La chirurgie de l’intime
Rajeunir, repulper, lifter : l’Ève future et les paradis artificielsLe 25/06/2010
" Nous allons, puisque vous le désirez, examiner, d’une façon sérieuse, l’organisme de cette créature nouvelle (…) de cette ÈVE FUTURE, enfin, qui, aidée de la GÉNÉRATION ARTIFICIELLE (…) me paraît devoir combler les vœux secrets de notre espèce ".
Villiers de l’Isle Adam, l’Ève future, 1886
Dans L’Ève future (1886), l’écrivain Villiers de l’Isle Adam imagine l’histoire de Lord Ewald amoureux d’une femme dotée d’une grande beauté mais dépourvue de sensibilité (artistique & amoureuse). Ewald confie son désarroi à son ami Thomas Edison qui lui propose de créer une créature mécanique, sosie de sa bien-aimée, mais dotée d’une grande sensibilité. Si la chirurgie esthétique promet aujourd’hui des perfectionnements physiques et sexuels, on est en droit de se poser la question de la sensibilité. Y a-t-il réellement gain ou perte ? Gain du potentiel de séduction contre perte des sensations… Cette « inquiétante étrangeté », inhérente au « continent noir » de la psychanalyse qu’est la sexualité féminine, est-elle préservée dans l’acte chirurgical ? Pour les femmes l’accent est plus souvent mis sur la réparation et la reconstruction alors que pour l’homme il s’agit fréquemment d’améliorer les performances de manière directement assumée. Le vocabulaire employé diffère sensiblement. La chirurgie a souvent été employée pour se refaire une virginité, la simuler en reconstruisant l’hymen afin de satisfaire à des critères d’ordre religieux mais certains praticiens refusent d’y avoir recours par déontologie… Comme le rappelle le chirurgien Pierre Nahon : « Ces interventions, jamais anodines, relèvent de procédures chirurgicales complexes comportant des avantages, certes, mais aussi des inconvénients. C’est une évaluation précise de ce rapport bénéfices-risques qui préoccupera le bon chirurgien avant qu’il n’accepte d’opérer ».
Vaginoplastie ou rajeunissement vaginal
En chirurgie esthétique, le terme vaginoplastie peut renvoyer à deux types d’interventions chirurgicales distinctes ; soit l’opération de rajeunissement du vagin soit la transformation du pénis en vagin dans le cadre d’un changement de sexe.
Dans le premier cas, la vaginoplastie permet le resserrement du plancher musculaire. L’opération a pour objectif de diminuer le diamètre intérieur et extérieur du vagin, de fortifier le périnée et de renforcer les muscles. Coût de l’opération : de 1 500 à 4 000 €. L’American College of Obstetricians and Gynecologists avait lancé un avertissement en 2007 (1) contre ce type de chirurgie. L’opération aurait des effets indésirables importants : infections, cicatrisations difficiles, nerfs endommagés, pertes de sensation, dépressions ou troubles psychologiques. Ce qui n’empêche pas ce type d’opérations d’être très fréquent. Si l’intervention permet de gommer les conséquences d’un ou plusieurs accouchements, la liste des risques est assez lourde pour n’envisager ce type d’intervention qu’en EXTREME dernier recours.
Avant de s’allonger sur une table d’opération, il faut surtout aller s’allonger sur celle d’un kiné ou d’une sage-femme pour une rééducation du périnée, tout en douceur et en efficacité. Coût de la méthode : 0 euro, (la sécurité sociale rembourse à 100% les 10 séances).
Dans le second cas de figure, il s’agit d’une vaginoplastie réalisée dans le cadre d’un changement de sexe (opération de réassignation sexuelle), c’est à dire la création d’un néovagin. Un néovagin n’est pas sensible, néanmoins, il est possible d’avoir un orgasme avec un sexe « artificiel ». Dans son ouvrage Le Sex appeal de l’inorganique, Mario Perniola, professeur d’esthétique à l’université de Rome, s’insurge : « Les corps sont devenus des rouleaux de tissu à déplier et replier l’un sur l’autre, de sorte que l’on peut finalement procéder à l’établissement d’un nouvel ordre et mettre la soie avec la soie, la laine avec la laine et la toile avec la toile (...). Les organes sont des habits dont sautent boutons et coutures et qui retournent à la condition de pièces de tissu ouvertes à travailler : on peut ainsi les assembler et les séparer suivant de nouveaux critères qui ne correspondent à aucune fonction et aucun but ». (2) Le plaisir est avant tout mental selon lui, il est possible de créer, par la pensée et par l’action, un autre rapport érotique. En ce qui concerne les sensations purement physiques, le témoignage (3) post-opératoire d’Alexandra, MtF (Male to Female), s’avère particulièrement rassurant : « (…) j’ai conservé toute ma sensibilité, la chirurgie a impacté au minimum mes terminaisons nerveuses. En effet, mes nouvelles sensations ressemblent à celles que j’avais avec mon pénis, ce qui me pousse à conclure que je n’ai finalement rien perdu. J’arrive à la conclusion que la préservation des sensations est primordiale sur le plan psychique, et que les MtF se retrouvant sans sensations génitales après l’opération (ce qui arrive en cas d’utilisation de techniques opératoires moins que parfaites) doivent vivre l’enfer. »
Nymphoplastie ou labioplastie
Le chirurgien Xavier Latouche explique que la vaginoplastie est « (…) proposée à une femme qui a habituellement connu un plaisir normal avant la ou les grossesses [lui permettant] de retrouver l’anatomie et le bon fonctionnement de son intimité tels qu’ils étaient antérieurement. La labioplastie ou nymphoplastie, s’adresse à de plus jeunes femmes ou jeunes filles dont l’épanouissement sexuel a pu être entravé par une hypertrophie des petites lèvres. La correction de cette disgrâce doit donc permettre de restaurer une bonne image de soi et un fonctionnement sexuel harmonieux. »*. La chirurgie réparatrice des grandes et petites lèvres vise ainsi à corriger des dissymétries de longueur, largeur ou épaisseur. Coût de l’opération : de 2 000 à 4 000 €. Selon le docteur Robert H. Stubbs, chirurgien plasticien à Toronto, certaines femmes avec des grandes labia minora ont des douleurs pendant les rapports, parce que les lèvres sont réellement "tirées dedans". L’hypertrophie ou l’asymétrie des labia minora peut causer friction et gêne lors les activités journalières ou lors du port de certains vêtements (trop serrés), tel que le pantalon. Mais souvent, des femmes sont simplement tracassées par leur aspect, elles désirent un sexe pré-pubère par souci de mode, comme si pouvait être nymphe, qui veut, à n’importe quel âge. Jocelyne Robert, sexologue et auteure de l’ouvrage Le sexe en mal d’amour —De la révolution sexuelle à la régression érotique s’insurge : « Maquillées, épilées, colorées, les vulves des actrices pornos ont perdu beaucoup de leur naturel et elles ont presque toutes des lèvres très petites, qui suggèrent la jeunesse, voire l’enfance ». Les recours à la chirurgie labioplastique ne sont pas systématiquement liés à une gêne d’ordre physique mais figurent également un moyen de se conformer à des critères esthétiques normatifs. Xavier Latouche affirme « qu’ il n’y a pas d’inconfort physique qui ne rejaillisse point sur le psychique.(...) Pourtant les patientes consultent avant tout pour un problème physique. Lorsque celui-ci est résolu, il est souvent bon d’envisager un retour à l’épanouissement du couple par quelques entretiens appropriés de sexothérapie, individuels ou de couple. »* Pierre Nahon met en garde les patientes qui peuvent être déçues quand elles veulent changer, transformer ou améliorer telle ou telle partie de leur corps uniquement dans le but d’être plus performantes. Même s’il n’y a effectivement aucune raison de se priver de la chirurgie esthétique quand une intervention existe pour supprimer définitivement un défaut, et apporter le bonheur à un individu qui souffre.(4)
Réduction du Mont Venus, clitoridoplastie & plastie du point G
Avec l’âge, le mont de Vénus peut, chez certaines femmes, « s’empâter » et se détendre, notamment à cause d’un poids fluctuant. Le principe consiste à dégraisser les tissus situés à l’avant du pubis et à les remonter pour les fixer en profondeur aux muscles abdominaux. Il s’agit de l’extraction et du désenfouissement de la vulve permettant d’obtenir un ventre plus plat et de supprimer le pli abdominal inférieur. Coût de l’opération : de 2 000 à 3 000 €. Avant de débourser cette somme pour un petit pli auquel vous n’aviez peut-être jamais fait attention jusque-là, sachez que la chirurgie s’empare de presque toutes les parties de notre corps et tente ainsi d’édicter de nouvelles normes en créant de vicieux complexes et qu’il est plutôt sain de résister à ce culte du rajeunissement qui se glisse à présent dans nos culottes après avoir assiégé nos balconnets.
L’opération la plus controversée , puisque contrairement au Mont de Vénus, elle concerne directement la zone génitale et qu’elle est souvent pratiquée pour des raisons esthétiques, est celle qui consiste à réduire le capuchon (ou prépuce) clitoridien formé par l’extension des petites lèvres recouvrant le clitoris. L’heure n’est plus ici au mystère du clitoris tel que le présente le Dr Gérard Leleu : « Secret ? Oui, car caché derrière les taillis du mont de Vénus, niché au creux de la fente féminissime et dans cette fente, masqué par sa capuche comme une belle mystérieuse qui se veut incognito » (5). Selon les chirurgiens pratiquant cette opération la peau recouvrant le clitoris peut être en excès voir trop épaisse et causer une gêne esthétique, entraîner une diminution de la sensibilité et interférer dans la stimulation. « L’exérèse de peau excessive recouvrant le clitoris au centre ou latéralement permet un « désenfouissement » du clitoris ». À noter que l’O.M.S. a établi une typologie des différentes mutilations sexuelles féminines (MSF) en quatre catégories parmi lesquelles figure justement l’ablation du prépuce clitoridien (6)…
Quelle ironie, même si dans un cas il s’agit de la réduction et dans l’autre de la suppression totale du capuchon clitoridien (et non pas du gland du clitoris dont la suppression est classé dans une autre catégorie). Nos sociétés occidentales autorisent pour des raisons esthétiques une opération, alors que dans le même temps en ôtant quelques millimètres de peau supplémentaire, cette opération, si elle est pratiquée dans une société traditionnelle, est considérée comme une mutilation sexuelle.
L’opération la moins lourde chirurgicalement est celle du point G. Cette zone érectile de 2 à 3 cm est située dans la paroi vaginale antérieure à 3 cm de l’orifice vaginal, à mi-chemin entre le pubis et le col de l’utérus. Il existe une opération chirurgicale appelée « l’amplification du point G » soit une injection de 2 à 3 ml d’acide hyaluronique (HA) permettant une augmentation de la viscosité, une réhydratation des tissus. L’augmentation de volume du point G a pour objectif de le rendre plus facilement stimulable, et permettrait de remédier aux troubles sexuels entrainés par son manque de sensibilité. L’effet de l’injection dure entre cinq et huit mois. L’opération est risquée et peut entraîner un dysfonctionnement de l’appareil urinaire, de plus son efficacité n’est pas avérée, en effet l’acide hyaluronique sert à combler les rides et n’intervient donc pas au niveau sensoriel. Comme le note judicieusement le Dr Catherine Solano, l’érotisme féminin ne se concentre de toute façon pas au niveau du point G, qui ne concernerait que 10% des femmes.
Dans un article du magazine Le Point datant du 8 avril 2010, dès les premières lignes du dossier consacré à « La Nouvelle chirurgie esthétique », la journaliste Violaine de Montclos mettait l’accent sur la nouvelle donne en matière d’apparence et de « présentation de soi » dans la société contemporaine. Il ne s’agit plus d’ajustements à négocier avec son physique mais de maîtrise parfaite de son corps, de lutte contre les effets du temps, de capitalisation du potentiel physique dans le monde du travail et dans l’intimité. Rappelons, pour conclure, à l’instar de Jean-Claude Hagège (chirurgien spécialiste en chirurgie plastique reconstructrice et esthétique) qu’il est préférable de défendre « une beauté singulière par son aspect physique » et ne demander à la chirurgie que le « SMIG-Beauté », c’est à dire le Seuil-Minimum-Individuel-Garanti de Beauté (7) et non des miracles biotechnologiques qu’elle ne saurait produire.
[gris] Saskia Farber[/gris]
Sources :
(1) http://www.acog.org/from_home/publi...
(2) Mario Perniola, Le Sex-appeal de l’inorganique, Paris, Léo Scheer, 2003
(3) http://www.sts67.org/ : site de Support Transition Strasbourg
(4) Pierre Nahon, La Chirurgie esthétique, Le Cavalier bleu, 2007
(5) Gérard Leleu, La Caresse de Vénus, éditions Leduc, 2009
(6) http://www.who.int/mediacentre/fact... (aide mémoire n°241, février 2010)
(7) Jean-Claude Hagège, Votre beauté vous appartient ! , éditions Odile Jacob, 2010
* MINI INTERVIEW réalisée par Saskia Farber pour Second Sexe le 13 juin 2010 auprès de Xavier Latouche & Chantal Higy-Lang. Le docteur Xavier Latouche est chirurgien spécialisé en chirurgie plastique, réparatrice et esthétique. Ancien interne des Hôpitaux, ancien chef de clinique à la Faculté de Médecine, ex-attaché des Hôpitaux de Paris, il a exercé à l’Hôpital Boucicaut et à l’hôpital Necker-Enfants Malades. Son ouvrage La Chirurgie esthétique, écrit en collaboration avec Chantal Higy-Lang (sexologue et psychothérapeute avec qui il avait précédemment publié La Médecine esthétique), paraîtra en septembre 2010 aux éditions Hachette.
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Commentaires (5)
Mais quelle dommage que nos sexes soient eux aussi soumis au diktat de la mode.
Je n’ai jamais pensé à estimer mes lèvres, à minauder autour de mon clito qui pour moi est juste un bouton start et les boutons on s’en fout qu’ils soient beaux, on veut juste qu’ils marchent, non ?
Et dire qu’il y a encore quelques années, peu de femmes osaient regarder son intimité dans une glace, il est bien triste de constater qu’on est passé de Charybde à Scylla.
A trop vouloir souffrir pour être belle (et séduire), on en oublie que la finalité, c’est aussi de prendre du plaisir. Pas sûre qu’avec un clitoris charcuté, le résultat soit très bon.
Mylène a raison, charcuté, c’est pour décorer, pas pour s’en servir ou pour prendre du plaisir. Le goût du bel abricot m’échappe !
où vas t’on ?????
Et bien moi je souffre physiquement de mon clitoris et de mes lèvres... que se soit dans les rapports sexuels, les tenues vestimentaires, ou même en sport !! je me suis déja fais opéré une fois mais je me suis fais avoir par mon chirurgien qui n’était pas qualifié parce que j’ai encore mal !! maintenant je sais plus quoi faire pour me sentir mieux...