter, la queue d’un homard peut paraître infiniment plus sexy qu’un pénis."

Le 16/10/2009

Entre fétichisation assumée et érotisation consumée, le travail de Marilyn Minter se distingue parce qu’il ne choisit pas clairement son camp. Elle navigue entre art et mode, peinture réaliste et photographie. Une œuvre suggestive et digestive, overdose de chair et d’accessoires de mode, totalement inféodée à la société de consommation et à ses codes mais y échappant simultanément, se refusant à une catégorisation trop rapide.

Lining up

Née en 1948 à Shreveport en Louisiane, Marilyn Minter vit et travaille à New-York. Elle grandit en Floride au sein d’une famille issue de la bourgeoisie américaine. Diplômée de l’Université de Floride, Minter obtient en 1972 un M.F.A. (Master of Fine Arts) à la Syracuse University, dans l’état de New York. Marilyn Minter avoue d’ailleurs avoir été fascinée par NY à une époque où tous les étudiants en art rêvaient d’aller en Californie. Elle déménage enfin à New York en 1976 où elle devient grâce à son habileté l’assistante du plombier qui l’a aidée à remettre en état son loft - aujourd’hui elle s’amuse d’avoir entièrement refait la plomberie de l’artiste Elizabeth Murray — puis devient l’assistante du sculpteur Kenneth Snelson.

Entre 1978 et 1985 elle s’immerge dans le monde de la nuit new-yorkaise passant son temps chez Save the robots, un bar de l’East Village ou 8BC, qui était alors un espace underground dédié aux performances, une galerie d’art et un night club réputé. En 1985, Marilyn décide d’arrêter la drogue, trouve un poste d’enseignante dans une école catholique pour garçons le jour et reprend son travail d’artiste la nuit.

Coral Ridge Towers

En 1969, la célèbre photographe Diane Arbus est professeur invité à l’Université de Floride de Gainesville. Le directeur du département de photographie demande à Marilyn de montrer ses planches contact à la célèbre photographe. Elle présente ainsi sa série intitulée Coral Ridge Towers à Arbus qui est enthousiasmée par le travail de la jeune artiste. Cette série de 9 photographies est issue d’une séance de shooting réalisée avec sa mère agoraphobe : Honora Elizabeth Laskey Minter, en descente de prise de tranquillisants et autres sédatifs. Pour Marilyn Minter, ces images bouleversantes ne sont que le simple reflet de sa vie quotidienne. Malgré les louanges adressées par Diane Arbus, les moqueries des autres élèves au sujet de sa vie familiale lui feront enterrer ce travail pendant plus de 25 ans.

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Quelques années plus tard, décriée pour ses peintures hautement suggestives elle répondra avec plus de détachement à ses détracteurs : « Je pense que chaque fois que vous faites quelque chose qui a l’air bien, les gens le sous-estiment. Ils veulent immédiatement l’écarter. Si cela semble vraiment bien, il y a un rejet systématique. Mais peu importe, parce que je sais que ces images vont avoir bonne presse dans 20 ou 30 ou 50 ans. Ainsi, si les gens ne le comprennent pas maintenant, ils le comprendront tôt ou tard. » Aujourd’hui des photographes comme Nan Goldin ou des cinéastes comme Larry Clark ont popularisé ces images de junkies mais à l’époque les autres élèves étaient relativement choqués par la vision de la mère de Minter, femme d’une cinquantaine d’années à l’élégance vénéneuse et décadente, genre Joan Collins ou Faye Dunaway, en déshabillé vaporeux, perruque et faux ongles, occupée à fumer, à avaler des pilules et à se maquiller. Ce n’est qu’en 1995 que Minter décidera de faire retirer les clichés de Coral Ridge Towers à l’occasion d’une exposition.

100 Food Porn

En 1989, Marilyn Minter sort avec l’artiste Bill Miller et n’ose pas le faire monter dans son atelier de peur qu’il ne soit choqué par les peintures issues de la série Porn Grid hautement suggestives qui recouvrent les murs. La plupart de ses amis masculins de l’époque furent scandalisés et l’incitèrent à ne pas montrer ce travail de « pornographie hardcore » qu’ils jugeaient dégradant pour la femme. Elle prolonge néanmoins ce travail dans une série de peintures intitulées 100 Food Porn, des doigts manucurés détaillent des légumes en tranches, ouvrent des œufs, farcissent un poulet et pénètrent toutes sortes d’aliments en gros plan. Format, cadrage, et répétition rendent ces gestes usuels totalement obscènes. La même année, afin de promouvoir son travail, Marilyn réalise une vidéo publicitaire, intitulée 100 Food Porn, destinée à être diffusée pendant les coupures pub au même titre que les publicités habituelles. Elle fut diffusée pendant le David Letterman show.

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Cette vidéo porte ce nom de 100 Food Porn non seulement parce qu’elle réalisa effectivement une série de 100 peintures mais également pour se rapprocher des numéros d’appel de la hotline du sexe que les spectateurs voyaient défiler le soir sur leurs écrans. La publicité réalisée par Minter servait également de carton d’invitation afin d’annoncer son exposition à la Simon Watson Gallery. Son rapport à la société de consommation, aux médias ou à la mode la place entre critique et adaptation parfaite, d’où un « sentiment d’inquiétante étrangeté » au contact de son travail. Entre attraction et répulsion.

Art & Fashion

Depuis 2002, Marilyn Minter a travaillé pour de nombreuses marques dont la célèbre marque de cosmétiques M.A.C., pour laquelle elle photographie des yeux et des bouches surmaquillées en gros plan ; pour Tom Ford et Versace, elle réalise des publicités pour des chaussures d’hommes et de femmes souillées par de la boue. Car pour Minter le « trash » est indissociable de la vie new-yorkaise : aussi « fashion » que l’on veuille être, il faut toujours patauger dans la boue pour traverser la City. Pour l’exposition qui lui est consacrée au San Francisco Museum of Modern Art en 2005, elle présente un travail hyperréaliste constitué de gros plans d’orteils, bouches, yeux maquillés et souillés. En 2006, elle investit les panneaux d’affichage de Chelsea (quartier des galeries) à New-York où elle montre d’autres gros plans de chaussures de luxe, souillées par des éclaboussures de boue saumâtre.

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Elle participe cette même année à la Biennale du Whitney et son travail est choisi pour figurer sur la couverture du catalogue. En 2007, elle réalise une série de portraits de l’actrice Pamela Anderson —répondant à une commande de l’éditeur Parkett. Des images très glossy, comme mouillées de surglaçage rappelant certaines pages de magazine, détrempées de surbrillances séminales.

De Fried Sweat à Green Pink Caviar

En 2007, sous l’impulsion de la jeune artiste Mika Rottenberg, Marilyn Minter participe à la vidéo Fried Sweat qui sera présentée à la galerie Laurent Godin à Paris. Le fil conducteur reliant le travail de ces deux artistes était la sueur et le dispositif nécessitait l’intervention du visiteur qui était incité à déplacer légèrement l’œuvre de Minter, Armpit (2006), un gros plan sur une aisselle féminine moite, afin de révéler une percée dans le mur permettant de visionner la vidéo de Rottenberg.

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MTV proposait en mars 2009 une projection sur l’écran géant de Times Square à New-York, conçue par Marilyn Minter et intitulée Chewing Color. Il s’agissait selon ses propres termes d’une « pathologie du glamour ». Programmé pendant deux mois d’avril à mai, Green Pink Caviar complète la série « 44 1/2 » initiée par des œuvres de Gilbert & George, les Yes Men ou encore Steve McQueen. [1] « Je shootais des images fixes de modèles avec de longues langues enroulées suçant des sucreries à travers une plaque de verre. J’ai voulu réaliser des peintures émaillées en conservant cette idée de peinture avec ma langue. Mon maquilleur a shooté quelques vidéos courtes juste pour voir comment cela rendait. Les vidéos de basse définition ont semblé si réussies que plus tard nous avons fait des projets de vidéos professionnelles en haute définition. J’avais déjà réalisé à la fois des panneaux d’affichage et produit une publicité pour une exposition de peinture en 1989, il s’agissait ici d’une autre étape. Green Pink Caviar semble avoir trouvé sa vie propre. » En effet, ces bouches montrées en plan serré dans un univers très coloré deviennent des créatures presque abstraites, des concentrés de gourmandise érotique. Retravaillé pour l’occasion, Green Pink Caviar, a fait l’ouverture du Sticky & Sweet Tour de Madonna, le 4 juillet 2009, à Londres, diffusé en rythme avec le premier titre de la tournée Candy shop. Rien d’étonnant à ce que la Ciccone ait voulu se superposer à ces images troublantes de bouches dévorant le spectateur, lèvres écrasant leur pulpe dans le sucre, langue léchant le sirop…

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Le centre d’art La Conserva de Murcia en Espagne propose une rétrospective du travail de Minter, faisant cohabiter les photographies issues de la série Coral Ridge Towers avec ses portraits de Pamela Anderson, la série des Bubble ainsi que des projections de Green Pink Caviar (du 13 septembre au 22 novembre 2009). L’occasion d’embrasser l’ensemble de son travail qui témoigne d’une foisonnante variété technique et formelle, mais dont la cohérence se lit à travers ce corps humain, organique, vivant, sublimé d’une manière aussi radicale que singulière.

[gris] Saskia Farber

Note :
1 Avec le film de Minter étaient projetés les films de Patty Chang : Fan Dance (2003), et de Kate Gilmore : Star Bright, Star Might (2007).

Sources : www.greenpinkcaviar.com www.laurentgodin.com [/gris]

Commentaires (2)

  • Corinne

    Marylin Minter allie réalité et créativité je pense que c’est une artiste de talent qui represente bien l’image de votre site. Elle est fascinante et montre la reussite d’une femme dans le monde artistique bien qu’elle ne soit pas la seule. Enivrante et rempli de désire ces photos sont juste sublime ! Merci pour cette article ...

  • SAINCHRIS

    Dans un monde restrictif c’est une considération sans limite que je porte á ce travail trés humain
    l’intérêt particulière qu’ elle porte á la sensibilité
    humaine nous ne ne nous rendont pas compte aujourd’hui de toute la liberté que nous sommes entrein de perdre nous devons absolument sincère face tout ce qui nous touchent.