Portrait d’artiste : Annette Messager
Le 27/04/2009
Quel rôle joue la sexualité dans ma vie ? Dans mes jours et mes nuits ? Dans mes joies et mes peines ? Dans mon travail ? Dans mes relations avec les autres ? Dans mes lectures ? Dans le métro ? dans mes fringues ? Si je le savais j’aurais le sourire de la Joconde Et je perdrais mon âme…
Etre artiste c’est guérir ses blessures
Figure majeure de la scène internationale contemporaine, Annette Messager a représenté la France à la Biennale de Venise de 2005, où elle a obtenu le Lion d’Or. C’est l’une des artistes françaises reconnues à l’étranger, et elles sont rares ! Annette Messager est depuis ses débuts, dans les années 1970, une artiste femme plutôt que féministe, elle fait partie d’une génération de créateurs qui a introduit le féminin dans l’art. Née en 1943 à Berck-sur-Mer, elle débarque à Paris à la fin des années 50. Dans en entretien, évoquant ces années, elle déclarait : « Il y a bien un Picasso, pourquoi il n’y aurait pas une femme ? ». Son répertoire artistique est un subtil dosage de formes et de matériaux (peluches, animaux naturalisés, tissu, laine, photographies, dessins…) jouant de nos sensations et de nos sentiments avec une remarquable virtuosité. ? Un univers qui emprunte à l’imagerie populaire, à l’art brut comme à l’art savant, suscitant chez le visiteur des sensations contradictoires, entre attraction et répulsion. « Étre une artiste signifie guérir continuellement ses propres blessures, et en même temps les exposer sans cesse ».
Le corps de la femme
Dès 1972, avec Les Approches, l’artiste zoome sur les braguettes d’hommes dans la rue, comme une chasseuse de trophées… Avec Annette Messager truqueuse : La Femme à barbe (1975), elle s’y photographie affublée d’une longue barbe, récupération ironique du marquage sexuel, avec d’autres images, les poils pubiens sont réinterprétés à l’envers comme une barbe. Avec Mes Jalousies (1972), elle peignait des rides et des dents manquantes sur les portraits de jeunes femmes, annulant ainsi beauté et jeunesse d’un trait de feutre ! Avec Les Tortures Volontaires (1972), elle compile des photos, découpées dans les magazines, de masques correcteurs ou d’appareils que les femmes utilisent en vue de modeler leurs formes, leurs corps. Toujours la destruction des clichés féminins, inspirée également par le surréalisme et l’obsession du corporel. Elle n’a de cesse de mettre en scène l’identité et la condition de la femme, alliant aux « travaux de jeunes filles » et « ouvrages de dames », une appropriation subversive des codes, rites et pratiques d’un quotidien qu’elle transforme en autant de « mythologies individuelles » riches de « mensonges et promesses » pour reprendre les mots du critique Bernard Blistène.
Collectionneuse
Au gré de ses œuvres, Annette Messager s’est, entre autres, instituée « Collectionneuse », Femme pratique », « Truqueuse », « Colporteuse » ou (enfin !) « Artiste ». L’artiste prend à témoin l’histoire sociale, ses combats, ses interdits comme ses répressions, pour mettre l’homme, ses perversions, ses fantasmes, sa condition, aux prises avec les objets et signes qu’il invente pour subsister face au monde. Après les travaux intimistes du tout début des années 1970, elle réalisera de très grandes installations dans les années 1990 et 2000, installations techniquement sophistiquées qui intègrent progressivement le mouvement et une dimension cinétique. Ses installations combinent photographies et étranges et mystérieuses scénographies avec ficelles, filets, animaux naturalisés ou peluches, objets cousus… Annette Messager est une bricoleuse qui aime les patchworks, un grand fourre-tout disparate, une accumulation d’objets et de sens. Dans l’une de ses œuvres les plus célèbres, Jour de deuil (1994), des photographies de détails de portraits et de corps pendent du plafond à l’aide de fils de laine.
Colporteuse de chimères
Au couvent des Cordeliers à Paris, en 2005, elle expose un voile long de 45 m sur 8m qui recèle des des silhouettes et des motifs cachés, qui brillent dans la nuit. Toujours en 2005, c’est une métaphore du corps humain qu’elle met en scène au pavillon français de Venise, rebaptisé « Casino » pour l’occasion : « petite maison » en italien, mais surtout salle de jeu, un terme qui convient autant à son travail qu’au contexte de la Biennale de Venise, cette compétition internationale où chaque artiste joue son va-tout. Collectionneuse de proverbes, elle s’en était donné un pour mieux se lancer dans l’aventure : « Qui perd gagne. » Au jeu de l’art et de la vie, Annette Messager sait combien le triomphe est affaire de modestie. « Je suis la colporteuse de chimères, la colporteuse de rêves simiesques, des délires arachnéens. Je suis la truqueuse, la truqueuse des photos repeintes, des agrandissements d’images, des lentilles déformantes. Je suis la menteuse, la messagère des fausses prémonitions, des amours douteux, des souvenirs suspects, la dompteuse des araignées de papier ».
[gris]Patrick Rémy
[gris]Annette Messager est représentée par la galerie Marian Goodman (Paris et New York).[/gris]