Les dessous du corset

Le 22/04/2009

« Un objet pour fétichiste ? Une aide pour les nécessiteux de l’érection et une relique des siècles passés ? Une époque où une femme devait être étranglée par la taille pour gagner en beauté, quitte à perdre quelques gouttes de sang en toussant sur un mouchoir ? Une civilisation de l’étouffement ? » Thomas Bouvatier, co-auteur du livre Plumes et dentelles, ne cache rien du regard sceptique, empreint de moralisme, qu’il posait au départ sur cet objet. En faisant mentir les femmes sur leur tour de taille, parfois jusqu’à l’aberration, le corset ouvrait la voie aux lèvres gonflées au collagène et autres seins siliconés. Jusqu’au jour où l’écrivain rencontra Chantal Thomass, qui lui ouvrit les yeux sur cet objet tant décrié, au point d’en faire peu à peu un véritable délice… Retour sur l’histoire d’une parure controversée.

L’épopée du dessous

L’origine du corset remonte à l’Antiquité. Aux grandes heures des Pharaons, des cités grecques et de la Rome impériale, les femmes cherchaient déjà à affiner leur taille à l’aide d’anneaux de jonc ou de bandelettes en tissu. Au Moyen Age, les jeunes filles portent des bandes de tissus entre la chemise et la robe. Mais il faut attendre le XVe siècle, et Isabeau de Bavière, femme de Charles VI, pour que le corset se rapproche de sa forme actuelle. L’objet est alors communément désigné sous le terme de « busc », en référence aux lames de bois placées dans sa doublure. On en trouve également des versions en ivoire, en corne ou encore en fanon de baleine. Puis Catherine de Médicis érige la taille de guêpe au rang de canon de la beauté. Auprès de la Cour italienne, la reine se fait l’ambassadrice de la « busquine », un corset renforcé de métal. Au XVIIe siècle, les baleines apparaissent et assouplissent enfin la rigidité du « busc ». Son usage s’étend même à la petite enfance, certains parents voyant dans cet objet une garantie de bon maintien et de port altier pour leur progéniture. A la Révolution, le corset s’efface temporairement au profit des brassières. C’est à l’époque victorienne (1820-1910) que le corset opère un retour triomphal. Il offre alors aux femmes une silhouette avantageuse : poitrine généreuse, taille fine et hanches bien dessinées. Le culte de la taille de guêpe prend une ampleur telle que certaines femmes n’hésitent pas à se faire ôter les côtes flottantes pour perdre quelques centimètres. La Première Guerre mondiale marque cependant un coup d’arrêt à ce spectaculaire engouement pour le corset. Les militaires américains demandent aux femmes de cesser d’en acheter car l’industrie a besoin de fer. Environ 28 000 tonnes de métal sont ainsi économisées. Les femmes évoluent, prennent soin de leur corps en faisant du sport et ont donc besoin de corset beaucoup plus souple avec des baleines amovibles. La féministe Hermine Cadolle, corsetière renommée, avait déjà voulu libérer les femmes du corset en 1889. En le coupant en deux et en ajoutant une protection à la poitrine, l’aïeule de Poupie Cadolle venait d’inventer le soutien-gorge. Le port du corset sera désormais un choix et deviendra du même coup un redoutable outil de séduction.

Le corset du dessus

Plus besoin de le cacher, le corset est devenu un choix esthétique, une parure qui peut dorénavant se porter sur les vêtements. Dès les années 1970, des stylistes comme Chantal Thomass revisitent l’objet. Dans son magasin rose capitonné, de la rue Saint-Honoré, Thomas Bouvatier découvre l’univers de la créatrice, un « paradis de délicatesse ». Sans complexe, l’auteur chante la perfection des corsets de celle qui lui a tout appris. « C’est un objet d’une souplesse, d’un confort tel, que je regrette de ne pas être une femme pour m’y faire cintrer et y déposer mes seins. » Mais Chantal Thomass n’est pas la seule à s’être penchée sur les secrets de fabrication de cette cage à plaisir. Créateur en 1983 de la robe corset, Jean-Paul Gaultier, acquit une notoriété planétaire avec son fameux corset à seins coniques, qui fit le bonheur des fans d’une Madonna propulsée au rang de déesse à la sensualité futuriste. Le plus grand créateur de corset est connu sous le nom de Mister Pearl. Ce géni de la corseterie, véritable passionné, utilise de vieilles techniques pour la confection de ses pièces et peut réduire un tour de taille de 10 à 15 centimètres. Christian Lacroix, John Galliano ou encore Thierry Mugler font appel à lui pour leurs collections. Quant au créateur Hubert Barrère, il réalise également des corsets pour les grands couturiers comme Chanel et Dolce Gabbana. Brodé ou perlé, le corset fait donc les grandes heures des défilés de modes de Paris, Milan ou New York. Rien d’étonnant que l’objet soit adopté par de nombreuses actrices, qui n’hésitent pas à l’arborer fièrement de premières de films en marches de festivals. Les chanteuses aussi en sont adeptes. Suivant la voie tracée par Madonna, Christina Aguilera, Britney Spears et tant d’autres multiplient les apparitions corsetées, et font elles-mêmes des émules. A l’image des Liaisons dangereuses, de nombreux films font également la part belle aux corsets, qui semblent proliférer dans les salles obscures. Histoire d’O de Just Jaeckin met en scène le jeu de séduction d’une soumise, interprétée par Corinne Clery, sublimée par son corset. Dans un autre style, Maîtresse de Barbet Schroeder dévoile Bulle Ogier dans le rôle d’une dominatrice en corset de cuir.

De la souffrance au confort

Rapidement voué aux gémonies, le corset a souvent été accusé de tous les maux. Nombreux sont les médecins qui, à l’image d’Ambroise Paré, l’ont considéré comme un instrument de torture, jugé responsable de cas de tuberculose, de cancer de la poitrine, chevauchement des côtes et autres déformations du squelette. Au XIXe siècle, si certains voient dans le corset un moyen de garder dignement les femmes à la maison, les moralistes estiment que l’objet empêche les femmes d’avoir des enfants et de faire le ménage. Ces attaques médicales ne sont pas sans fondement : la rigidité des premiers corsets et le culte de la taille de guêpe ont parfois fragilisé les femmes. Certaines s’évanouissaient, d’autres avaient des côtes cassées voire mouraient prématurément. Une silhouette corsetée était comprimée à la taille, entraînant certains organes vers le bas de la cage thoracique et élargissant la partie haute pour permettre à la femme d’avoir le volume nécessaire pour respirer. Ces risques semblent avoir été bien intégrés aujourd’hui, et les aficionados s’accordent pour recommander un serrage progressif. Hervé, styliste et vendeur au magasin Phyléa, spécialisé dans la lingerie érotique, précise que le corset ne doit pas être porté régulièrement car il provoque un véritable bouleversement intérieur. De plus, les modèles ont changé. Ils ne compriment plus les côtes flottantes. Le confort est devenu primordial. Phyléa adapte ainsi ses conseils à la morphologie de ses clientes. Le port du corset est adapté aux femmes à forte poitrine, tandis que les seins plus petits seront mieux mis en valeur par une ceinture. « Je m’adapte à la taille du buste », précise Hervé. Aujourd’hui, tous les magiciens de la corseterie sont à l’écoute des femmes. Loin de son passé de contrainte physique, le corset est désormais un choix pleinement assumé, qui souligne l’indépendance de la femme, libérée de tout dictat, tout en lui offrant de nombreux avantages : mise en valeur de la poitrine, affinement de la taille, accentuation de la chute de reins, embellissement du port de tête… L’objet rassure les femmes qui le portent, en leur donnant pleinement confiance en leur pouvoir de séduction. Qu’elles ressentent une excitation certaine à le porter sous leurs vêtements ou qu’elles choisissent de l’exhiber fièrement, le corset fait définitivement partie de leur garde-robe sensuelle, au même titre que les talons aiguilles ou le porte-jarretelles. Pour d’autres, le pas reste à franchir, et le corset se fait plus intime, ne se révélant que lorsque la timidité tombe, au moment des jeux érotiques. Quelle sensation exquise alors de se laisser surprendre dans cette tenue suggestive et d’offrir son corps aux désirs de son partenaire. Laçage énergique ou délaçage sensuel, la décision ne tient qu’à un fil.

Du côté des hommes

Le corset est loin de n’être qu’un attribut féminin. En témoignent certaines gravures d’époque, représentant Henri III et ses mignons ceints du précieux objet. Désigné sous le vocable de saint-simonien, en référence aux philosophes du XVIIIe siècle qui considéraient le corset comme un symbole d’entraide humaniste, compte tenu de son laçage dans le dos, le corset pour hommes fait son retour avec des créateurs comme Sylvain Nuffer et Hubert Barrère. Le premier a baigné depuis son plus jeune âge dans le milieu de la corseterie. Sa mère recherche la perfection de la silhouette féminine. « Ma mère m’a donné le virus », s’amuse-t-il. Au fur et à mesure, le jeune homme se sent frustré de voir son propre choix de vêtements restreint. « Les femmes ont cet avantage d’avoir du choix alors que les hommes ont un choix très limité. » En 2001, il se décide donc à créer son premier corset. L’expérience est tellement réussie que le créateur devient un de ses propres clients. A tel point qu’il est aujourd’hui plus rare de le voir en chemise qu’en corset. Sylvain Nuffer fait du sur-mesure et propose plusieurs types de modèles. Ainsi du corset ceinture avec un double laçage, équivalent du serre-taille pour les femmes, et des deux modèles qui marchent le mieux : le Chambord, avec son col officier, et le Champollion, doté de bretelles et pouvant être accessoirisé d’une fourragère métallique. La clientèle est très variée. « Je rencontre à la fois des hétéros, des homos, des hommes très virils, des hommes d’affaires, des futurs mariés. » Le corset pour hommes présente les mêmes avantages que les modèles destinés aux femmes : il met en valeur les pectoraux et masque les petits défauts. Couvert de soie, lainage, jean ou cuir, sa conception nécessite un travail minutieux et parfois long. Sylvain Nuffer explique qu’il faut deux à trois prototypes, 300 à 400 heures d’étude entre le moulage et le patronage et une vingtaine d’heures pour le montage. Mais la rapidité semble venir avec l’expérience : sa mère peut monter un corset en quatre heures !

Insolite

S’il est désormais généralement associé au confort, le corset reste parfois un objet de torture. Réduire son tour de taille reste pour certains un objectif à atteindre, comme le prouve la vogue du « tightlacing », pratique consistant à porter l’objet sept jours sur sept et en le serrant de plus en plus. Certaines femmes n’hésitent pas à s’y astreindre nuit et jour pour obtenir des résultats vraiment convaincants. La méthode est simple. En le portant tous les jours, le corps s’habitue et change. Les côtes flottantes se resserrent, les organes vitaux se répartissent au-dessus et au-dessous de la taille, permettant l’affinement progressif de celle-ci. Adeptes des régimes express, méfiez-vous ! Au-delà des dangers inhérents à ce type de pratique, les résultats ne sont pas toujours rapidement au rendez-vous. Au contraire, les modifications sont lentes et progressives. Principalement situés aux Etats-Unis, les adeptes du « tightlacing » entendent imprimer sur leur corps une marque personnelle. La plus connue, Cathie Jung, est une Américaine de soixante-dix ans. Après des années de pratique, son tour de taille de 38 cm lui vaut de figurer au livre des records. Plus connue du grand public, Diva von Teese, célèbre pin-up américaine, est également une adepte. Le phénomène touche enfin certains hommes comme Mister Pearl, qui arbore la taille la plus fine au monde pour un homme : 46 cm.

Plaisirs fétichistes

Les fétichistes affectionnent particulièrement cet objet de désir. Si la mouvance gothique privilégie le velours noir ou le vinyle enrichis de dentelles et autres boucles d’argent, les fétichistes puristes préfèrent le cuir, le latex ou encore le métal. Dans les soirées libertines, le corset est un accessoire de mode qui s’est popularisé et qui suscite l’intérêt. Mais pour important que soit l’aspect esthétique, l’objet ne vise pas à faire passer un message, et ne dévoile en rien les préférences de celle ou celui qui le porte. Pour Maxence, fétichiste, le corset peut être porté aussi bien par une dominatrice que par une soumise. La matière ne donne pas plus d’indice. « Il s’agit d’un vêtement, et non d’un accessoire suggestif comme une paire de menottes. » La plupart des fétichistes réservent la primeur du corset, élément érotique par excellence, à leur partenaire, en toute intimité. Selon les codes SM, en revanche, l’objet est plus clairement connoté et devient un instrument pour le dominateur, qui peut ainsi entraver un peu plus sa soumise jusqu’à la priver partiellement de respiration. Libre à lui ensuite de resserrer à sa guise les lacets, dans le but d’infliger à sa partenaire une punition plus sévère.

L’avenir du corset

Créateurs, vendeurs, porteurs occasionnels ou plus assidus, novices ou fétichistes confirmés tous sont unanimes pour prédire à l’objet emblématique qu’est le corset une renaissance perpétuelle. Loin d’être un phénomène de mode, la corseterie a pleinement sa place dans l’univers des créateurs, qui continuent à l’adapter, pour mettre en valeur leurs modèles et, pourquoi pas, assouvir les fantasmes de leurs client(e)s. Celles-ci se voient désormais proposer une gamme des plus étendues : corset victorien, bustier Renaissance, modèle en métal ou en latex… Le corset va jusqu’à s’adapter aux moindres détails de la morphologie de celles qui l’adoptent. Ainsi la maison Cadolle, célèbre depuis des générations, propose-t-elle du sur-mesure, permettant aux femmes de sculpter leur silhouette à leur guise. Pour se convaincre de la pérennité de l’objet, rien de tel que l’observation du cinéma et du théâtre, qui le mettent tous les jours à l’honneur. Qui ne se souvient pas des corsets portés par Kirsten Dunst, dans son interprétation de Marie-Antoinette, sous le regard de Sofia Coppola. L’avenir du corset est d’autant plus radieux qu’il séduit chaque jour de nouveaux adeptes, à l’image de Thomas Bouvatier. L’écrivain, qui voyait dans la nudité féminine à l’état brut le plus beau des spectacles, a changé d’avis lorsqu’il s’est vu remettre une parure des mains de Chantal Thomass : « Une femme l’a porté devant moi, puis une autre, puis encore une autre et j’ai réalisé une chose, un choc, l’écrin ne mange pas le bijou… Corset est depuis si délicieux à prononcer, essayez : "corset". »

[argent]Priscilla Matteotti[/argent]