Le vêtement, pas si innocent...
Le 13/04/2009
Un vêtement n’est pas innocent. Chaque matin, quel que soit ce que nous décidons de porter, nous portons avant tout le rôle du personnage que nous avons envie d’être. De la même manière que nous ne portons pas le même jugement ou le même intérêt à un homme en costume-cravate ou en short et tong, une femme n’est pas tout à fait la même et n’envoie pas le même message en robe et talons qu’en pantalon et chaussures plates. Cela ne signifie pas pour autant qu’il existe des vêtements érotiques et d’autres pratiques. Cela ne signifie pas non plus que nous, femmes, restions cantonnées à un seul rôle. Au-delà des signes qu’il envoie, le vêtement influence notre attitude toute entière, notre posture. En enfilant une panoplie masculine, nous nous sentons plus combative, tandis que nous sommes plus lascives dans notre peau de femme. Nos vêtements sont un message destiné à être lu et interprété. La sociologue Frédérique Giraud, commentant un numéro de la revue Le Sociographe consacré au vêtement, écrit : « En matière vestimentaire, il existe des codes, des normes, même si nous n’en avons pas toujours conscience. L’habit ne s’épuise pas dans ce à quoi il sert explicitement. L’acte de se vêtir manifeste symboliquement ou par convention une essence, une ancienneté, une tradition, une caste, une religion, une génération, une position sociale, un rôle économique... Il rend visible et consacre les clivages, les hiérarchies et les solidarités. » La psychanalyste Sylvie Pouilloux montre, elle, que la construction vestimentaire est une construction que l’on fait autant pour soi que pour les autres. « Par le vêtement, nous élaborons un discours pour autrui. Le vêtement est un discours, une seconde peau, il signale des propriétés sociales, révèle des craintes, le désir de laisser paraître quelque chose de sa filiation ou de soi-même. »
« La frivolité essentielle »
Le vêtement protège des intempéries comme il préserve la pudeur. Historiquement il est même difficile de déterminer quel rôle il a joué en premier. En Afrique et en Océanie, l’arrivée du pagne et des étuis péniens est à peu près contemporaine à l’arrivée des peaux de bêtes qui ont protégé du froid les hommes du nord. Dans la plupart des sociétés anciennes, les organes sexuels, tout comme les parties du corps qui provoquent le désir, devaient être dissimulés, éloignés des regards. En masquant le corps et ce qu’il peut traduire de nos émotions (en particulier l’érection de l’homme), on a libéré la parole qui exprime le désir et devient ainsi une étape préliminaire à nos instincts primaires. Si nos émotions ne se voient pas, alors il faut les énoncer avant de se jeter sur l’objet de son désir. (...)
Histoire, vêtement et sexualité
On reconnaît une période de l’histoire à la seule vue des vêtements que l’on y portait. Un costume d’époque suffit à identifier une période, de la préhistoire au siècle des lumières, des années 50 aux costumes du futur. (...) Au XIXème siècle, la restauration de la monarchie emprisonne à nouveau le corps de la femme, c’est le retour à la « femme convenable », aux codes de la Renaissance, aux corsets dont le V descendait jusqu’au pubis, aux crinolines et aux cerceaux, trilogie de la torture et son cortège de malaises, ligotant, bâillonnant le corps des femmes, les empêchant de respirer. Quel épanouissement est possible sous cette rigidité ? C’est justement dessous qu’il faut regarder. Jusqu’au XXème siècle, les femmes portèrent exclusivement des robes longues. Les éventuelles libertés se manifestaient au niveau des décolletés qui pouvaient être vertigineux, ou bien sous les robes elles-mêmes qui cachaient l’essentiel du temps une absence de culotte ou une culotte longue mais ouverte en son milieu. La robe a donc toujours laissé symboliquement le « libre accès » au sexe, et laissé vivace l’idée d’un sexe sans entrave à peine caché sous la robe. Jusqu’à il y a à peine 100 ans, les femmes avaient leur sexe « à portée » de mains, qu’il s’agisse d’autres mains ou des leurs…Il suffisait de trousser la robe. Depuis 100 ans, il y a eu la révolution féminine, l’apparition du pantalon (durant la Seconde Guerre mondiale) et parallèlement une nouvelle forme d’enfermement du corps. (...)
Ce que le vêtement dit de notre épanouissement sexuel
« Il est moins facile de lire l’épanouissement sexuel d’un individu à ses vêtements que l’épanouissement sexuel d’une société toute entière,nous dit Frédéric Monneyron. Car l’individu peut jouer avec ses vêtements, se cacher, tromper son monde ». Pourtant, certains signes ne trompent pas. Là encore, il s’agit de contrôle. Le brushing aussi rigide qu’un casque de moto ou le chignon serré et laqué, le chemisier fermé jusqu’au dernier bouton, le maquillage si épais qu’il en devient un masque, les parfums trop présents et capiteux sont autant de signes qui signalent que cet apparat est exempt de sensualité et si le désir de séduire c’est-à-dire d’éprouver un pouvoir sur l’autre est présent, la notion de plaisir, elle, n’y est pas. De manière plus subtile, les codes de la mode actuelle sont sensiblement les mêmes : des vêtements très architecturés, fermés, et si transparence il y a ici où là, elle est vite compensée par la notion de surcouches. Le marketing et la publicité de ces vêtements disent une chose (l’érotisme et le désir à tout prix, quitte à les vider de toutes substances) et le vêtement en dit une autre (rigidité et enfermement sont de retour). Il est intriguant de noter, qu’en plus d’un siècle de couture et modes, depuis Coco Chanel très peu de femmes créatrices de mode ont éprouvé la nécessité de créer des vêtements qui continuent de libérer la femme et de poser la question de ce qu’elle est vraiment aujourd’hui. A notre connaissance, une seule s’est obstinée à faire un vêtement féminin, pratique et volontaire à la fois, doublé de la volonté a priori paradoxale de libérer son corps de toute entrave pour que le désir puisse éclore à chaque instant de sa journée ; en résumé, une robe d’executive woman dans le velours de la lascivité. Diane Von Furstenberg, puisqu’il s’agit d’elle, a créé dans les années 70, une robe portefeuille en jersey de soie, qui se noue devant pour que la femme contrôle et qui s’enlève en un seul geste en tirant sur l’unique ruban, qui épouse les formes du corps, et qu’elle continue sans cesse de renouveler à chaque saison. (...)
Les vêtements symboliques de la sexualité
Vêtements, sous-vêtements, nous savons toutes qu’il y a des codes derrière les choix que nous faisons. Mais au-delà du regard de l’autre, encore faut-il prendre conscience du pouvoir que ces vêtements ont sur nous-mêmes. Certains vêtements, quelle que soit leur histoire, véhiculent un imaginaire érotique qui stimule autant l’une que l’Autre. Mentalement, nous ne serons pas la même avec des bas ou dans un jogging, avec un corset qu’avec un soutien gorge, avec des talons qu’avec des baskets. Notre attitude sera différente car nos sensations seront différentes. Après avoir été voué aux gémonies et avoir fait souffrir les femmes pendant des siècles, le corset, le bas et d’autres clichés encore, s’affichent dessus quand la mode les désincarne et se cachent dessous lorsqu’ils ont pour objectif de conserver leur fonction sexuelle. Avec Madonna et Jean-Paul Gaultier, ils sont visibles et véhiculent une image de la femme conquérante, tandis que dans les soirées libertines ils contribuent à la jouissance. (...) La chaussure à talons, sa cambrure, la finesse de son aiguille ont des fonctions érotiques qui caressent même l’anthropologie. Agnès Giard en fait une remarquable synthèse (« Talons hauts : défier les lois de l’apesanteur », SecondSexe.com). « D’après le Harper’s index, les talons hauts font ressortir les fesses de 25% environ. Pour le sexologue Alfred Kinsey, la jambe féminine adopte alors la même attitude que pendant l’orgasme : « le pied se tend jusqu’à s’aligner avec le mollet » dit-il. Linda O’Keefe, auteur du livre Chaussures précise même : « La cheville en tension et le pied dans le prolongement de la jambe sont les signes quasi-biologiques de disponibilité sexuelle. Le talon aiguille impose au pied une position que les anthropologues appellent « parade de séduction ». Le centre de gravité se déplace vers l’avant, la courbe des reins s’accentue, les jambes s’allongent, le cou-de-pied devient sinueux comme un cou de cygne… L’effet de suggestion est tel qu’aucun homme ne peut y rester insensible ».
Ce que le vêtement dit de notre société aujourd’hui
(...) Depuis la fin des années 80, sont apparues les superpositions. Des pulls sur d’autres pulls, des robes sur des pantalons, des chaussettes sur des collants. On court-circuite le désir. Pour Frédéric Monneyron « Plusieurs couches, emboitements sont des constantes de la mode depuis le début des années 90. C’est significatif d’un monde qui a peur, qui se replie sur soi, sur l’intime. Nous sommes dans une société dépressive, une société qui a peur. On voit par exemple les sous-vêtements apparaître sur les vêtements. Mais un soutien gorge apparent c’est la négation du désir. Par définition, le sous-vêtement est fait pour ne pas être vu. Il tient sa charge érotique du fait qu’il ne peut être vu que dans la sphère intime. A partir du moment où on le met dessus, il perd toute charge érotique. Avant, quand une femme sentait la bretelle de soutien gorge qui sortait, elle la remettait aussitôt en place. Aujourd’hui on la montre délibérément, et c’est significatif d’un désir qui est en berne. C’est la même chose pour le string. 70% des hommes trouvent que le string qui sort du pantalon n’est pas érotique. Encore une fois, si on expose, on perd la charge érotique. Les vêtements qui s’accumulent vont dans le même sens. Une société pas très à l’aise et qui a désormais des difficultés avec la sexualité. Les psychanalystes le confirment car ils voient un grand rajeunissement de leurs patients. Et bien souvent des patients qui n’ont pas du tout de vie sexuelle. Les images dont on nous abreuve sont trompeuses ». (...)
Loin de nous l’idée d’une dictature du vêtement, qu’il soit ouvert ou fermé, provoquant ou pudique. Il est des jours où la femme a un réel besoin d’affronter le monde en pantalon, pour conquérir sa place dans la société ou simplement détourner le regard concupiscent des hommes. Mais se pose malgré tout la question de ce qu’est la féminité aujourd’hui ? En se glissant dans le costume de l’homme nous avons obtenu notre émancipation économique, mais dans ce même costume, nous avons contraint nos chairs et quelques fois aussi brimé nos pulsions érotiques. La question se pose de savoir s’il ne serait pas temps aujourd’hui de continuer ce travail d’émancipation économique et charnel en enfilant de nouveau un vêtement qui nous soit propre, qui soit le reflet de notre identité, ou bien si au contraire, la question de la différentiation homme/femme n’en n’est plus une, et que les signes d’une mode unisexuelle ne sont que les prémices d’un nouvel ordre général.
Sophie Bramly
Extrait de "L’orgasme on s’en fout, éloge du plaisir féminin", avec l’aimable autorisation des Editions Fetjaine / Lamartinière.
Commentaires (1)
Kudos to you ! I hadn’t thoguht of that !