Échec et moite
Le 05/11/2012
On gomme tout : les odeurs, les imperfections, les erreurs de style. Les injonctions permanentes faites aux femmes laissent à penser que ce sont des êtres à part, qui, même au lit, ne connaissent ni l’accident ni l’imprévu : elles sentent la rose en tous temps et jouissent sur ordonnance. Même lorsque l’on pense échapper aux diktats et que l’on se sent aussi libre dans son corps que dans sa tête, il arrive pourtant que des situations génèrent honte ou embarras, et que d’autres empêchent de vivre pleinement sa sexualité par une anticipation d’éventuelles gênes.
Explications.
Le lissage perpétuel des femmes, muses, inspiratrices, beautés parfaites semblables à des statues de porcelaine, a inspiré quelques chefs-d’oeuvre de la littérature du XXe siècle. Pour certains auteurs, il fallait pleinement adhérer à l’idée qu’une femme n’est érotisante qu’immobile sur son piédestal. Pour eux, l’amour ne s’envisage qu’avec une héroïne qui n’a ni besoin de faire pipi, ni besoin de se moucher et encore moins de déféquer. Elle n’a ni règles, ni pertes vaginales, ne pète ou ne rote et ne connaît jamais d’incident particulier lorsqu’elle fait l’amour. C’est l’approche de J.D. Salinger dans « L’attrape-cœurs », où un adolescent rêve à avoir des relations avec une de ces femmes parfaites, qui jamais ne tirent la chasse. Sachant que ce livre s’est vendu à plus de soixante millions d’exemplaires et que le lectorat féminin est prépondérant, on imagine l’empreinte que ses idées et ses goûts ont laissé sur certaines.
Beaucoup de femmes, au moins dans les premiers temps d’une relation, se lavent et se récurent avant de rejoindre leur bien-aimé. Elles se couvrent de parfums et d’onguents, s’abstiennent d’aller aux toilettes, fuiraient la scène à l’idée d’un pet vaginal malencontreux, s’abstiennent de rendez-vous pendant leurs règles, et redoutent la sodomie avant tout parce que l’éventualité de matières fécales qui colleraient au phallus du partenaire leur est proprement insupportable. Souvent, elles se privent de jouir tant elles se concentrent à cacher les parties de leur corps qu’elles n’assument pas (ventre, fesses et seins font un trio de tête). C’est le cas de Simone, qui pendant des années était complexée par son ventre « Je le trouvais trop gros, du coup, je ne voulais jamais être dessus, ou dans une position où mon chéri aurait pu voir mon ventre. J’ai mis des années à me faire à l’idée qu’il ne serait jamais plat, et maintenant que je m’en fiche je me rends bien compte de la différence au lit ».
Pour beaucoup d’hommes, c’est lorsque la femme sait se montrer sous ses traits parfaitement humains qu’elle devient si fabuleusement excitante que le cortex s’emballe et le sang circule jusqu’à 40 fois plus vite dans son pénis. Pour rester dans les exemples que livrent la littérature, Solal, le héros de « Belle du Seigneur », d’Albert Cohen, est obsédé par l’idée de saisir tout ce qu’Ariane essaie de soustraire aux moments partagés. Elle se trouve digne d’être aimée justement parce qu’elle parvient à masquer les bruits de chasse d’eau, ne se mouche pas et étouffe tout gargouillements lorsque son estomac crie famine. Au grand dam de Solal, mais aussi de sa domestique, qui regrette tant que sa patronne perde sa joie de vivre, sa façon d’être si pétillante, pour être dans la retenue et, croit-elle, mieux plaire à son amant.
« La regardant boire, il ne pu s’empêcher de penser que dans une heure ou deux elle le prierait, avec le même sourire distingué, de la laisser seule un moment. Il déférerait aussitôt à ce désir et il y aurait, quelques instants plus tard, venu de la salle de bains de cette malheureuse, le bruit maléfique de la chasse d’eau. Bref, une vie de passion.
Dans sa chambre, par égard pour elle, il se boucherait alors les oreilles, mais en vain, car l’installation sanitaire du Royal était d’une énergie remarquable. Enfin, il serait musicalement re-convoqué par le truchement de quelque disque de Mozart ou de cette barbe de Bach, et il faudrait faire l’amour. Bref, une vie de passion ».
On devrait parler plus souvent aux femmes de ces hommes qui, au contraire, aiment tant l’urine des femmes qu’ils peuvent jouir d’être arrosés de leurs jets. L’urophilie, dont on pensait autrefois qu’elle était avant tout bonne pour la santé, a des adeptes partout. A preuve cette annonce postée par W., sur le forum d’un site pour femmes très populaire : « Je cherche toutes femmes aimant (…), ou acceptant sans contrainte de bien vouloir me recevoir pour m’uriner dessus sur Paris ou RP proche. »
L’urine, un sujet si méconnu que nombre de femmes pensent avoir envie d’uriner pendant leurs rapports sexuels et se retiennent. Or, dans la plupart des cas, elles se privent plutôt du plaisir d’être fontaine, faute de ne pas savoir qu’il est fréquent d’expulser un liquide au moment de l’orgasme. Se retenir, c’est aussi priver les deux partenaires de beaucoup de plaisir.
On peut mesurer par la littérature la force des tabous : certains sont si forts qu’ils sont ignorés même des artistes. Pas une ligne, il semblerait, sur les pets vaginaux, pourtant inévitables, sans odeurs, sans conséquences, résultats naturels d’une pénétration qui laisse passer l’air, comme dans la position de la levrette par exemple, ou celle de la brouette. Les médecins ne sont guère plus bavards sur le sujet, certains se posant la question de savoir si la tonicité du vagin peut entrer en jeu. Emma, 42 ans, a récemment eu une aventure avec un homme dont la réputation de grand séducteur n’est plus à faire. Elle raconte : « J’avais une histoire avec cet homme depuis quelques temps. Un jour où j’étais en levrette, j’ai eu un pet vaginal quand il s’est retiré parce que nous voulions changer de position. Il a eu l’air très surpris et a perdu ses moyens. J’ai beau lui avoir expliqué que ce n’était pas un gaz, visiblement il était mal à l’aise. Comme c’était un piètre amant, il ne m’a pas manqué par la suite ». Il est vraisemblable que cet homme, peu au fait du corps de la femme comme des principes de base de la physique, ait été moins poltron la fois suivante. Mais ce qui est essentiel, c’est de communiquer, seule l’ignorance est mère de tous les maux …
Les menstruations ne remportent guère plus de succès littéraires, mais le sujet est effleuré au cinéma. Souvent dans des films d’horreur (comme « Carrie », de Brian de Palma, où Sissy Spacek reçoit un seau de sang sur la tête et reste paralysée, à le voir couler tout le long de son corps), mais aussi dans des films d’auteurs comme Catherine Breillat ou Ingmar Bergman, par exemple, qui l’ont mis en scène en exploitant la violence symbolique du sang (dans « cris et chuchotements », l’héroïne, Karin, se tranche le sexe avec un bout de verre pour voir couler le sang). Parce qu’il est le signe d’une fécondation non aboutie, on a longtemps tenu les femmes réglées à l’écart, pour qu’elles ne polluent pas les autres cycles de la nature : on disait de ce sang-là qu’il empêchait les moissons de germer, qu’il fanait les fleurs, ternissait les miroirs et faisait rouiller le fer … Or rien n’est plus difficile que de se débarrasser des idées reçues : si on parle, par exemple, de serviettes « hygiéniques », on implique sans le dire que la serviette met de l’hygiène là où il n’y en avait pas. Pourtant, de nombreuses femmes sont plus excitées pendant leurs menstrues, sous l’effet d’un changement hormonal et d’une vasodilatation, or une femme plus excitée est aussi une femme qui jouit mieux ou plus. Si les hommes souffrent, comme les femmes, du poids de mythologies qui n’ont plus court, ils redoutent aussi la vue de leur pénis ensanglanté par peur archaïque de la castration. Cela n’empêche pas certains d’être très excités par des femmes demandeuses, et peu importe alors la vue du sang, il devient un suc de plus pour intensifier le plaisir. On s’inquiète alors lorsque des femmes postent sur SecondSexe.com des questions comme celles-ci : « Je dois voir mon amant, mais je viens de m’apercevoir que j’aurai mes règles. Dois-je le prévenir pour savoir s’il a quand même envie que l’on se voie ou annuler sous un prétexte quelconque ? ». Il faudrait avant tout que la femme sache ce qu’elle a envie de faire : s’abstenir ? Faire l’amour sans imposer de sang (il existe des tampons en éponge conçus pour faire l’amour, qui se logent dans le fond du vagin) ? Faire l’amour en jouissant de cette sève supplémentaire ? Est-ce à un tiers de décider ou à la femme de savoir si son excitation et son plaisir passent après les peurs et opinions des autres ?
De toutes les angoisses de la femme au lit, celles abordées ici et les autres (absence de lubrification, gaz, etc.), une fait couler beaucoup d’encre. Tout ce qui a trait avec l’anus, sodomie comprise, fascine ou est répulsif à l’excès.
Irène se souvient de son premier amoureux : « Nous étions en voiture, et il a passé sa main sur mes fesses, glissant les doigts le long de ma raie, sous ma culotte. J’avais eu des gaz un peu plus tôt, il est tombé sur une petit crotte qui m’avait échappé. J’étais mortifiée. Pas lui. Le naturel avec lequel il a pris la chose a définitivement changé mon rapport aux hommes ».
Pour le Marquis de Sade, il était préférable que, sodomisant, son sexe pu toucher les fèces chaudes, lesquelles augmentaient son plaisir. Mais il est vrai que jusqu’au XVIIIe siècle, les latrines étaient publiques et que même à Versailles personne ne se cachait pour se livrer à ses besoins. À peine La Rochefoucauld s’offensait-il de ce que les Anglais gardaient leurs pots de chambre dans la salle à manger. Est-ce Freud et sa définition du stade anal qui ont résolument changé notre rapport à l’anus, devenu lieu sale et régressif ? Pourtant certains naturopathes rappellent qu’avec une bonne alimentation, les selles ont la couleur des blés, ne sont pas nauséabondes et que pendant des siècles, il n’y avait rien à essuyer, car comme les animaux, notre anus restait naturellement propre. Même avec une alimentation déréglée, ou trop industrielle, le rectum est en principe vide de toute matière, dans les heures qui suivent une défécation. Il n’y a donc pas de raison valable de se priver d’un plaisir érotique, autre que s’il y a absence de désir.
Au cours des siècles, l’influence des phéromones sur notre sexualité a légèrement régressé, mais ce sont malgré tout ces dernières qui sont le déclencheur de toutes les histoires d’amour. Comme le rappelle la biologiste Lucy Vincent, celui-ci « dépendrait en premier lieu de l’influence « primitive » de messages chimiques renseignant sur la constitution génétique de l’autre et qui serait en second lieu lié à l’influence « cognitive », c’est-à-dire à ce que l’on peut apprendre sur la vie de l’autre et sa façon d’être ». Et sans les phéromones, précise-t-elle, on peut devenir ami, mais pas amoureux. C’est pourquoi déodorants, parfums, épilations, chirurgies, tout ce qui participe à ce principe de perfection, éloigne les femmes du but recherché : trouver un partenaire, lequel ensuite sera capable de voir sa femme vieillir avec amour. Mauvaise nouvelle, ils affectent également la jouissance : la chirurgie lorsqu’elle touche des zones érogènes, l’épilation et les parfums, parce qu’ils diminuent l’émission de phéromones. « J’avais un amant qui me demandait de ne pas me parfumer, et de ne pas (trop) m’épiler le pubis » se souvient Sylvie. « Il me disait qu’il aimait l’odeur du sexe, que ça l’excitait ; qu’il aimait aussi garder l’odeur sur son corps et ses doigts, pour s’enivrer lorsqu’il était loin de moi. J’ai eu du mal à m’y faire au début, je détestais sentir l’odeur de ma transpiration, ne pas me laver avant de le voir et maintenant je fais la même chose. Combien de réunions où je respire l’odeur de mes doigts et jubile ! ». Certaines grandes amoureuses savent quel est le véritable parfum de l’amour : elles recueillent la cyprine de leur vagin et la pose derrière les oreilles. Ou comment passer du numéro 5 au numéro 1 ?
Plus la société nous impose de règles d’hygiène, plus elle impose d’offrir une représentation de nous-même la plus normée possible, en conformité avec les modes d’une époque, plus elle aborde le rapport sexuel comme une source de bien-être comparable à un cours de gymnastique ou à un massage, mettant de côté le rapport bestial qui embrase nos cinq sens, moins les plaisirs érotiques pourront être stimulés. Si l’échec est une étape essentielle pour apprendre et pour surpasser ses propres peurs, il faut aussi garder à l’esprit que plus on partage d’odeurs et de sucs dans une relation amoureuse, plus celle-ci semble se diffuser par toutes les pores de la peau, plus l’attachement se renforce.
En d’autres termes, quelle relation pérenne une femme peut-elle construire avec un homme si elle ne donne pas tout, si elle garde la partie la plus vivante de son être, sous cloche, à distance de son bien-aimé ? C’est dans les petits accidents de la vie que l’on mesure la profondeur des liens tissés avec l’autre, et, de même, c’est en mélangeant toutes les sécrétions des corps, en partageant le plus intime de nos entrailles que le plaisir s’attrape et se prend avec la même sensation jouissive qu’un l’enfant qui transgresse. C’est ainsi que la volupté s’installe dans une moiteur ambiante suffisamment pérenne pour que la convoitise d’une tierce personne soit obsolète.
Après la tempête, le rapport sexuel devient enfin fusionnel.
[gris]Sophie Bramly[/gris]
Commentaires (3)
Bravo pour cet article. Raz le bol des filles de papier glaçé et des obsédé(e)s du self contrôle au lit. L’amour sans sueur ça n’est que de l’amour propre...
Ah, i see. Well that’s not too tirkcy at all !"
Merci pour cet article, ça nous fait du bien à nous les filles de le lire, mais il existe malheureusement encore trop peu d’hommes aussi à l’aise....pour nous mettre à l’aise. c’est donc à nous d’oser ! et de nous imposer au naturel, progressivement...avec courage et détermination les filles !!