Le fantasme du viol… n’est pas celui que vous croyez
Le 15/04/2011
Folles, perverses, amorales, masochistes, épouvantées par elles-mêmes… certaines femmes s’inquiètent de subir une déviance perverse qui les paralyse. Parce que, entre définitions contradictoires et étau de mépris, que faire si Eros emprisonne leur intimité dans le désir énigmatique du « fantasme du viol » ? Et si, avant qu’elles ne s’emmurent dans un silence honteux, on révisait ensemble les fondamentaux de ce fantasme trop ultime pour être si malhonnête ?
Un fantasme pathologique
L’expression « fantasme du viol » choque, dérange autant celles qui le ressentent que l’entourage qui ne peut se résoudre à y penser comme un élément excitant. Mais ce fantasme, tel que le décrivent les sexologues, cache une facette méconnue des arcanes de la sexualité féminine. Jacques Waynberg, docteur émérite et cofondateur de la Société française de Sexologie Clinique* explique : « d’abord il faut puiser ailleurs qu’en français une meilleure définition du mot fantasme. L’insuffisance de nuances de notre langue en a fait un fourre-tout et déformé son principe. Cela va d’un scénario érotique imaginaire à des affabulations menaçantes (1). En y accolant un crime aussi insupportable qu’un viol - qui provoque une souffrance extrême en brisant l’intégrité du corps de la victime - l’expression de fantasme du viol se révèle là totalement corrompue. En tant que criminologue, je vous affirme qu’aucune femme agressée ne peut ressentir celui-ci. D’autres souffrent de cette forme de monomanie sexuelle très grave dont seule la concrétisation peut apporter une satisfaction de leurs pulsions. Malades d’elles-mêmes, elles s’exposent au risque brutal de provoquer leur viol en se livrant à des inconnus. Voilà en quelques mots le véritable sens du fantasme du viol. Ce n’est donc absolument pas celui dont vous me parlez ici. »
Si tant est qu’après une telle explication on se souvienne de quoi on voulait bien parler en cet instant précis !
On comprend l’angoisse de certaines femmes… parce qu’en une fraction de seconde, un trouble sexuel les emmène vers les arcanes de désirs enfouis. Et qu’on y a grossièrement associé un terme inacceptable. Faute de mieux ? Pas sûr. Car de viol, il n’est là aucunement question. « Ce que vous évoquez là consiste en un scénario érotique proche du jeu entre des adultes attirés par une forme de transgression. » ajoute Jacques Waynberg. Ah oui voilà ! Ca nous revient : c’est bien de ça dont on voulait parler ! D’un jeu. (Ceci étant, pour bien distinguer la pathologie réelle du fantasme ‘lambda’, il apparaîtrait donc judicieux de lui octroyer un nouveau nom. Plus léger, moins brutal : hélas, aucun ne semble encore convenir. Ou personne n’a songé à le faire.)
Prends, ceci est mon corps…
Ce fantasme mal-nommé, Sophie Cadalen, psychanalyste et sexologue, le définit comme un appel : « désire-moi comme je te veux toi, dépasse les (nos) convenances et emmène-moi au-delà de mes limites ». Comme l’envie d’un jeu sexuel pimenté par « la transgression, le dépassement des convenances et des limites (sic) ». Le décrypter en profondeur ne s’avère pas aisé : on remarque rapidement que trois éléments du fantasme sans-nom- sont indissociables : le désir sexuel qui tient lieu de « moyen d’expression » grâce auquel nous souhaitons bousculer « les conventions sociales » pesantes, ces dernières ayant généré la majeure partie de ces « limites personnelles » qui nous entravent. Un fantasme à triple facettes qu’on ne peut pas isoler les unes des autres ! Tout au moins si on veut lui laisser toute sa substance (et sa saveur).
Dans son article « Philosopher la sexualité ? » (in le Magazine littéraire « Les enfers du sexe » 2007), Michela Marzano soulignait que « désirer quelqu’un signifie dépendre de lui et de la réponse qu’il va donner à notre désir ». La trame du fantasme consiste justement à présupposer que le désir est partagé et ardent. Une question, une réponse, pas de dépendance. La « fantasmeuse » valorise ainsi son narcissisme par l’exagération de sa séduction qui - fatalement - poussera l’homme à la posséder coûte que coûte : elle « désire être violemment désirée ». A quel moment et pourquoi les « convenances » et les « limites personnelles » interviennent-elles ? Commençons par les codes sociétaux.
Mais qu’en dira-t-on de moi si je… ?
« Il s’avère toujours très délicat pour chacune d’entre nous de laisser voir son désir, de se mouiller en quelque sorte » reprend Sophie Cadalen. Hésiter à exprimer clairement son attirance pour un homme, par le langage et les attitudes, ne veut pas dire se comporter comme une gourde. (On peut se conduire en prédatrice auprès de 10 hommes et bloquer devant le onzième.) La lente évolution de la sexualité féminine a permis de renoncer à inculquer la pudicité aux jeunes filles. N’a-t-on pas patiemment appris au « second sexe » à baisser les yeux, se taire, se tenir et devenir une femme convenable ? Suffisamment convenable pour ne pas s’exposer. Non ces considérations ne remontent pas au paléolithique : Nancy Friday, journaliste et écrivaine produisit par exemple une onde de choc par son roman (« My secret garden ») en 1973 parce qu’elle y révélait que les femmes aussi avaient des fantasmes ! Mais tout est affaire d’époque et de mœurs. Aujourd’hui que la sexualité de groupe a pignon sur web on admet que : « Chaque conduite individuelle n’en est pas moins largement déterminée par la culture où elle s’épanouit. Car nos pulsions ne se réalisent qu’en empruntant des formes caractéristiques d’une culture précise » (in « Le sexe et l’Occident » de Jean-Louis Flandrin). Mais alors que reste-t-il de transgressif dans une société largement permissive ? A moins de le réaliser dans les pires conditions qu’il soit (pathologiquement) la théâtralisation d’une rêverie ne bouleverse pas à ce jour les codes officiels. On peut encore le qualifier de fantasme tabou ? Là encore une erreur : des enquêtes – plus ou moins sérieuses – n’hésitent pas à le répertorier officiellement dans les principaux fantasmes féminins. Mais inconvenant, totalement.
Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue
Quel que soit le nom qu’on lui donne, ce fantasme traduit chez celles d’entre nous qui le ressentons un souhait évident : se débarrasser des oripeaux de nos interdits. L’essence du fantasme, qu’importe sa substance, est un rejet des attitudes conventionnelles entre soi et… soi ! « La femme espère ici perdre le contrôle d’elle-même grâce à une forme d’immédiateté. Attention cela ne relève pas de l’impossibilité d’assumer ses attirances, mais de l’appréhension de devoir les révéler » commente Sophie Cadalen. Et d’ailleurs qui est cet homme (ou femme) à qui l’on permet de jouer les intrus et de quelle façon (!) dans notre sensualité la plus secrète ? Un être de passage, un proche, un séducteur, un puissant ... Nul besoin de l’avoir sous les yeux ou de le savoir à l’autre bout du continent, bien le connaître ou l’avoir simplement croisé pour l’intégrer à notre scénario. Ce qui compte c’est que tout se passe, concrètement ou rêveusement, avec une fougue dont on ressent sans doute la nécessité, puisqu’elle nous obsède. « La femme espère ici perdre le contrôle d’elle-même grâce à une forme d’immédiateté. »
Interdits, anarchie et autres envies
Pourquoi les rêves se servent-ils du sexe pour dépasser des limites personnelles ? Pourquoi s’interdit-on de scénariser le sexe sous une forme brute, dénuée de sentiments, de préliminaires ? Dans sa « Petite philosophie de la passion amoureuse » André Guigot écrit : « Chacun cultive ses désirs dans son petit jardin intime. Les offrir, c’est prendre un risque, et c’est précisément tout le plaisir de la corde raide. La transgression a beau être imaginaire, le désir inavouable : l’interdit n’apporte rien au désir s’il ne nous transforme en funambule ».
Notre pensée, sur ce terrain, se révèle bien plus étriquée qu’on ne le pense : alors qui sait si cette leçon d’équilibriste sur sa corde raide n’aide pas à trouver la bonne distance à laquelle il faut s’en tenir ? Ou bien, qui sait s’il ne faut pas au contraire se réjouir de cet éclatement de nos entraves par le biais du fantasme ? Ainsi nous respectons les limites de la bienséance que nous nous fixons, et nous laissons cet autre, que nous avons inventé comme un idéal, nous offrir une jouissance transgressive et sublime, débarrassée du poids de la culpabilité.
Intervenants
Jacques Waynberg est docteur en médecine, licencié ès Sciences, licencié ès Lettres, médecin légiste et criminologue, diplômé de la Fondation Masters et Johnson et de l’Institut Kinsey aux Etats-Unis. Il tient aussi le rôle d’expert-consultant auprès de l’OMS et a c-ofondé la Société française de sexologie clinique : http://www.sfscsexo.com
Actualité : « Jouir c’est aimer » paru en décembre 2010 aux éditions Milan.
Sophie Cadalen est psychanalyste spécialisée dans le couple, écrivaine.
Actualité : auteure et comédienne dans « Tu m’aimes comment » et « La cuisine d’Elvis » deux savoureuses et variations sur le thème de la sexualité.
Références web
http://www.sfscsexo.com
http://www/sexologie-fr.com (lexique)
Références livres
"Le sexe et l’Occident" de Jean Louis Flandrin aux éditions du Seuil 1981.
"Petite philosophie de la passion amoureuse" de André Guigot aux Editions Milan 2004.
"Histoire de la pudeur" de jean Claude Bologne aux éditions Pluriel,1986.
Addendum : "Saintes ou pouliches "d’Isabelle Bricart et "Les quatre femmes de Dieu" de Guy Bechtel
Références magazines
« La sexualité dans tous ses états » - Hors-série du magazine Sciences Humaines (article de Nicolas Journet /page 64 à 65) parution 2009 .
« Philosopher la sexualité ? » article de Michela Marzano paru dans le Magazine Littéraire « Les enfers du sexe », 2007.
A lire pour le plaisir :
http://www.same-story.com/sexualite... (récit anonyme)
"Rêves de femmes - faut-il oser les fantasmes" (épuisé) de Sophie Cadalen aux Editions Leduc 2005
"La nuit Caroline" (épuisé) de Caroline Grimm aux Editions Blanche 2006