Le pouvoir, l’aphrodisiaque absolu
Le 09/04/2010
Les jeux du sexe et du pouvoir sont si étroitement liés qu’il semble presque impossible de les séparer. Leurs interactions ont souvent été décrites, mais presque toujours du point de vue masculin. Reflet d’une conception machiste de l’histoire ? A l’heure où le rapport de domination entre hommes et femmes parait s’atténuer, il est temps d’étudier la question sous un angle plus spécifiquement féminin. Pourquoi sommes-nous si nombreuses à nous sentir attirées par des hommes puissants ? Pourquoi les quelques femmes ayant réussi à accéder aux plus hautes fonctions ont-elles toujours été présentées, au mieux comme des créatures mues par une sensualité anormale, au pire comme d’authentiques perverses ? Leur tort principal n’est-il pas de ressembler à certains hommes ?
L’attraction sexuelle du pouvoir
Sous le haut patronage de Zeus, maître de l’Olympe et coureur infatigable, l’appétit sexuel des grandes figures masculines de l’Histoire est devenu presque proverbial. En France, de Henri IV le « Vert galant » à François Mitterrand en passant par Louis XIV et son cortège de favorites, la gourmandise des hommes de pouvoir est non seulement assumée mais presque érigée au rang de fierté nationale, d’élément de notre patrimoine. Pour autant, l’hypersexualité des hommes de pouvoir n’a rien d’une particularité française. Qu’on songe, pour s’en convaincre, à Henri VIII d’Angleterre dont les remariages successifs (il eut 6 épouses en tout) ont conduit à la rupture avec le Vatican et à la naissance de l’anglicanisme, ou, plus récemment, aux aventures aussi célèbres que nombreuses d’un John Fitzgerald Kennedy. D’après les biographes, le sex-appeal de Marilyn Monroe a régné partout sans partage… sauf dans la couche de JFK.
Les hommes de pouvoir ont une sexualité plus que dynamique, la chose est entendue. A en suivre certains anthropologues, l’exercice du pouvoir aurait même pour enjeu principal l’accès aux femmes. De la même façon que deux kangourous se disputent le statut de « mâle dominant » pour obtenir l’accès exclusif aux femelles du groupe, les hommes feraient, par le truchement des guerres et des luttes de pouvoir, la démonstration de leur virilité et de leurs capacités reproductives.
Est-ce la raison pour laquelle il se trouve toujours autant de femmes pour se disputer les faveurs des puissants ? Car ceux-ci ne présentent pas toujours un aspect séduisant, loin s’en faut. Henri IV, qui aimait particulièrement l’ail et refusait énergiquement de se laver, était à peu près aussi réputé pour son odeur insoutenable que pour sa galanterie. Quant aux derniers Présidents de notre République, il faut reconnaître que leurs silhouettes septuagénaires n’étaient pas précisément affolantes. Et pourtant…
Faut-il donc se ranger à l’avis d’Albert Cohen, considérer avec le héros de Belle du Seigneur que les femmes « sont paléolithiques, descendantes des femelles au front bas qui suivaient humblement le mâle trapu et sa hache de pierre » ? En d’autres termes, que les démonstrations de puissance et de force susciteraient, en tant que telles, notre excitation ? Quand on songe aux cris féminins d’admiration qui retentissent dans les arènes lors des spectacles (de pouvoir et de mort) de corrida, quand on sait la frénésie sexuelle de certaines femmes devant les prouesses des toréadors, on serait tenté de se rallier au désenchantement de Solal.
Cette explication n’est pourtant que parcellaire. A défaut, épouses, maîtresses, favorites, toutes se contenteraient de suivre leur Seigneur, croupes disponibles et yeux ébahis. Au lieu de cela, nombre de femmes parvenues dans des milieux de pouvoir en profitent pour nouer des alliances, tisser des réseaux d’influence… et pas seulement dans l’objectif de conserver leur place ou d’imposer de nouvelles modes vestimentaires. Favorisant les partis, précipitant les disgrâces, elles s’impliquent dans les affaires de politique intérieure ou étrangère, parfois même au grand jour, comme Madame de Maintenon ou Madame de Pompadour. On voit que si le pouvoir exerce un attrait à part entière aux yeux des femmes, c’est aussi parce que celles-ci ont longtemps été maintenues hors de la sphère du politique. Si le pouvoir a pu être perçu comme un moyen pour les hommes d’accéder au sexe, le sexe est longtemps demeuré le seul moyen pour les femmes d’exercer un pouvoir.
Le seul ? Pas tout à fait. En dépit de mécanismes établis presque partout dans le monde pour tenir le pouvoir politique hors de portée des femmes, les aléas de l’Histoire ont permis à certaines d’entre elles d’accéder aux plus hautes fonctions. Une femme au pouvoir ? Cette « curiosité » a longtemps été décriée et perçue comme un signe de nymphomanie ou de perversité chez l’intéressée.
La femme de pouvoir, cette salope !
La figure de Messaline, la mère de Britannicus, a tant marqué les esprits qu’elle est presque devenue un concept, à tout le moins une grille de lecture au travers de laquelle sont inspectées toutes les femmes de pouvoir. Pour en venir toujours aux mêmes conclusions : nymphomanie et perversité.
Aliénor d’Aquitaine, reine de France puis reine d’Angleterre, en figure un bon exemple. Seule héritière du vaste duché d’Aquitaine, cette femme qui osa demander l’annulation de son mariage avec Louis VII pour épouser le futur Henri II d’Angleterre, de onze ans son cadet, paya fort cher cette preuve de caractère. D’une infidélité, commise à l’encontre de son premier mari (l’aventure n’a jamais été démontrée mais est tenue pour authentique par la plupart des historiens), les chroniqueurs de l’époque tirèrent une véritable « légende noire ». Suspectée des liaisons les plus improbables, la mère de Richard Cœur de Lion s’est vue régulièrement traiter de « putain », de « fille publique » par ses contemporains. Pourquoi tant de haine ? Dans sa biographie consacrée à la reine, Jean Flori explique « qu’il n’est pas étonnant qu’un comportement si précocement « féministe » ait été interprété par les chroniqueurs conformément aux poncifs habituels de l’époque concernant les femmes : autrement dit comme le résultat d’une libido débridée, voire perverse pour les uns, d’une nature faible et manipulée par les hommes pour les autres. Aliénor n’a sans doute été ni l’une ni l’autre, mais bien une personnalité à fort tempérament, bien décidée à conduire elle-même sa vie privée et publique dans toutes ses dimensions, sentimentale, sexuelle, sociale, culturelle et politique ».
Femme puissante ? Un crime impardonnable, presque systématiquement sanctionné par une réputation de putain. Marie Stuart, la Reine Margot, Catherine II de Russie et tant d’autres ont connu ce même sort. L’équation est longtemps restée simple : les hommes de pouvoir sont de sympathiques gourmands, les femmes de pouvoir, d’infâmes luxurieuses… Pratique ! Les choses ont-elles véritablement changé ? A s’en tenir au strict domaine de la politique, rien n’est moins sûr. Dans l’ouvrage de Christophe Deloire et Christophe Dubois, Sexus Politicus, Roselyne Bachelot confie que "mis à part quelques Messaline, nous menons une vie de religieuses quasi cloitrées. Les femmes savent qu’avoir une vie amoureuse un peu libre serait utilisé par leurs adversaires".
Pourquoi s’en prendre de façon si virulente à la sexualité des femmes de pouvoir ? Probablement parce que celles-ci inversent les rôles tels que distribués depuis des millénaires entre les hommes et les femmes. Comme l’explique Pierre Bourdieu dans La domination masculine, « l’ordre social fonctionne comme une immense machine symbolique tendant à ratifier la domination masculine sur laquelle il est fondé » ; « le principe de la perpétuation de ce rapport de domination ne réside pas véritablement dans un des lieux les plus visibles de son exercice, c’est-à-dire au sein de l’unité domestique, mais dans des instances telles que l’École ou l’État, lieux d’élaboration et d’imposition des principes de domination ». En d’autres termes, la femme de pouvoir est perçue comme perverse car elle incarne un renversement du rapport usuel de domination et qu’elle dispense son « mauvais » exemple depuis les plus hautes sphères. Comme le souligne Jean Flori pour expliquer l’attitude des contemporains d’Aliénor, celle-ci se comportait : « non plus en femme et reine conforme au modèle prôné par la morale du temps, mais en homme, on oserait presque dire « en mâle », voire en roi ».
Il n’y a là rien de véritablement surprenant. Le pouvoir et le sexe mettent en œuvre des pulsions similaires (soif de dominer l’autre, besoin de tromper la peur de la mort…). A se tenir éloigné de millénaires d’histoire et de pensée machistes, qui voudraient que la femme soit soumise de nature, on observe qu’en réalité les hommes et femmes de pouvoir fonctionnent de façon assez similaire et partagent la même sexualité passionnée.
Puissantes et puissants : même combat ?
« Aucun pays ne manque d’hommes. Le problème n’est pas de savoir les trouver, mais d’utiliser ceux qu’on a sous la main. » Machiavel ? Bonaparte ? Churchill ? Non, non et non ! La phrase est de Catherine II de Russie, s’exprimant ici au sujet de ses amants, fréquemment appelés à l’assister dans son exercice du pouvoir. De Grigori Orlov, qui lui fournit l’appui militaire nécessaire au coup d’ État dirigé contre son époux, au célèbre Potemkine, propulsé par la tsarine aux plus hautes fonctions, Catherine II s’est régulièrement servie de ses amants pour asseoir son autorité, sans jamais accepter de partager son pouvoir avec eux. Se définissant elle-même, dans sa correspondance ardente à Potemkine, comme « une chatte en chaleur », la tsarine, qui disposait d’une « goûteuse » pour éprouver la virilité de ses favoris potentiels (!), résumait parfaitement la chose : « L’amour est l’instrument dont disposent les femmes pour forcer le destin et en adoucir les coups. Le moyen d’obtenir ce qu’elles désirent et de désirer ce qu’elles ne pourraient posséder autrement. Il s’agit toutefois de veiller à maîtriser cet instinct féminin de domination qu’un véritable amant ne pardonnera pas ».
Instinct féminin de domination. Dans la bouche d’une souveraine du XVIIIème siècle, l’expression ne manque pas de surprendre. Se plaçant d’emblée comme égale des hommes, assumant ses liaisons, Catherine II contribua incontestablement à l’évolution tant des rapports amoureux que de la conception masculine du pouvoir.
Les femmes d’aujourd’hui, de plus en plus nombreuses à tenir des fonctions de direction au sein des entreprises, ne disent d’ailleurs pas autre chose. Malika, 38 ans, directrice d’un grand fast-food de région parisienne admet sans équivoque son « kiff de se faire obéir des autres, à commencer par les hommes ». Kiff ? Le même mot revient dans la bouche de Véronique, DRH d’une importante société de service. S’agit-il seulement de prendre une revanche sur plusieurs millénaires de domination masculine ? Pas seulement, explique Véronique. « Bien sûr, l’inversion des rôles est amusante, mais ce que j’aime avant tout, c’est décider, sentir que j’ai de l’influence sur le déroulement des choses ».
Le mouvement n’en n’est encore qu’à ses balbutiements, mais il est évident que certaines femmes aiment le pouvoir, tout autant que les hommes. Ont-elles une sexualité ardente ? Bien sûr ! répond Malika, qui ajoute dans un sourire « on est au XXIème siècle… maintenant c’est permis ! ». Le pouvoir dont disposent ces femmes apporte-t-il un plus à leur vie sexuelle ? Véronique nuance : « Les hommes qui sont sous mes ordres semblent terriblement intimidés, voire franchement pas intéressés… Mais le soir, dans mon lit, j’ai un plaisir certain à m’imaginer les convoquant dans mon bureau pour une petite séance de travaux pratiques ». Tel n’est pas le cas de Béatrice, qui dit percevoir un désir « très vif » chez certains des cinquante hommes qu’elle dirige chaque jour dans sa société de consulting. Lui est-il arrivé d’en profiter ? La réponse fuse sans tarder : « Mais non ! Je préfère les laisser baver… c’est beaucoup plus marrant ».
[gris]Caroline Colberti[/gris]
Biblio :
La domination masculine, Pierre Bourdieu, Point Seuil, 1998.
Aliénor d’Aquitaine, Jean Flori, éd. Payot & Rivages, 2004.
Les amours de la Grande Catherine, Vladimir Fédorovski, éd. Alphée, 2009.
Marilyn et JFK, François Forestier, Livre de poche, 2009.
Sexus politicus, Christophe Deloire et Christophe Dubois, Albin Michel, 2006.
Commentaires (3)
Fantastiquement intéressant, c’est bien de zoomer sur cet aspect là, trop rarement abordé.
Entièrement d’accord avec Violaine. Je me demandais pourquoi seuls les hommes politiques couchent à tout va, tandis que les femmes se donnent des airs de sainte Nitouche. Là c’est plus clair.
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