Le Safe Sex

Le 22/04/2009

Au moment où une femme du gouvernement met en cause des acquis de la révolution sexuelle et déclare dans un magazine féminin que le « préservatif est un tue l’amour »*, il nous paraît vital de réaffirmer notre position, qui est celle de l’amour et des plaisirs hors des dogmes moraux, médicaux, religieux, une position ouverte aux réalités du sexe. Revenir sur cette position reviendrait à exposer les amants de tous bords à des risques pour leur santé, certes pas tous aussi cruels et médiatisés que le sida, mais tout aussi actuels. Le préservatif n’est pas un « tue l’amour », il en est un des plus sûrs alliés. L’allié d’un amour responsable, aux niveaux individuel, interpersonnel, social, l’amour de celles et ceux qui se donnent les moyens d’assumer leurs désirs, leurs actes, leurs implications intimes. Nous ne pouvons heureusement jamais dire « jamais » en amour (« jamais je n’aurai plusieurs partenaires, jamais je ne pratiquerai ceci… »), il est donc important de prendre conscience des aléas qui peuvent être associés au sexe, pour mieux ne pas nous en priver. Comme le rappellent Marcela Iacub et Patrice Maniglier dans leur Antimanuel d’éducation sexuelle, l’un des vecteurs de contamination des IST n’est pas la « débauche », mais bien l’amour, car c’est lui qui inspire la confiance aux partenaires réguliers et fait parfois se relâcher la nécessaire vigilance. Nous n’avons rien « contre l’amour » mais au contraire « tout pour ». À ce titre, c’est l’amour sous toutes ses formes que nous devons choyer de précautions plutôt que d’en réprimer, nier, abandonner certaines réalités.

L’ignorance ne passera pas par nous

Nous savons que le Sida est toujours là, qu’il touche indifféremment hommes, femmes, jeunes, moins jeunes, homos, hétéros. Nous savons que bien qu’elle soit la plus terrible, le sida n’est pas la seule infection transmissible par voie sexuelle. Il en existe d’autres allant de bénignes à graves, face auxquelles nous devons aussi être prévenant(e)s. Ces infections peuvent être silencieuses. Pour certaines, rien du profil d’un partenaire ne nous renseigne sur son « statut » à moins de nous être soumis ensemble à un dépistage en règle ¬—lequel n’est pas, qu’on se le dise, une épreuve, mais un acte libre au sein d’une relation. La révolution sexuelle ayant contribué à l’évolution des mœurs, nous savons que nous sommes aujourd’hui plus nombreuses à faire l’amour plus jeunes et jusqu’à plus tard, à avoir plus de partenaires dans une vie qu’avant. Cela représente un plus large panel d’âges et d’expériences au cours desquels les plaisirs comme les désagréments de l’amour peuvent nous toucher, nous acceptons tout cela de concert car nous sommes dans le même temps mieux informées, accompagnées médicalement, maîtresses de nos vies, nous avons les moyens de ne pas céder à des pressions injustifiées, à des craintes irrationnelles. Ce ne sont pas tant les maladies qui se sont développées au cours des dernières décennies que nos connaissances sur le sujet et les moyens d’y remédier. Nous savons qu’en toutes circonstances nous aurons raison de soulever la question des précautions, d’ouvrir le dialogue. Nous prenons le parti de nous informer et d’informer sans complexes, sans jugements de valeur. Une chose est sûre, nous ne prêcherons pas pour l’abstinence.

Le sexe dans ses continuités

Qu’entendons-nous habituellement par « safe sex » ? Le safe sex ne désigne pas en soi une catégorie de pratiques « bonnes sous tout rapport », en opposition fermée, sans correspondance, avec d’autres qui seraient, elles, « mauvaises » (et partant, culpabilisantes). Au contraire, les connaissances, le bon sens, la responsabilité auxquels le terme appelle doivent se fondre dans la réalité du sexe, se diffuser à l’ensemble de ses possibles en toute continuité. Or une certaine continuité entre les actes, une continuité de soi-même dans le temps, est préférable aux réticences, remords, regrets que nous inspirent parfois certaines aventures. En effet, comment se rendre spontanément à un centre dépistage, interroger son médecin, aimer librement, si en même temps on se réprouve ou voudrait « zapper » un épisode ? Comment respecter l’autre si l’on nie, par crainte ou par honte, une part de soi dans la sexualité ? Rompre avec ses continuités, c’est rendre plus difficile l’harmonisation entre nos corps pensants et nos corps aimants, pourtant favorable à une vie sexuelle sereine, saine. Il ne s’agit pas de paniquer à chaque nouveau partenaire ni à chaque nouvelle pratique. Nous ne risquons pas la mort à chaque geste, pas même, le cas échéant, à chaque infection contractée, puisque elles sont de natures différentes et qu’il existe des traitements efficaces contre la plupart. Il y a un éventail d’IST (avec leurs modes de contamination, leurs effets, leurs voies de guérison¬) et un répertoire de gestes sensuels (avec leurs degrés d’interpénétrations physiques) qui se distribuent le long d’une échelle de risques allant de faibles pour la santé à graves. Vivre sa sexualité de façon plus sûre, c’est nous donner les moyens de nous placer le plus souvent possible sur un niveau de risque minimum pour pouvoir nous livrer, de là, à un maximum de gestes. Pour cela rien de tel que la connaissance, l’échange décomplexé, la spontanéité, l’honnêteté : autrement dit, que du bon. Le plaisir pourrait même en prendre une leçon. Vu comme cela, rien ne vient se mettre en travers du plaisir, et certainement pas un bienveillant micron de latex.

Un geste d’amour averti en vaut deux

Nouveau partenaire, one night stand, début d’une relation régulière, retrouvailles après une séparation ponctuées de point d’interrogations… Parlons ! Et prenons les précautions qui s’imposent avec nos partenaires. Nous ne traitons pas des IST dans le détail ici, mais proposons une base logique, quitte à devoir compléter ensuite auprès d’autres sources. Ainsi, comprendre les risques (donc envisager les précautions) se fait en considérant ensemble les vecteurs de la maladie + les barrières naturelles et surfaces d’échanges + les types de contacts. Les vecteurs des IST sont des fluides corporels, qui peuvent se mélanger pendant l’amour. Le sang, le sperme, le liquide séminal, les sécrétions vaginales mais aussi l’urine, les matières fécales, la salive. Chacun de ces fluides n’est pas égal devant le risque. Les vecteurs des maladies graves (VIH, hépatites) sont le sang et les sécrétions sexuelles. La salive ne représente pas de risques pour ces maladies, en revanche elle peut en présenter pour d’autres. L’urine et les matières fécales peuvent contenir des germes parasitaires. Ensuite, nos corps sont bien faits, ils ont des contours, offrent des barrières naturelles à notre organisme, pas toutes égales devant le risque selon leur perméabilité et la surface d’échange qu’elles représentent. La peau saine (hors plaies et lésions) nous protège dans la plupart des cas. Les muqueuses sont plus perméables, même si là encore, pas toutes à la même enseigne. Si la muqueuse anale est sensible, la muqueuse de l’œil est elle en revanche un point d’échange minime et partant un mode de contamination du VIH pour lequel on ne connaît pas de cas**. Enfin, il y a dans l’amour différents types de contacts : de superficiels (caresses, baisers) à plus « pénétrants » (pénétrations par des organes, des objets, fellation..), allant de doux à moins soft (violents et/ou avec moindre lubrification, qui peuvent entraîner une déchirure des tissus, du préservatif). Ces interactions ne présentent pas toutes les mêmes risques. C’est en combinant ces trois aspects que nous comprenons qu’il est —hors vérification des statuts sains, sans précautions— plus risqué de se livrer à la sodomie (pénétration, réception d’une quantité de importante fluide, muqueuses fragiles) qu’aux caresses génitales (contact superficiel, quantité moindre de fluides), plus risqué de pratiquer la fellation complète, en particulier lorsque l’on a une lésion buccale (barrière protectrice fragilisée), de passer sans précautions de l’anal au vaginal (transfert possible de germes), de s’échanger des godemichés au cours de l’acte (les préservatifs sont aussi pour le vibromasseur !), de pénétrer pendant les règles qu’en dehors, etc. Si certaines pratiques ne présentent que très peu de risques en terme de VIH (la masturbation mutuelle par exemple), elles peuvent exposer à d’autres infections pour lequel le contact suffit (herpès, HPV), dont les lésions, qui contiennent la charge virale, ne sont d’ailleurs pas toujours situées sous la coupe de protection du préservatif. Néanmoins, celui-ci reste la prévention la plus efficace contre toutes ces infections, il faut éviter tout contact entre les parties génitales avant qu’il soit en place. Notons qu’il existe un préservatif féminin, et qu’en cas de lubrification moindre, l’usage de lubrifiants à base d’eau contribue également à la sécurité des rapports. En cas de doutes suite à des pertes, des douleurs ou la présence de lésions, en parler à notre médecin, généraliste ou spécialiste, gynécologue mais aussi dermatologue, selon les symptômes. Si une infection est diagnostiquée, elle sera probablement aisément soignée. N’oublions pas de poser d’emblée la question pour deux (doit-il/elle suivre un traitement ?) et d’informer notre partenaire en conséquence.

La levée des tabous est la meilleure prévention

Les structures d’informations et de soutien sont là, et de plus en plus faciles d’accès notamment grâce à Internet. Les communications de prévention sont visibles, bien qu’encore peu explicites. Par crainte d’inciter à la débauche ? Ce serait prendre le problème à l’envers. Pour que les précautions se mêlent de façon fluide avec les gestes de l’amour, rappellent les auteurs de l’Antimanuel d’éducation sexuelle, mieux vaut « intégrer l’usage que nous faisons de nos organes sexuels dans la rationalité ordinaire de la vie ». Cela implique de nommer les choses, d’éclairer les zones d’ombres, de ne pas oublier l’imbrication entre les sphères personnelles et sociales, entre le sexe, les sentiments, les valeurs, les normes. C’est en effet à la croisée de ces dimensions parfois conflictuelles que le tabou ligote, et empêche de faire/dire tout haut ce que nous savons tout bas. Parler de soi, poser des questions qui pourtant nous concernent. Dans leur étude sur la sexualité des seniors (voir notre article), les chercheurs américains notent la rareté du dialogue entre patients de plus de 50 ans ayant des problèmes sexuels et leurs médecins, et soulignent la nécessité de l’établir. Parmi les gênes venant faire obstacle au dialogue (nous savons la pudeur qui enveloppe les questions intimes), les chercheurs citent également la différence d’âge. Or nous pouvons très bien nous imaginer hésitant à parler d’IST avec nos médecins, en particulier s’ils sont plus jeunes que nous, pensant à tort que ces tracas sont « un truc d’ados »… Cela, ou autre chose : « un truc de fille de mauvaise vie », « le signe d’une mauvaise hygiène », bref, du tabou. Ce tabou qui nous donne la bizarre impression d’avoir agit dans notre sexualité de façon déplacée, nous laissant mal à l’aise avec nous mêmes et face à nos interlocuteurs. Il faut lever ces tabous face à la sexualité pour remettre la réalité à la place qu’elle occupe, réinjecter le vécu dans la norme et prendre acte de nos amours. Et un moralisateur prêchant à contresens du désir, participant au repli dans le silence, n’a jamais fait bon partenaire… ni bon médecin.

[argent]Maxine Lerret

NOTE :

L’objet de cet article n’est pas de donner une information exhaustive et précise sur les infections sexuellement transmissibles mais de rétablir le discours visant à entourer l’amour de précautions face aux risques, ainsi que de proposer une approche éclairée, réaliste, non dramatisante de la question. Pour plus d’informations sur les infections sexuellement transmissibles, renseignez-vous auprès des structures spécifiques, de votre médecin généraliste, gynécologue et/ou dermatologue.

www.sida-info-service.org http://www.inpes.sante.fr/ www.lecrips.net

Sources privilégiées pour cet article :

* Christine Boutin, ministre du logement et de la ville, interviewée par Marie-Claire, Novembre 2007.

** sida info service - réponse à la question « Quelle est le risque de contamination VIH lorsque l’on reçoit du sperme dans l’œil ? »

Questions d’ados, livret pour les 15-18 ans et sur internet dans espace thématique http://www.lecrips-idf.net/question...

« Pourquoi la révolution sexuelle n’est pas la cause du SIDA mais au contraire la prévention la plus efficace contre lui », in Antimanuel d’éducation sexuelle, de Marcela Iacub et Patrice Maniglier, éditions Bréal, 2005[/argent]