L’orgasme à tout prix ?
Le 08/04/2009
Il s’apparente à l’Eldorado du sexe, cet orgasme que l’on espère sans trop savoir où le situer sur la Carte de Tendre, si ce n’est dans les Terres Inconnues au-delà de la rivière d’Inclination… Et si ce domaine recélait des paysages si divers qu’une vue satellite ne suffirait pas à en préciser la topographie ?
La carte d’identité de l’orgasme...
La définition médicale de l’orgasme ressemble à une recette de cuisine organique : « Quand la femme approche de l’orgasme, le clitoris en érection se retire sous le prépuce clitoridien, et les petites lèvres enflent, deviennent plus foncées et plus sensibles. Lorsque l’orgasme est imminent, le vagin diminue de volume, environ 30 %, et se gorge de sang. Les muscles de l’utérus se contractent (…) La lubrification naturelle du vagin est alors intense. » La littérature le décrit comme le climax de la relation sexuelle avec force jaillissements. Les films X et quelques comédies de réalisateurs potaches optent pour une représentation de femmes déchaînées, donnant de fameuses ruades tout en se mordant la lippe. Plus troublant encore, des femmes semblent vouloir dérouter leurs semblables en assimilant leur jouissance à un privilège d’initiées… Plus l’interlocutrice aura l’air dérouté, plus savoureuse sera cette confidence roublarde. Bref, soubresauts incontrôlables, râles, pleurs, exhortations échevelées, saupoudrées de mots salaces font les belles heures de l’imaginaire collectif sur ce à quoi ressemblerait un véritable orgasme. Laissant sur la rive celles qui ne vivent pas cette expérience.
Du droit au devoir de jouir, un cliché moderne
Ce statut de nouvel Eldorado du corps vient d’un long malentendu historique. Les savants considérèrent longtemps la notion du plaisir avec plus ou moins de réticence certes, mais eurent la bonne idée (quoique scientifiquement fausse) d’associer étroitement plaisir et fécondation. Un concept totalement exclu dès le dix-neuvième siècle prodigue en stigmatisations diverses… particulièrement envers les femmes. Et il fut de bon ton de qualifier d’honnêtes les femmes anorgasmiques et d’immatures, celles qui jouissaient grâce à leur clitoris. Cette théorie freudienne marqua longtemps les esprits aboutissant à un déni du corps de la femme et à l’établissement d’un tabou autour de leur intimité. À la fin du 20e siècle, la tendance s’inverse complètement : les féministes et médecins voulurent réhabiliter l’orgasme. Mais le cadeau s’empoisonna seul en le surreprésentant comme une nouvelle obligation. À charge de chaque femme de jouir vite, de jouir souvent, de jouir fort ; de jouir jusqu’à n’en plus pouvoir dirait-on tant cette injonction déstabilise nombre d’entre elles. Un sondage Ifop/ELLE du 8 mai 2006 révèle que 64 % des femmes considèrent la sexualité médiatisée comme très éloignée de la leur. Dans son livre Le Traité des orgasmes paru en novembre 2007, Gérard Leleu dénonce : « Suis je une vraie femme ? Ai je un vrai orgasme ? Si vous vous posez ces questions, c’est ce que vous êtes victime de ce terrorisme ambiant qui fait de l’orgasme une obligation absolue faute de quoi votre sexualité est nulle. » Certain de la multiplicité des désirs et des plaisirs érotiques féminins, le sexologue consacre son ouvrage à la découverte de la volupté.
Cris et chuchotements...
Un discours tendance et heureusement. Aujourd’hui il s’avère que l’orgasme tel qu’il doit être s’avère souvent éloigné de ce qu’il est : personnel. Gérard Leleu ajoute « Pour une même femme ce plaisir varie selon les jours – son état psychique et physique, les circonstances, l’ambiance, etc. – et évolue tout au long de sa vie. D’une femme à l’autre, le vécu et les sensations varient à l’infini. S’il y a deux milliards de femmes sur Terre il y aura au moins deux milliards de ressentis différents. » Se réapproprier son plaisir et ses orgasmes passe par le simple fait de ne pas succomber à une quête désespérée d’une norme : jouir n’est pas forcément exploser à s’en éparpiller dans les draps. Des femmes murmurent, soupirent, gémissent. Le corps se courbe, se crispe, se trémousse sans s’affoler. Le clitoris bande et le vagin aspire le partenaire sans l’engloutir, la vulve s’humidifie sans déferlante… L’orgasme, plus doux, plus tendre, plus diffus reste, pour autant et bel et bien, un orgasme dans toute sa splendeur. Au même titre que celui qui, intense et bavard, loin des politesses de salon (ou seulement licencieux) s’affiche sans discrétion et parfois au grand dam des voisins. « Elle se livrait toute, gémissante, s’affolait, ses cuisses musclées me broyaient les tempes, puis elles s’ouvraient et sa chair m’accueillait, profonde, insatiable. Je faisais aller et venir ma langue, très vite, le plus profond possible. (…) Dès que je l’eus aspiré, elle cria et sa jouissance inonda ma bouche. » (Amour et Popotin d’Esparbec). Mais non décidément, toutes les femmes ne se livrent pas ainsi. Certaines y verraient même plus une sorte d’aliénation que de contentement. Amandine l’affirme : « Cela ne me ressemble absolument pas. Je suis réservée. Tout au plus m’arrive-t-il de pleurer doucement. Et je suis surtout absolument certaine d’être satisfaite de ma sexualité. Je ne crie pas, voilà tout et je détesterais qu’un homme exige cela : je l’associe à une sorte de perversion narcissique ». De fait, ce qui compte dans cet absolu est d’atteindre l’orgasme non la façon dont il se manifeste. Et là, c’est tout un monde foisonnant dans le corps d’une femme qu’il faut explorer.
Autour du clitoris, la vulve... et au-delà : le corps !
Récapitulons : on sépare habituellement l’orgasme clitoridien de l’orgasme vaginal. Les chiffres tendraient à prouver que l’orgasme clitoridien est moins rare que la jouissance vaginale. Et pour cause, riche de 8 000 terminaisons nerveuses (ce qui le place en tête des organes), le clitoris est facilement accessible et extrêmement chahuteur. Le vagin de la femme est, de par sa forme en fourreau, plus difficile à combler. Toutefois, celui-ci possède six points sensoriels à stimuler mais placés assez loin et trop souvent oubliés. Au delà de ces données techniques de stimulus, les parties génitales sont largement pourvues en termes de points sensibles et orgasmiques. Si l’on ajoute à cela la zone anale, les seins, (les pieds, le cou, la bouche toute entière, les cuisses, la peau… tout l’inventaire à la Prévert), le corps est un véritable appel à jouir. Toujours selon Gérard Leleu, « La sexualité est un domaine infiniment plus vaste que les sensations génitales elles-mêmes. Elle inclut le toucher, l’étreinte, et bien d’autres activités. Se trouver dans les bras de quelqu’un peut combler une personne de la même façon que toucher une main. » Prendre son corps pour un piano, revoir ses gammes et étudier les meilleurs accords. La stimulation manuelle, labiale, pénienne ou à l’aide d’objets, associée au désir nourri de fantasmes et, ne l’oublions pas de sentiments (aussi, parfois), permet aux femmes de se procurer des sensations aboutissant à une satisfaction sexuelle complète. Et c’est ici qu’il faut réfléchir à ses attentes. Les caresses, pénétrations, frottements et chatteries de tous poils : qu’est-ce qui mène au 7e ciel ? Ou disons plutôt que la félicité n’étant pas la même pour toutes l’atteindre peut se révéler plus compliqué : « Même les femmes parfaitement éveillées ne jouissent pas sur commande. L’orgasme reste quelque chose d’imprévisible, de fragile, soumis à bien des paramètres : les émotions, les tensions, les conditions. » rappelle Gérard Leleu.
Jouir de ses 7 sens dans tous les sens
Toutefois, on constate que les femmes partagent un point commun : leur premier organe de plaisir est le cerveau. Il serait faux de réduire l’homme à un animal sans cervelle, bien sûr, mais le processus de désir semble inversé entre les protagonistes. Le coït libère les tensions nerveuses du « mâle » cependant que la femme doit avoir géré un « lâcher-prise » en amont. Et cela ne vaut pas qu’au coup par coup : toute sa libido est liée à ce doux abandon. Toutes les femmes ne le cultivent pas de la même façon. Qui devra aimer sincèrement, qui frissonnera dans des situations dangereuses ou hors-norme, les dernières recourant à leurs fantasmes les plus secrets. Une ambiance douce avec comme préliminaire un merveilleux repas au coin de la cheminée… ou chaînes et croix de Saint-André, meule de foin et découverte émerveillée d’un ciel superbe… Chacune sa recette pour se « détendre » et de là, s’érotiser soi-même. Il est évident que pour procurer du plaisir au corps, il faut avant tout le découvrir et le connaître. Cultiver sa vie fantasmatique, sa séduction, accepter tout bonnement d’être désirante et désirée. Et ceci, bien avant de se demander ce que les prescripteurs de la « sexual fashion » vont édicter cette saison : le multi orgasme comme minimum syndical ? La femme fontaine comme maîtresse idéale ? Le gang bang comme preuve d’amitié ?
Désir : les hommes et les femmes viennent de la même planète
L’amant, la maîtresse sont également parties prenantes : trop souvent les conseilleurs de toute obédience oublient de préciser que l’envie de l’autre compte. Désirer vraiment celui avec qui on partage sa couche prime sur n’importe quelle technique. L’attention, la générosité et beaucoup d’écoute sont nécessaires. Inutile de se retourner contre son ou sa partenaire pour l’accuser de tous les maux même s’il est naïf de l’exclure de son cheminement vers le plaisir. En 2001 un sondage TNS/Marie Claire rapportait que 54 % des femmes souhaitaient plus d’attention de leur partenaire pour améliorer leur épanouissement sexuel. Des échanges, des jeux et pourquoi pas, un entraînement régulier ? Et ne pas s’entêter comme cette femme sur un forum à vilipender un intervenant sous prétexte qu’il ironise « sur les problèmes sexuels féminins : mais quand les hommes se rendront-ils compte que tout vient d’eux, que tout est de leur faute ? » : idée vaine et exagérée. Il est primordial de s’approprier son corps plutôt que trouver un bouc émissaire.
Désir, plaisir, offrir et s’ouvrir riment tous avec jouir
De l’orgasme nous venons donc de voir qu’il présente, en quelque sorte, un syndrome du « people ». Cantonné dans un rôle de représentation par des médias curieux de ses moindres secrets, un peu surexposé, un peu insaisissable, mais si attirant… Il en provoque des interrogations et des fausses certitudes. Et demande quelques concessions, de l’investissement pour le stimuler au lieu de se résoudre à le simuler. Par jeu ou par besoin, c’est aux femmes de décider de faire de leur corps un terrain d’exploration avec un peu de légèreté et d’audace, de s’y atteler et d’en découdre avec ce qui l’entrave. Ce n’est pas un sport avec des médailles ni un culte de la performance : sans oublier qu’avant tout c’est de l’amour. Et ça… ça, c’est si bon…
[gris]Fannette Duclair[/gris]
[gris]Bibliographie :[/gris]
[gris]Amour et popotin d’Esparbec aux Editions La Musardine dans la collection Lectures amoureuses[/gris]
[gris]Le Traité des orgasmes – Les secrets de la jouissance au féminin de Gérard Leleu aux éditions Leduc S.[/gris]