Portrait d’artiste : Vanessa Beecroft
Le 27/04/2009
Jeune femme captivante à l’attitude provocante, d’allure pourtant clean et relativement discrète, Vanessa Beecroft se donne à lire par le biais de ses avatars performatifs aux corps instrumentalisés. L’ensemble de ses actions, présentées comme déclinaisons initiales éponymes, mettant en scène des hordes de femmes de tout âge, dénudées froidement et livrées aux regards cannibales des spectateurs/participants. Ne rejetant pas insensiblement d’un bloc le monde du luxe et de la mode, bien au contraire, elle l’intègre, l’assimile parfaitement. Elle présentera d’ailleurs Show (VB35) au musée Solomon R. Guggenheim de New York en 1998 à l’initiative de la société de conseil en commissariat d’exposition Yvonne Force Inc. (consultable sur la page : http://www.yvonneforceinc.com/). Confiant pour la première fois la réalisation des vêtements utilisés lors de cette performance à Tom Ford et le maquillage à la non moins célèbre Pat Mc Grath, se réappropriant là encore les codes signes et acteurs intervenant directement dans l’organisation d’un défilé de haute couture. Liaisons qui se confirmeront de nouveau lors de son intervention pour Louis Vuitton en 2006 au sein de ses locaux parisiens.
Biographie scénarisée : entering V.B.
Son goût pour la provocation s’exprime jusque dans la mise en ligne de son site Internet : http://www.vanessabeecroft.com. Il s’ouvre sur une invitation émoustillante à venir caresser inlassablement du curseur le message de bienvenue : « Enter Vanessa Beecroft », afin de le révéler graduellement, par à coups ciblés. Alors Let’s go & Enter VB… Née en 1969 à Gênes, vivant à New York, elle est américaine d’origine italienne. Etudiant tout d’abord l’architecture au Civico Liceo Artistico Nicol de Gênes, la linguistique aux Beaux Arts (Gênes) puis la scénographie à l’Accademia Di Belle Arti Di Brera (Milan), elle note lors des cours de modèle vivant, que la confrontation modèle/élèves l’intéresse plus dans son immédiate crudité, frontalité, que le dessin final en résultant. Enfant du postmodernisme son art est caractérisé par un recyclage de formes préexistantes mixage et remixage des codes culturels de la société de consommation de luxe qu’elle simule via des mises en scènes rigoureusement orchestrées. Elle s’inscrit dans la lignée de la performance artistique initiée par l’actionnisme viennois mettant en action le corps, l’espace et le temps en tant que matériaux même.
Performances carnassières & normalisation des corps
Sa carrière artistique s’enclenche dès 1993 avec une performance intitulée VB01 soit Vanessa Beecroft 01. L’ensemble de son oeuvre étant dès lors regroupée sous cette appellation éponyme. Elle recrute des jeunes filles à la sortie de l’école les persuadant d’investir la galerie revêtues de vêtements lui appartenant, prenant la pose (station debout, assise ou couchée). La perf entrait en résonance avec un travail de fin d’études regroupé sous le titre Despair ou Book of Food, journal recensant systématiquement entre 1985 et 1993, tous les aliments qu’elle avait ingurgités heure après heure. VB01 marque le début d’une longue série de performances (VB61 en 2007). Actions provisoires déployées le temps d’une soirée inaugurale investissant musées, galeries, où encore espaces privés, documentées ensuite par le biais de films et/ou photographies, seules traces résiduelles de ces tableaux vivants éphémères. Les corps normés :jeunes femmes de type caucasien blondes glaciales, nues ou tenant lieu de portants enjoliveurs d’éléments vestimentaires ostentatoirement luxueux (VB26…), militaires en uniforme (VB39…) standardisés, s’offrent imperturbablement aux regards carnassiers des spectateurs/voyeurs, revendiquant un rapport critique évident à la Société du spectacle (Guy Debord). Mais son engagement ne la place par pour autant dans la lignée de l’Internationale situationniste, son travail tenant plus d’un constat froid que d’une implication à tendance révolutionnaire. Le côté hyper statique de la performance ne laisse aux témoins aucune possibilité d’interaction et ce dans un laps de temps très resserré. Frustration exacerbée au maximum réfrigération des perceptions.
Briser le silence : mises en scène cinématographiques
En 2002, VB51 accompli au château de Vinsebeck à Steinheim, luxueuse résidence d’été d’une riche famille de la haute aristocratie allemande, s’inspire du film d’Alain Resnais, L’Année dernière à Marienbad (1961 prix du lion d’or à la Mostra de Venise la même année). VB51 intègre 25 protagonistes féminines toutes générations confondues vêtues de toges Sant’Angelo immaculées délocalisant temporellement la scène vécue comme fugitive. Soit des membres de sa propre famille (mère, sœur et belle-mère), des représentantes de l’aristocratie locale et deux actrices allemandes : Irm Hermann et Anna Schygulla (muse de Rainer Werner Fassbinder). Anna Schygulla brise le silence déclamant des fractions du Winterreise de Franz Schubert. Cette performance, centrale dans l’œuvre de l’artiste, est la première dont le film est considéré en tant qu’œuvre à part entière et non plus retransmission de l’évènement, les spectateurs font partie intégrante de l’objet définitif. Un nouveau cap est franchit brisant le silence. Au Castello di Rivoli à Turin en 2003, est projeté VB52 ; réalisé en 2001 au Palazzo Ducale de Gênes parallèlement au G8. Cette action met en scène des femmes appartenant, à l’instar de VB51, à l’aristocratie turinoise ainsi que des membres du personnel du musée, de sa famille ou des mannequins ayant déjà travaillé pour elle auparavant. L’évènement se déroule dans plusieurs salles du palais disloquant la frontalité des actions antérieures pour aboutir à l’installation principale figurant une Cène colorée directement inspirée par la Renaissance italienne. Trente deux femmes sont disposées de la plus âgée à la plus jeune, de la plus vêtue à la plus dénudée, sur d’immenses table et bancs de verre. Leurs tenues restituant des dégradés prismatiques. Des garçons leur servent successivement des repas blancs, verts, rouges, oranges…. VB52 faisant écho ici à VB01 et Despair (Book of Food).
Louis Vuitton : incursion dans la communauté du faste ostentatoire image
En 2006 répondant à une commande de Louis Vuitton liée à son espace parisien, est réalisé VBLV Alphabet Concept. A partir d’assemblages de corps de femmes nues, Vanessa Beecroft réalise des signes typographiques. Ainsi que des photographies de jeunes femmes peu ou pas vêtues imbriquées dans des compartiments/présentoirs originellement dévolus aux valises et autres produits d’apparat. Elles se donnent à voir comme autant de marchandises inaccessibles et inabordables. Anthon Beeke, graphiste et designer néerlandais né en 1940, revendique la paternité de cette œuvre. Effectivement en 1970 il éditait chez De Jong & Co un alphabet identique. En novembre 2007 dans un communiqué effectué de concert avec le malletier elle renonce à tout usage de son Alphabet Concept lui cédant ses droits d’auteur. L’ouvrage VBLV publié par les Edizioni Charta en septembre 2007 est par conséquent immédiatement retiré de la vente (annonce encore visible sur son site Internet). Or comme le signale à juste titre Philippe Dagen (Le Monde, 28/11/07) Reste un point d’histoire : bien avant Anthon Beeke et Vanessa Beecroft, l’idée de dessiner des lettres avec des corps nus avait séduit les premiers imprimeurs du début du XVIe siècle. Ils cherchaient alors à associer les proportions idéales de l’homme à celles de son écriture. Proportions idéales pour marchandisation globale.
Engagements politiques et influences : prise de position
Still Death ! Darfur still Deaf ? (2007) à la Pescheria di Rialto inaugure la 52ème Biennale de Venise et la 61ème intervention de l’artiste. Performance mettant en scène 30 femmes d’origine soudanaise couchées sur une toile lactescente, le corps maquillé d’irréalité charbonneuse. VB vient maculer progressivement leurs anatomies d’encre écarlate déversée par seaux entiers en réaction au massacre ayant cours au Darfour. Fortement influencée par Guy Bourdin Helmut Newton aussi bien que par l’actionnisme viennois, Vanessa Beecroft, développe un travail de plus en plus politique les corps devenant prétextes dénonçant les aberrations capitalistiques. "Pas de téléphone, pas de TV, pas de voiture, pas de viande. Ma mère était contre la société moderne. Elle était fâchée contre tout." (VB)
[gris]Saskia Farber
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Elle est représentée en France par la Cosmic galerie, Analix Forever à Genève, Clampart à New York & Artoc Ltd entre autres. Son travail à fait l’objet de nombreuses expositions personnelles (musées & foires d’art contemporain) : Fondation Peggy Guggenheim de Venise, Palazzo Ducale de Gênes, Kunsthalle de Vienne, Guggenheim de New York, Petit Palais de Paris, Fondation Cartier pour l’art Contemporain de Paris, Biennale de Venise ou encore dans des lieux publics plus improbables tels que l’aéroport JFK.[/gris]