Portait d’artiste : Natacha Merritt
Le 27/04/2009
I reset
my mind via sex
no frills
no hang ups
no complications
very possibly
the way
it should be
Métapornographie féministe : La vérité nue
Délibérément provocante et désinhibée dans la lignée de Nan Goldin pour la photographie, Cosey Fanny Tutti pour la musique ou encore Annie Sprinkle dans le domaine de la performance, Natacha Merritt, sublime jeune femme brune, exhibe son corps via Internet ou lors d’expositions à la fois collectives et privées. Sa vie sexuelle constitue le matériau principal de son travail, diffusé sur son site personnel : http://www.digitalgirly.com. Expérimentant sans tabous apparents, sans retenue aucune, une large gamme des déclinaisons envisageables de la sexualité contemporaine : ondinisme, bisexualité, bondage, sado-masochisme soft, triolisme, elle se met en scène, en action, avec ses partenaires occasionnels féminins et/ou masculins consentants : sous la douche, au lit, en train de se masturber avec ou sans sex toy, s’exposant pudeur évacuée. La limite entre vie privée et art s’en trouve ainsi ébranlée par ces retransmissions photographiques effectuées, appareil tenu à bout de bras. Elle mime jusqu’aux codes couleur les productions pornographiques vidéos amateurs déjà en pleine expansion, propagées largement par le biais du net. Cependant, ici, l’imagerie classique de la femme objet désormais révolue, donne naissance à une nouvelle femme emblématique, affirmée comme exploratrice de son propre plaisir. Elle devient l’instigatrice de jeux illimités, proposant d’elle une image de jouisseuse première. S’inscrivant dans la lignée de Cindy Sherman ou Diane Arbus auto-portraiturant leur féminité face à l’objectif. Son intervention enclenche une entrée efficiente dans l’ère du numérique et de la multiplication des images domestiques.
Technologies narcissiques reproductives
Née en 1977 à San Francisco, elle vit et travaille à Los Angeles. En 1996, elle entreprend des études de droit à la Sorbonne, à Paris, qu’elle abandonne très rapidement (au bout de trois mois) pour se consacrer en autodidacte à sa passion : la photographie numérique érotique. « A cette époque en France personne n’avait jamais vu un appareil photo comme celui-ci, alors je prenais juste des photos de gens dans la rue, bénéficiant d’un étonnant retour de la part de parfaits étrangers. J’ai également commencé à prendre des photos issues de ma vie amoureuse, ce qui était parfaitement naturel puisque j’engageais une relation agréable : c’était la plus belle chose possible. Mais je ne considérais pas cela comme de l’art. Je n’ai jamais eu le désir d’être artiste, et je ne voyais alors dans la photographie numérique qu’un loisir. » De retour en Californie, elle distille dans un premier temps ses instantanés via Internet, sous le pseudo vite abandonné de Max Cameron, afin de se prémunir des avances éventuelles d’internautes attisés par ses images, avant d’être remarquée fortuitement par Eric Kroll (photographe fétichiste) qui sera à l’origine de la publication des photos de la jeune femme de 22 ans au sein de la maison d’édition allemande : Taschen. Elle s’investit également dans un travail vidéo, scénique et plus récemment scénaristique.
Digital Diaries : Journal d’une pornographe digitale
La jeune Natacha nous livre 250 photos sur 256 pages dont des extraits textuels de son journal intime. Actuellement épuisé, l’ouvrage Digital Diaries remporta un immense succès lors de sa publication en 2000 : « Il s’en est vendu des centaines d’exemplaires. Je pensais qu’il serait plus controversé. Ma réponse préférée venait d’une grande quantité de filles qui me dirent « je n’ai jamais remarqué cette partie de mon anatomie ». J’appréciais également les commentaires des garçons me disant que je faisais des images sales qu’ils pouvaient regarder avec leurs copines. » Tirant parti de l’émergence du médium numérique Natacha Merritt se livre à des expérimentations photographiques physiologiques, nous invitant à sa suite à partager l’intimité d’une jeune femme du XXIe siècle. Les corps morcelés, en gros plans cadrés, décadrés, nous plongent irrésistiblement à sa suite dans un tourbillon orgiaque ou les chairs se confondent. Pas de violence ni de faute, l’acte sexuel y est désacralisé, déculpabilisé pour ne plus garder que son côté ludique et performatif. Vision kamasutresque d’un apprentissage charnel.
Zumanity, le Peep Show du cirque du soleil
En 2003, Natacha Merritt répond à une commande du Cirque du Soleil (compagnie canadienne de cirque artistique) pour un show érotique à Las Vegas, au New York New York Hotel & Casino, intitulé ZUMANITY. Elle est chargée de réaliser des projections photographiques liées aux décors de scène. Elle en utilisera près d’une centaine : “ Je travaillais tout l’été pour le Cirque du Soleil, réalisant des projections multimédia. C’était un show érotique, je devais photographier une troupe d’acrobates de la manière que je souhaitais pendant six mois. Au départ, j’étais un peu nerveuse en leur laissant accéder à Digital Diaries, mais cela s’est avéré bénéfique permettant d’instaurer un climat de confiance : peu importe ce que je leur demandais de faire, il savaient que je m’étais déjà photographiée moi-même dans des positions bien plus humiliantes. Cela a fait exploser les barrières. » Dans un premier temps, elle a préféré observer longuement les acteurs, établir un climat de confiance avant même de se saisir de l’appareil photo pour finalement les capturer dans leurs chambres d’hôtel en dehors de toute représentation. Elle a choisi de faire se superposer plusieurs photographies afin de créer un film qui sera ensuite projeté sur un des éléments de la conception scénique : il s’agit de vagues, à multiples facettes, en mouvement permanent, placées en arrière scène. Il en résulte un mélange de carnations, membres, bouches et corps, en constante métamorphose, imbriqués en un collage synchronisé avec la musique et les contorsions des artistes.
Girls…Girls…Girls…
Prévue à l’origine pour Paris, interdite au moins de 18 ans et refusée par les institutions, Girls…Girls…Girls…, sous un commissariat de Stéphane Pencréac’h (artiste) et Richard Leydier (journaliste) aura finalement lieu en 2005 au CAN (Centre d’Art de Neuchâtel) en Suisse. En réponse à ces refus, Catherine Millet, directrice d’Art Press, et auteur de La vie sexuelle de Catherine M (Editions du Seuil) avait réagit en proposant de rassembler le travail des deux curators dans un numéro hors série de sa revue : « X-Elle, le sexe par les femmes ». Après publication de ce cahier, en mai 2004, le CAN se propose d’accueillir l’événement. Une exposition 100% féminine, avec Maria Beatty, Madeleine Berkhemer, Virginie Boursette, Hsia-Fei Chang, Béatrice Cussol, Ninar Esber, Catherine Jammes, Sonia Koumskoff-Raissi, Pascale Lafay, Chloë des Lysses, Marianne Müller, Lyzane Potvin, Kiki Seror, Nicole Tran Ba Vang, Ileana Vicius, Ellen Von Unwerth, Ornela Vorpsi, Lamia Ziadé et Natacha Merritt. L’origine de cette exposition-réponse aux idées reçues, dont ils faisaient eux même les frais, venant d’une réflexion menée par les deux hommes à propos de la présence des femmes dans l’histoire de l’art contemporain.
Sexe et convenances II
La galerie Pascal Vanhoecke présente en 2007 une exposition interdite aux mineurs regroupant 16 artistes provocants ayant rejeté toutes métaphores et autres circonvolutions pour nous parler crûment de sexe (Toni Ward, Laurence Demaison, Pascal Bernier, Thomas Ruff…). L’événement Sexe et convenances est d’ailleurs repris en juillet 2008 dans cette même galerie. Tony Ward, Thomas Ruff et Natacha Merritt réinvestissant les codes de la pornographie, s’en emparant par le biais de la photographie dont la crudité immédiate, plonge le spectateur/voyeur dans une réalité plus immédiate. Opérant par là-même une abolition des frontières entre sphère intime et sphère publique, brouillant les pistes, Natacha Merritt fait de son appareil numérique le prolongement naturel de son corps.
Curating Contest 2007
A l’initiative du galeriste Olivier Robert, quatorze commissaires d’expositions ou acteurs de l’art contemporain sont invités chaque année à investir 16 chambres de l’hôtel de la Louisiane à Saint Germain des Prés. Richard Leydier intervenant cette fin d’année (décembre 2007) dans la chambre 33, présente une installation intitulée Do Not Masturb avec Natacha Merritt, Lamia Ziadé, Stéphane Pencréac’h, Vuk Vidor et Kristian Von Hornsleth. Les artistes envahissent chambre et salle de bain. Le curator y présente notamment une image photographique de Natacha Merritt issue de ses Digital Diaries. Voilà, la chambre s’intitule "do not masturb". C’est littéral, cela veut aussi dire, dans un monde de l’art qui évacue le plaisir, que parfois, c’est agréable de ne pas "se prendre la tête". C’est percutant, c’est ce que nous voulions." (R. Leydier). La présence de Natacha Merritt dans cette manifestation est plus que légitime, les chambres d’hôtel n’ayant cessées d’être le théâtre de ses expérimentations de Digital Diaries à Zumanity. Natacha Merritt prône une nouvelle forme de sexualité numérisée, partageable diffusée et libérée des contraintes morales. Là où vie et travail sont inextricablement mêlés, le corps prend toute la place et manifeste son droit à la jouissance décomplexée. Les images de Natacha Merritt se démarquent de celles des autres webcamgirls livrées aux internautes, de par leur maîtrise photographique et l’originalité de leurs cadrages. Elles s’inscrivent immédiatement dans le champ de l’histoire de l’art relevant de qualités esthétiques évidentes. Elles proposent un nouveau regard sur le corps grâce à l’émergence des technologies exploitant majoritairement l’imagerie numérique.
[gris]Saskia Farber
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[gris]Elle est représentée à Paris par la galerie Pascal Vanhoecke
http://www.galeriepascalvanhoecke.com/
[/gris] [gris] Remerciements à Pascal Vanhoecke[/gris]