La nudité faite homme

2ème partie : Réalisme et politique du nu

Le 11/04/2009

L’apparition de la photographie coïncide avec des bouleversements de la représentation du corps et de la société. Les images photographiques se font le témoin d’une réalité bien moins idéale que ce que voulait bien nous faire croire la statuaire gréco-romaine. Le corps devient un outil d’information, de propagande, d’expression idéologique ou contestataire.

Réalisme et pornographie photographique

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À la fin du XIXe siècle apparaissent des reproductions fidèles, impitoyables du corps humain, évolution parallèle à l’apparition de la photographie. Le courant du réalisme en peinture fait écho au réalisme littéraire de Maupassant, Flaubert, Balzac, Hugo. Les réalistes refusent la vision idéalisée et aseptisée de la condition humaine véhiculée par les œuvres d’art. Le photographe anglais Thomas Eakins (1844-1916) se spécialise dans la photographie de nu, il était fortement influencé par l’art antique. "Elle [la nudité féminine] est la plus belle chose qu’il y ait dans ce monde, excepté la nudité masculine..." Enseignant à l’Académie des Beaux-Arts de Pennsylvanie, il encourage ses élèves à dessiner de manière réaliste et recommande fortement l’emploi de la photographie. En 1884, son tableau The swimming hole (représentant 6 hommes en train de se baigner ensemble) est refusé lors d’une exposition organisée à Philadelphie. Les corps nus masculins y sont trop réalistes et la proximité des sujets choque, on reproche à Eakins le caractère homosexuel de son oeuvre. En 1886 il est renvoyé de son poste de professeur à l’académie de Pennsylvanie pour avoir proposé un modèle masculin à un public féminin lors d’un cours d’anatomie.

Le corps fascisé

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Le corps antique glorifiant la force virile ainsi qu’un certain idéal de beauté, il bénéficie d’un regain d’intérêt auprès des dictatures fascistes et des idéologies nazies. Le corps mute en un outil de propagande idéologique au service du pouvoir en place. Si le naturisme est d’abord considéré comme subversif et la baignade et autres activités de plein air supprimées par Goering, en 1942 il est de nouveau autorisé. Ce changement s’explique par la nomination d’Hans Süren à l’éducation physique à la direction du service du travail. Son concept nouveau d’éducation physique différenciée selon les races cadre parfaitement avec l’idéologie d’Hitler. C’est le début du culte de la beauté aryenne. Leni Riefenstahl (1902-2003) devient la photographe/réalisatrice attitrée du gouvernement nazi. Impressionné par son film, La Lumière bleue (Das blaue Licht), réalisé en 1932, Adolf Hitler lui demande de filmer les congrèss du parti nazi de Nuremberg ; dont elle tirera les films : La victoire de la foi (Sieg des Glaubens - 1933) et le Triomphe de la volonté (Triumph des Willens – 1934). En 1936, lors des Jeux Olympiques de Berlin, elle réalise Les Dieux du stade. Les Dieux du stade s’ouvrent sur un plan de statues grecques en fondu enchaîné sur les athlètes de chair et d’os. L’athlète Erwin Huber succède au discobole de Myron. Le film couvre 136 évènements sportifs et mobilise plus de 45 cadreurs. Les athlètes sont refilmés longtemps après la fin des jeux dans le stade déserté. Le résultat : 250 heures de prises de vues : entraînements, sélections, compétitions… "Dans l’Allemagne d’Hitler, le nu masculin devint un symbole politique, (…) Les nazis élaborèrent une distinction fondamentale entre le nu privé et individuel et sa représentation symbolique. Ils n’encourageaient pas le spectacle public de la nudité et la nudité individuelle des personnes était considérée comme honteuse. C’est la raison pour laquelle les images d’athlètes nus étaient toujours montrés dans un cadre extérieur, en général naturel, et en mouvement afin d’évacuer de l’image toute connotation sexuelle." (3). Les nus d’Arno Breker, inspirés eux aussi par l’art grec, et datant de la même période, présentent l’image d’un surhomme bien plus que celle d’un homme.

Body Art et happenings

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Le Body Art est un courant des années 60 et 70. Il a surgi à la fin du modernisme. C’est un mouvement novateur qui remet en question l’idée du corps. En soulignant la singularité des corps et les différences spécifiques, (sexe, race, âge) le Body Art exprime l’émancipation du corps. Les premiers artistes issus du Body Art étaient principalement des féministes se battant contre la domination masculine du modernisme. Quand le discours féministe a évolué durant les années 80, l’art a suivi. La représentation du corps était liée à un fétichisme phallocentrique à rejeter. De ce fait, le corps comme entité singulière et sexuée s’est progressivement effacé de la perspective artistique. L’œuvre de Pierre Molinier a fortement influencé le Body-Art, dans les années 60, il se consacre à la photographie et plus précisément à l’autoportrait. Il utilise le photomontage. Son travail consiste à prendre des photographies de lui-même apprêté, épilé, maquillé (masqué d’un loup et vêtu de guêpière ou corset, gants, bas et talons aiguilles), des photographies d’amis et des clichés de mannequins, puis à découper les silhouettes ou des éléments de corps et à les recomposer dans une photographie finale du collage, image idéalisée de lui-même. Dans les années 70, l’œuvre autobiographique et provocatrice de Molinier inspire la jeune génération d’artistes tels Castelli, Klauke, Lüthi ou Journiac qui flirtent avec la mise en danger de l’autoportrait ambivalent et sexué. Figures de la « subculture », ils mêlent androgynie, travestisme, revendications féministes, homosexuelles et transsexuelles. Michel Journiac considère le corps comme "une viande consciente socialisée". Le corps n’est désormais plus seulement un sujet, il est un moyen. Le travail de Journiac permet au corps de passer d’un état passif, rendu obligatoire par la société de consommation, à l’état actif. Ce corps actant de l’artiste, qui dérange quelquefois, oblige le spectateur à ouvrir les yeux et fait éclater les carcans dans lesquels la société nous enferme. (Charlotte Muckensturm pour exporevue.com, mars 2004)

Art contemporain

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Le photographe Robert Mapplethorpe (1946-1989) scandalisa l’Amérique puritaine en mettant la sexualité au cœur de son art. Le sujet est parfois cru mais la mise en scène toujours frontale et aseptisée. L’artiste privilégie le noir et blanc et une esthétique très photo de mode. Mais dans les années 90 l’art contemporain est passé d’une représentation du nu individuel au nu collectif. Le travail de Spencer Tunick en est l’illustration parfaite. Il est connu pour ses installations et compositions photographiques où figurent des centaines de volontaires, hommes et femmes, posant nus, dans un cadre urbain. En 2007, il réalise une installation sur le glacier d’Aletsch pour sensibiliser au réchauffement planétaire, en collaboration avec Greenpeace. Depuis 1994, il a organisé plus de 75 installations temporaires similaires à travers le monde. D’autres artistes comme Oleg Kulik, Andreas Gursky ou encore Wolfgang Tillmans proposent une vision politique du corps. L’histoire de la représentation du corps constitue donc un observatoire pertinent pour comprendre et suivre les mutations de la société. Un passage s’est effectué du corps chrétien au corps biologique, nous vivons actuellement l’avènement du corps technologique. Courrier International annonçait dans son N° du 28 Octobre 1999 qu’en 2010 nous serions capable de créer entièrement en labo des oreilles en silicone, des dents en corail, reconstituer des articulations artificielles de l’épaule, des mains, fabriquer un cœur entièrement artificiel… Si l’homme envisage d’intégrer de plus en plus d’éléments robotiques pour " augmenter " son potentiel, quel sera son rapport au corps ? Pour Stelarc, artiste australien du body art : " l’évolution s’achève quand la machine envahit le corps ". Saskia Farber Notes :

(3) Francine Barthe-Deloizy, Géographie de la nudité, Editions Bréal, 2003

Sources :

Jean-Paul Thuillier, Le sport dans la Rome antique, Errance, Paris, 1996 Maurice Sartre, Histoires grecques, éd. Le Seuil, Paris, 2006. Abigail Solomon-Godeau, Male Trouble, A Crisis in Representation, Thames & Hudson, New-York, 1997 Peter Woditsch, Les musées secrets, documentaire, Belgique, 2007, 74mn Jean-François Hamel, Revenances de l’histoire. Répétition, narrativité, modernité, Éditions de Minuit, 2006 http://www.mapplethorpe.org http://www.spencertunick.com/

Commentaires (1)

  • GgMVTpRD

    BION I’m ipmrsseed ! Cool post !