Perversions : a-t-on le droit d’être sexuellement incorrecte ?

Le 10/04/2009

Existe-t-il une norme en amour ? Doit-on faire l’amour plutôt comme ceci que comme cela ? A partir de combien de masturbations par jour est-on anormale ? Le goût pour la fellation est-elle une maladie ? A-t-on le droit de jouir sur un fantasme pas très catholique ou qui peut heurter la morale ? Beaucoup d’entre nous culpabilisent sur certains fantasmes « pas très classiques » qu’ils ne réaliseront sans doute jamais et qu’ils n’osent même pas avouer à leurs partenaires. Mais sommes-nous réellement responsables de notre imaginaire sexuel et faut-il le brider ?

Y’a-t-il des limites physiologiques ou mentales à la jouissance ?

Pour Yves Ferroul, professeur d’histoire de la sexologie et auteur de Médecins et Sexualités, tous les désirs sont dans la nature humaine. Aucun fantasme ne doit être censuré, du moment qu’on le réalise entre adultes consentants. Après avoir passé en revue tous les interdits successivement imposés par les prêtres, les légistes et les scientifiques sur la sexualité, Yves Ferroul part du postulat que l’Etat (pas plus que le corps médical) n’a le droit de s’immiscer dans nos lits. Le plaisir est une affaire personnelle, dit-il. Il faudrait préserver la liberté de fantasmer avec autant de rigueur que la liberté de penser. Même ceux qui flirtent avec l’interdit ? Oui. Le fantasme de l’adultère par exemple (qui n’a jamais rêvé de faire l’amour avec le plombier ?). Ou celui du kidnapping. Il est extrêmement courant que les femmes rêvent de se retrouver les yeux bandés par un foulard, attachées au lit par des menottes par un amant masqué qu’elles font mine de ne pas reconnaître… La loi punit formellement les enlèvements réels. Mais qui peut empêcher les couples de mimer, dans le secret complice de l’alcôve, un faux rapt suivi de terrrribles abus sexuels, totalement simulés ?

Dans le cadre du jeu de rôle, les scénarios érotiques mettent souvent en scène des rapports de force et des jeux de pouvoir.

On fait semblant d’être une pauvre secrétaire que son patron exploite… On se déguise en fliquette sexy pour jouer avec un voleur… On flirte avec des scénarios d’exhibitionnisme, de sexe à plusieurs, et parfois même, d’attouchements indécents dans des lieux publics – ascenseur, toilettes pour femme d’un grand restaurant, parking, etc. Faut-il en avoir honte ? Non, ces fantasmes n’ont rien de condamnable du moment qu’ils se réalisent dans le cadre de la fiction et du jeu de rôle. Si ça ne fait de mal à personne, aucune raison de les interdire. Même les plus pervers ? Non. Encore faut-il se mettre d’accord sur le mot « pervers », qui a heureusement évolué à travers le temps…

Selon Freud, est « pervers » tout ce qui sort du cadre stricto censu de la procréation : s’embrasser, se caresser, jouir même, est pervers.

Inventée au XIXè siècle, la « perversion » repose sur le présupposé suivant : il y aurait des actes correspondant à une sexualité médicalement bonne et des actes « pervers » dénotant une sexualité anormale que l’on devrait traiter. Mais qu’est-ce qu’une sexualité anormale ? Les médecins qui mettent au point cette notion, y regroupent des pratiques aussi différentes que le baiser, la masturbation, le goût pour les lingeries sexy, le cunnilingus ou la position en levrette… Pour eux, la « perversion » désigne tout ce qui ne relève pas directement de la fécondation. Bref, si l’on s’en tient à sa définition clinique, la « perversion » regroupe tous les actes procurant du plaisir.

Pour comprendre l’origine de ce fourre-tout absurde, il faut savoir que la « perversion » est inventée pour dépénaliser les pratiques sexuelles…

C’est au XIXè siècle que les médecins décident que la régulation de tous les comportements sexuels appartient à leur champ d’action. Jusque là, les femmes libres (sorcières), les homosexuels (sodomites), et les autres déviants étaient traités en criminels. Grâce au médecins, ils deviennent des malades. A l’origine, la notion de perversion permet donc de dépénaliser des pratiques, qui sont assimilées non plus à des délits – passibles de prison ou de mort – mais à des pathologies, qu’il s’agit désormais de soigner. C’est « socialement plus acceptable », explique le docteur Yves Ferroul. Mais ce n’est pas forcément un progrès. Les médecins ne font guère que remplacer les curés, avec la même fonction sociale : encadrer, contrôler, condamner tout ce qui sort du cadre étroit de la reproduction… Pour donner à leurs théories une apparence scientifique, ils font l’inventaire des plaisirs qu’ils appellent des « désordres » et posent en étalon la seule position sexuelle politiquement correcte : Le missionnaire !

Une seule position sexuelle autorisée : la pénétration vaginale en face à face, avec l’homme dessus.

En 1882, le psychologue Krafft Ebing recense des cas cliniques de « troubles du comportement » dans un livre qui devient rapidement un best-seller : Psychopathia Sexualis. Pour déterminer la perversion, Krafft Ebing part d’une norme. Quelle norme ? La reproduction, bien sûr. Et son corollaire : la pénétration vaginale, seule forme de sexualité admise par l’Eglise et l’Etat. « Le membre viril est destiné à être introduit dans le vagin ; c’est indiqué par sa position et sa forme », explique Krafft Ebing. Sous prétexte qu’il y aurait une incompatibilité anatomique entre le phallus et tous les autres orifices, les médecins de l’époque condamnent donc pêle-mêle la fellation et la sodomie. Certains comme Ambroise Tardieu avancent même que ces pratiques contre-nature entraînent des malformations du pénis (qui deviendrait tordu, avec une pointe « effilée comme celui des chiens ») ou de la bouche (« de travers, avec des dents très courtes, des lèvres épaisses, renversées, déformées, complètement en rapport avec l’usage infâme auxquelles elles servent »). Leurs arguments n’ont rien de bien scientifique. Du point de vue de l’ethnologie, ils sont même très douteux.

Dans de nombreux pays d’Afrique et d’Océanie, la position du missionnaire est sacrilège.

« La position de l’homme couché sur la femme a toujours paru normale dans notre civilisation parce qu’elle reproduit une hiérarchie sociale. Mais la rencontre d’autres civilisations a montré qu’il n’y avait là rien de « naturel ». Certains peuples ont été choqués parce ce qu’ils ont interprété immédiatement comme une domination de l’élément mâle sur l’élément féminin », apprend-t-on dans Médecins et Sexualités. Dans d’autres sociétés, les partenaires se couchent sur le côté, face à face et aucun ne peut prendre sans scandale le dessus sur l’autre. Mais en Occident, pour certains médecins la certitude demeure : « anatomiquement c’est la position face à face qui est la plus normale ». Absurde, proteste Yves Ferroul : « pour un mammifère c’est la position quadrupède qui est la plus anatomique ». Et de toute façon, pourquoi devrions-nous respecter une norme anatomique ?

Notre culture judéo-chrétienne n’admet pas que la femme puisse avoir d’autre rôle que passif et soumis dans l’amour.

Pour Krafft Ebing, éprouver du plaisir en abandonnant le rôle actif à la femme ne peut être que le signe d’un tempérament masochiste, voire d’une nature homosexuelle. Un homme qui se faisait chevaucher était souvent perçu comme un symptôme de perversité. Un homme, un vrai, ne devait pas aimer les caresses, ni la langueur, ni l’émotion. Ou alors, c’était un malade, un inverti, totalement dépourvu de virilité. Et malheur à lui si, par-dessus le marché, il éprouvait du plaisir en regardant sa femme (voyeurisme), en respirant son odeur (fétichisme), en lui mordant l’épaule (sadisme) ou – scandale - en lui faisant l’amour plus de deux fois par semaine (satyriasis) ! Bien que la société ait considérablement évolué depuis le XIXè siècle, certains tabous perdurent. La morale a la vie dure, hélas.

Il était temps !

L’Organisation Mondiale de la Santé ne supprime l’homosexualité de son chapitre « Troubles Mentaux » qu’en 1973 et c’est seulement depuis 1974 que la masturbation ne fait plus officiellement partie des perversions recensées par le DSM (Diagnostic Statistical Manual of Mental Diseases). Aujourd’hui remplacée par la notion - plus présentable – de « paraphilie » (« activité sexuelle inusitée pas nécessairement dangereuse »), la perversion reste un mythe persistant de notre société. De nombreuses pratiques – autrefois considérées comme pathologiques - sont passées dans les mœurs, mais beaucoup de fantasmes restent stigmatisés : on continue d’appeler « malades », « déviants », « pervers » les adeptes de cagoule en latex ou de talons-aiguilles. Pourquoi ? Parce qu’il nous faut des « boucs émissaires, facilement repérables par les gardiens de la société. On n’aurait plus qu’à mettre ces gens-là à l’écart du groupe, de sorte que tous les autres sauraient qu’ils sont normaux et hors d’atteinte de toute contamination ». Le seul problème, c’est qu’un être humain « normal » est un être en quête de plaisirs… Pourquoi donc les condamner ?

Les vrais pervers ne sont pas ceux qui rêvent sur des scénarios sado-masochistes.

Ceux-là peuvent satisfaire leurs fantasmes dans l’imaginaire. Les vrais monstres sont tous ceux et toutes celles qui détruisent leur partenaire, dans la vraie vie, par le mépris ou la répression. « De vrais pervers existent, souligne Yves Ferroul. Ce sont des femmes et des hommes qui ne respectent pas la sexualité de leur conjoint. Pour les femmes, l’absence de toute complicité, de petites remarques comme « C’est bientôt fini ? », « encore aujourd’hui ! », « oui, mais vite fait » détruisent très vite la personnalité de leur partenaire. Sont également pervers dans leur sexualité les hommes qui harcèlent leur compagne de leurs demandes sans tenir compte de leurs volontés et les amènent à perdre le goût du plaisir… ».

« On réserve le terme de « perversion » aux sexualités qui, ne faisant pas suffisamment de place à l’autre, s’exercent dans la contrainte »

Pour Sylvain Mimoun, gynécologue-andrologue et directeur de publication du Petit Larousse de la Sexualité, on parle de perversion quand il n’y a pas de consentement. « Par exemple, quand un homme tire une excitation de forcer l’autre à faire quelque chose contre son gré, dit-il. Ou à l’inverse, quand l’un des partenaires castre l’autre. Si dans un couple, une femme ou un homme rabaisse son conjoint en y prenant plaisir, le prive de sa confiance, ou réprime ses désirs pour le maintenir sous sa coupe, on pourrait dire : c’est un(e) pervers(e). En revanche, si dans un jeu sado-masochiste les deux partenaires sont en phase, si le sadique fait du mal à l’autre et que l’autre est d’accord, si la règle du jeu c’est dès que le/la masochiste dit "stop" tout s’arrête, ce n’est pas une perversion parce que les deux personnes sont majeures et conscientes de ce qu’elles font. C’est une histoire privée, ça les concerne et personne n’a à s’en mêler.” Il faut donc arrêter de culpabiliser sur ses fantasmes. S’ils n’entament pas la liberté d’autrui, on peut les imaginer, les réaliser, les étoffer, et peut-être en faire naître de nouveaux… toujours plus hors-normes…

Agnès Giard

Article réalisé grâce aux ouvrages suivants :

La sexualité féminine, de Yves Ferroul, éd. Ellipses. Médecins et sexualités, de Yves Ferroul, éd. Ellipses. Petit Larousse de la sexualité, sous la direction de Symvain Mimoun, éd. Larousse.

Commentaires (1)

  • uCXavjpfSmV

    Azouz BEGAG n’était pas au deuxième rang du Meeting de Gérard COLLOMB , il est arrivé à 19 heerus afin de saluer le maire de Lyon et soutenir ses amis du MODEM .