En temps de crise, n’épargnez pas votre jouissance !

La nouvelle économie sexuelle

Le 02/04/2009

A moins d’avoir émigré sur Pluton, personne n’a pas pu manquer la nouvelle : elle est là, 60 ans après sa sœur aînée : la crise. Nous ne lirons pas ici une analyse chiffrée du krach, mais comme nous y invite l’étymologie grecque du mot, krisis, signifiant combat et jugement, nous allons l’appréhender du point de vue féminin et envisager les changements que nous pouvons initier. Cette remise en cause de notre économie globale est l’occasion, au plan individuel, non pas de subir ou de fuir, mais d’adapter, de reconstruire : repenser sa dépense, questionner nos rapports hommes/femmes, combler son découvert affectif, ouvrir un PEA - plan épargne amoureux… Il est temps de réinventer l’équilibre entre les colonnes débit et crédit : faut-il travailler plus pour gagner plus ou gagner moins pour jouir plus ?

Rappel historique : l’économie sexuelle

En 1945, Wilhem Reich entreprend de définir l’économie sexuelle. Pour lui, « la santé psychique dépend de la puissance orgastique, c’est-à-dire de la capacité de se donner lors de l’acmé de l’excitation sexuelle, pendant l’acte sexuel naturel. Dans le cas de l’impuissance orgastique, dont souffrent de nombreux êtres humains, l’énergie biologique est inhibée et devient ainsi la source de toutes sortes de comportements irrationnels. »

Depuis que nous vivons dans un schéma de société patriarcale (soit plusieurs milliers d’années), « les êtres humains ont adopté une attitude hostile contre ce qui, en eux-mêmes, représente la vie, et se sont éloignés d’elle. Cette aliénation n’est pas d’origine biologique, mais d’origine sociale et économique. (…) En raison de la cassure qui s’est produite dans la structure caractérielle de l’homme d’aujourd’hui, on tient pour incompatibles la nature et la culture, l’instinct et la morale, la sexualité et l’accomplissement de soi. Cette unité de la culture et de la nature, du travail et de l’amour, de la morale et de la sexualité. (…) Le fait que l’homme est la seule espèce qui ne suive pas la loi naturelle de la sexualité est la cause immédiate d’une série de désordres dévastateurs. ».

L’un de ces troubles est apparu sous les presses du Wall Street Journal, qui en 2003, publie un article intitulé « No sex please, we’re busy » (pas de sexe svp, nous sommes débordés) analysant le phénomène des couples DINS : après les DINK (dual-income-no-kids, deux revenus pas d’enfant), voici les dual-income-no-sex… La nouveauté, ou du moins la surprise de cette asexualité, est son origine. En effet une étude révèle que sur 60 % de ces couples mariés inactifs sexuellement le sont à cause des hommes. La difficulté à satisfaire aux standards de santé sexuelle en serait une des raisons. Le sexe apparaît ainsi comme un objet qui exige une vraie gestion. Le problème de cette répartition, c’est que très vite, un autre objet peut présenter un intérêt plus immédiat. Ainsi, le travail (et son corollaire, le salaire) peut devenir plus bénéfique qu’une vie sexuelle active. Les lations entre employés sont désexualisées, la libido est éreintée, à peine a-t-on la force de reproduire la main d’œuvre… D’ailleurs, selon L’Enquête sur la sexualité en France (Bozon et Balos), les femmes cadres ou exerçant une profession intellectuelle sont les plus nombreuses à témoigner d’une absence ou insuffisance de désir sexuel.

Femme ou consommatrice ?

Portrait d’une femme actuelle : primo, elle travaille. Bien souvent elle a fait des études préalables et entend bien prouver que par ses diplômes mais surtout par ses compétences, elle est au moins aussi performante que les hommes. La femme actuelle, après son travail, a une vie domestique pleine de rebondissements : les courses, le dîner, les devoirs des enfants, l’entretien de la maison, etc. La femme actuelle se doit aussi de prendre soin d’elle et de son apparence ; donc elle fait du sport, achète des crèmes de beauté, du lait de soja et des fruits de saison. Le plus souvent la femme actuelle se couche fatiguée. Il arrive même qu’elle efface petit à petit de son cortex l’idée de faire l’amour avec son conjoint.

Mais, pour apaiser sa frustration et se récompenser après une dure semaine, la femme actuelle fait du shopping le samedi. Elle cède aux dernières tendances qui semblent obéir à un cycle menstruel (tous les 28 jours il faudrait changer sa garde-robe). Rien à voir avec les vêtements « utiles », ce sont des « coups de cœur » comme disent les affiches publicitaires. Les services marketing l’ont bien compris, qui usent du vocabulaire de la séduction et du désir pour s’attirer les grâces de la clientèle féminine mais aussi créer une sorte d’impératif érotique. Pour Xavier Deleu (in Le Consensus pornographique), nous sommes soumis à « une cacophonie sexuelle » qui « conduit à la saturation de l’espace public sous l’effet de l’accumulation de signes érotiques. » Une étude anglaise révèle que les femmes actuelles britanniques dépensent en moyenne par an plus de 470£ pour des vêtements qu’elles ne porteront jamais. Les Françaises ne font pas exception.

La dépense sexuelle.

Ainsi, rien n’aurait changé depuis Le Bonheur des Dames, portrait au vitriol d’une horde de bourgeoises aux mains percées, que Zola soupçonnait d’être frigides et de combler par l’achat l’absence de jouissance sexuelle ? Dans la relation psychologique à l’argent, pas tellement. Il y a du sexe dans l’économie et de l’économie dans le sexe, et pour Patrick Viveret, philosophe et conseiller à la Cour des comptes, « la frustration sexuelle est l’un des éléments qui perpétue notre économie guerrière et puritaine fondée sur l’accumulation compulsive de biens matériels ». Daniel J. Kruger, chercheur à l’Université du Michigan, va plus loin : pour lui, l’endettement global qui a engendré le krach répond à une pulsion sexuelle. Partisan de la psychologie "évolutionnaire", il nous rappelle les leçons de Darwin : l’homme a évolué selon une loi assez simple, primant celui qui produit le plus de descendants viables. Chez les espèces sexuées comme la nôtre, cela suppose donc d’attirer des partenaires.

Accumuler des biens serait un fort indice de qualité reproductive et augmenterait les capacités de séduction. Cela s’observe particulièrement dans la stratégie de séduction des mâles envers les femelles, chez lesquels il a même établi une corrélation entre la dépense financière et la quête sexuelle, toutes deux portées par le facteur psychologique de la prise de risque : en résumé cela donne « plus je joue gros en bourse, plus ma voiture et ma maison sont grosses et chères, plus je suis attirant. » Il reste que cette théorie proche de la caricature soit de plus en démentie par la place croissante des femmes sur des terrains masculins.

Vers un féminisme économique ?

Ainsi, l’Islande, qui vient de nommer une femme 1er Ministre, et qui fut le 1er pays à élire un président femme, en 1980, entend ses citoyennes accuser les hommes d’inconséquence (il faut dire que les nouveaux vikings à la tête des banques islandaises ont engagé jusqu’à 10 fois le PIB de l’île dans des opérations financières). « Plus personne ne fait confiance aux hommes politiques, c’est le moment pour les femmes de foncer », dit l’une d’elles. Les femmes islandaises sont réputées pour leur forte personnalité, indépendante et influente.

Audur Capital est ainsi la seule institution financière épargnée par la faillite du pays. Fondée en 2007 par une poignée de banquières qui ont levé des fonds auprès de riches Islandaises, cette société compte 15 femmes sur 20 salariés. Leur credo : le risque responsable et l’investissement dans un « capital émotionnel ». Luttant contre la flambe, la consommation à outrance, ces financières, mères de famille, artistes (comme Björk qui a donné son nom à un fonds destiné aux start-up) veulent encourager une économie saine, basée sur le respect des droits humains. Et pourtant, en Islande et partout dans le reste du monde, bien que les femmes participent activement à l’économie de leur pays, elles demeurent une infime minorité à siéger au comité de direction des plus grandes entreprises. Mais le changement est en marche…

L’économie du couple

Car depuis une ou deux décennies, le cadre du couple a changé : aujourd’hui, les femmes prennent en charge 70% des dépenses du ménage, y compris les dépenses que l’on croyait masculines, comme l’achat de la voiture. Conséquence de cette nouvelle donne économique : disposant de l’argent du ménage, les femmes dessinent peu à peu le décor du foyer ; mais, dans ces intérieurs régis par le féminin, les hommes se sentent forcément un peu des étrangers, ce qui les conduit à s’approprier l’extérieur (la tonte de la pelouse, le bricolage…).

Or, l’Enquête sur la sexualité en France nous apprend encore que les femmes qui connaissent dans leur couple une pratique inégalitaire des taches ménagères désinvestissent davantage que les autres la sphère sexuelle. Ce qui atteint ainsi le plus la libido féminine semble être l’inégalité du partage des tâches, et la présence des enfants au sein du foyer, qui les renvoient à leur dimension de « ménagère », pas très excitante… Pour le sociologue François de Singly, « la résistance des hommes au partage du travail domestique est considérable, car elle est identitaire – ‘je ne veux pas devenir une femme’- et sociale –‘je ne veux pas descendre dans l’échelle’. Conclusion : « Il ne pourra y avoir d’égalité sans désexualisation des tâches. » Les femmes aux poubelles, les hommes à la vaisselle !

De leur côté, les hommes connaissent une moindre activité sexuelle lorsqu’est remis en cause leur rôle de pourvoyeur de revenus financiers. En toute logique, ils atteignent le degré zéro de la libido en période d’inactivité forcée. En général, le fait d’être confronté à des difficultés économiques, plus que les faibles revenus, semble avoir un réel impact sur la sexualité des ménages. Les femmes témoignent d’une baisse de la fréquence des rapports sexuels ; les hommes (récemment en couple) confient éprouver, en plus, une absence de désir. Comment espérer une amélioration dans un contexte de crise comme nous le vivons, où le chômage et la perte de revenus menacent ?

La libido inversement proportionnelle au CAC40.

Néanmoins, contrairement à ces sondages effectués avant la récession, il semblerait que la crise mondiale ait des conséquences inattendues sur la sexualité. Est-ce par un « aquoibonisme » désespéré, par une capacité nouvelle à relativiser ? En tous cas, la galipette fut élue l’activité la plus populaire en temps de crise par 37% des deux milliers de Britanniques interrogés par l’institut YouGov. "Bavarder avec des amis" arrive en deuxième position, avec seulement 18%, tandis que le lèche-vitrine se classe troisième (9%). "En ces temps de crise, les Britanniques ne seraient peut-être plus aussi rigides qu’auparavant, commente Lisa Power, une des responsables de l’organisation de lutte contre le sida, Terrence Higgins Trust, qui a commandité l’étude dans le cadre de la 20ème journée mondiale contre la maladie, organisée par l’ONU.

La hausse des ventes de préservatifs vient soutenir ces résultats, ajoute l’organisation. Être membre d’un club de gym coûte entre 30 et 70 livres (36 et 83 euros) par mois tandis qu’avoir des relations sexuelles est gratuit, souligne t-elle, rappelant qu’on peut facilement se procurer des préservatifs sans rien dépenser. "Les experts disent de plus que l’exercice est une manière de maintenir le flux des hormones du bonheur", précise le Trust dans un communiqué. C’est aussi le message de la sulfureuse Dita Von Teese, qui recommande le sexe pendant cette période économique difficile. « J’adore le sexe. Comme tout le monde, j’y pense souvent et avouons-le, en des temps de crise comme aujourd’hui, c’est une chose avec laquelle on peut beaucoup s’amuser parce que ça ne coûte rien ! »

Même élan en Suisse, où la crise fait le bonheur des sex-shops du canton du Valais, qui affichent un chiffre d’affaire en hausse de 10 à 15%. Idem dans l’Hexagone : le site rue89 nous apprend qu’un fabricant de préservatif a vu son chiffre d’affaire augmenter de 40 à 50% en 2008 par rapport à 2007 "Et c’est pareil pour mes potes qui s’occupent de sex toys", confie l’heureux business man. Un récent article du New York Times révèle les mêmes conclusions outre Atlantique, citant une habitante de Washington qui a renoncé à ses latte du Starbucks, mais pas à ses petits tours au Dasha Boudoir, s’offrant des sex toys qui lui « procurent un plaisir qui vaut le coût ». Analena Graham, propriétaire de cette boutique, confirme : « en temps de récession, on peut se dire ‘Je pourrais me passer de ce pull à 400 $, mais j’aurais toujours besoin de ce vibromasseur’. »

Le réflexe du nid

L’explication de ce repli sous la couette ? En période de récession, l’individu resserre ses activités autour de sa vie privée, dont le sexe. C’est "le réflexe du nid" dont parle Claire Cavanah co-fondatrice de Babeland, sex shop pour femmes new yorkais, qui avait déjà enregistré une forte hausse de ses ventes après le 11 septembre 2001. Récemment le Financial Times évoquait également ces "salariés de firmes financières licenciés ou des banquiers d’affaires déprimés à Londres [qui] se bousculent sur le site Illicit Encounters, spécialisé dans les relations extra-conjugales." Le principe économique de substitution veut que les consommateurs, dans une perspective d’épargne, iront toujours vers ce qui les distrait à moindre coût. Et là, le sexe est roi.

Pour le sociologue Gargi Bhattacharyya, professeur à l’université d’Aston en Angleterre, « la sexualité peut sembler un sujet léger, une distraction frivole des problèmes plus graves tels que la pauvreté, la guerre (…). Cependant, c’est précisément à de tels moments, lorsque se présente la possibilité de destruction impensable, que les gens sont susceptibles de s’affoler dangereusement à propos de la sexualité. Les conflits contemporains sur les valeurs sexuelles et les mœurs érotiques ont beaucoup en commun avec les débats religieux d’autrefois (…) Les débats sur les comportements sexuels deviennent souvent des véhicules pour le déplacement d’angoisses sociales et pour l’évacuation du pouvoir émotionnel qui en résulte. » Une bonne raison de traiter la sexualité avec beaucoup d’égards et d’attention, en particulier en ce moment…

L’occasion de constater une nouvelle fois qu‘un orgasme, en plus d’être gratuit, vaut tous les élixirs de beauté. Car on est nombreuses, surtout les jours où le moral est en berne et la confiance en soi à la cave, à courir les boutiques, les spas ou les parfumeries. Et pourquoi ? pour se faire du bien, pour se faire et se sentir belles. Mais à y regarder de plus près, les plaisirs que procurent un massage, une nouvelle jupe ou coupe de cheveux, ne sont-ils pas des fragments d’une jouissance plus puissante ? Autrement dit, puisque les temps sont à l’épargne, pourquoi ne pas remplacer ces substituts d’orgasme – et éviter les frustrations - par de vrais moments dédiés au plaisir le plus épanouissant qui soi.

Attention, pas question de faire vœu de pauvreté sur l’autel de la crise économique, sous prétexte de vivre d’amour et d’eau fraiche… On peut continuer à se gâter, mais entre un énième rouge à lèvres et une huile de massage qui fait si douce notre peau et la sienne ; entre un appareil qui promet de déloger notre cellulite en 12 semaines à raison de 3 séances de torture quotidiennes, et un jouet érotique qui profite aux joies du couple ; entre une boisson-repas hyperprotéinée qu’on avale sans y penser et un vrai bon chocolat qu’on savoure jusqu’à l’extase… On n’hésite plus, et comme par hasard, la solution la plus agréable, celle qui nous met de bonne humeur, qui nous fait irradier et nous rend si infiniment désirable aux yeux des autres, c’est toujours celle-là qui est la moins chère !

Aurélie Galois

Commentaires (1)

  • Tchoumi

    C’est vrai que j’achète moins de choses inutiles lorsque je suis satisfaite. Bien vu.