Les "no sex" sortent de l’ombre

Le 26/03/2010

Vivre sans sexualité ? Ils le revendiquent. De plus en plus nombreux chez les trentenaires, les asexuels font leur "coming out". Un comportement récemment étudié dans plusieurs ouvrages. Qu’elles soient vierges ou pas, ces personnes ont décidé d’exclure le sexe de leur vie, sans considérations religieuses. Le cheminement est tout autre...

Libido au dessous de zéro

« J’ai 37 ans, je n’ai pas fait l’amour depuis neuf ans et cela ne me manque pas », confie Christophe. J’ai été puceau jusqu’à 22 ans et ma première expérience sexuelle s’est faite par hasard. A trente ans, j’ai vécu avec une femme à qui j’ai confié mon manque de désir chronique. Je n’ai pas de fantasme, je ne suis pas excité par les films porno…J’ai envie de rencontrer quelqu’un avec qui je pourrais construire une histoire durable sans sexualité, mais c’est difficile… ».
Asexuels ? Tout comme Christophe, ils ont envie…de ne rien faire. Ils seraient, d’après les derniers chiffres, entre 2,3% et 2,7% de la population…Et encore plus nombreux si l’on compte ceux qui n’ont « pas fait l’amour ces douze derniers mois (10,8% des femmes et 6,6% des hommes (1). Autant de libidos en friche, de fantasmes au point mort. Certains, depuis toujours. A 33 ans, Valentine reconnaît qu’elle n’a jamais eu besoin de sexualité. « J’ai toujours perçu ça comme une gymnastique insensée. Je ne vois pas l’intérêt. J’ai essayé avec un homme, une femme, pensant que j’étais plus homosexuelle, mais rien n’y a fait. Ca ne m’inquiète pas, poursuit la jeune femme, d’autant plus que j’ai la chance de ne pas vouloir d’enfant ».

Valentine affirme tout haut ce que certains taisent encore…de moins en moins. Car, s’ils ont toujours existé, les asexuels peuvent enfin s’exprimer, surtout depuis que les mouvements dits « non libidoïstes » ont commencé à émerger au tout début des années 2000 aux Etats-Unis et aux Pays-Bas- avant de s’exprimer, quatre ans plus tard en France. Aux Etats-Unis, David Jay, un jeune « a » de 23 ans comme il se définit pudiquement, fonde le mouvement AVEN (Asexual Visibility and Education Network). Son slogan ? « L’asexualité ne concerne pas que les amibes ». Son site (2) suscite des milliers de commentaires et rencontre un écho certain. Enfin, les asexuels ont un lieu où se confier et d’exprimer leur « A-pride Attitude », celle de la « fierté asexuelle » ! Est-ce un fait d’époque ? « Non », affirme, sûre d’elle, Peggy Sastre, auteure du tout récent No Sex- avoir envie de ne pas faire l’amour (3) : « Ca n’est pas une « tendance, mais une manière de vivre. Les asexuels n’ont tout simplement aucun appétit au lit. Ceux que j’ai interviewés n’ont aucune émotion amoureuse, et pas davantage de fantasmes ». Asexualité, afantasmagorie…Sylvain Mimoun, andrologue, explique : « Toutes les libidos sont dans la nature, et certains sont, naturellement plutôt « tièdes » en la matière. De fait, à la moindre anicroche (chômage, deuil, déprime, grosse fatigue…) leur sexualité « décroche », tout simplement. Et cela peut durer de bons mois…Jusqu’à l’arrêt total, y compris pour ceux qui vivent en couple »…

Les trentenaires en première ligne

Qui sont-ils, ces asexuels ? Jean-Philippe de Tonnac (4) voit dans cette « Révolution asexuelle » là un fait de génération : celle des trentenaires, élevés dans l’ultra liberté sexuelle par leurs parents…Et qui saturent. Une sorte de « contre-tendance » qui s’oppose au diktat du « Big O » (comme orgasme) : « Je suis tout à fait d’accord, confirme le dr. J.-D Nasio, psychiatre : « Ce sont les enfants de la génération 68. Ils ont vu leurs parents s’affranchir des diktats, se promener tout nus dans l’appartement… Pour la plupart élevés par un père absent, ils ont, a contrario, vécu avec une mère toute-puissante. Ca ne leur a pas facilité la tâche, d’autant plus que l’on est passé en quelques années de l’interdiction à l’exhibition totale, de la névrose à l’addiction. Est-ce si positif que cela ? »

Certains asexuels sont lassés de la pornographie, de l’exhibitionnisme tous azimuts et surtout de cette « injonction à jouir » qui prévaut aujourd’hui, ce que Jean-Claude Guillebaud avait évoqué dans son ouvrage « la tyrannie du plaisir ». Professer les pires débauches, proclamer une vie sexuelle débridée, n’est-ce pas le diktat depuis les années 90 ? Dans Le paradoxe amoureux (Grasset) son dernier opus, Pascal Bruckner renchérit : « le sexe est devenu au même titre que (..) le salaire, l’apparence physique, un signe extérieur de richesse, que les individus ajoutent à leur panoplie sociale ».

D’où le paradoxe suivant : certains s’affichent de manière provocante, racontant des soirées très « hot », prônant l’échangisme…Et en réalité n’en font rien ! A croire que plus on s’affiche…moins on le fait. « Chez les adolescentes, ajoute le philosophe, le string, la micro-jupe et autre make up provocant sont devenus quasiment l’uniforme « ce qui ne les empêche pas de rester très sages. ». Le sexe serait donc passé de « tabou » à « totem »… Avec pour effet paradoxal, de « freiner » certains. Trop de sexe aurait-il…tué le sexe ? D’après Jean-Philippe de Tonnac, la réponse est évidente. Les asexuels refusent une sexualité trop facile, qui, parce qu’elle va trop vite en besogne, finit par maltraiter…le désir.

Petite nouveauté du siècle, les psychiatres voient arriver dans leur cabinet des hommes, plutôt bien faits de leur personne et qui se montrent totalement réfractaires au sexe. Ce que confirment les chiffres de l’enquête de Nathalie Bajos : entre 18 et 35 ans, les hommes sont quasiment deux fois plus souvent inactifs que les femmes (6,2% contre 3,5%) (1), la tendance s’inversant à la cinquantaine ans pour les femmes.

Les nouveaux puceaux

« Depuis quelques années, confirme J.-D Nasio, je vois arriver des puceaux de 30 ou 33 ans, sortis depuis longtemps de la crise d’acné, et qui me confient leurs difficultés à passer à l’acte. En quarante ans de pratique, souligne le psychiatre, je n’ai jamais vu ça. La perspective de faire l’amour déclenche en eux une réaction de peur panique. Peur du regard du jugement des femmes, en particulier sur leur physique- les hommes étant soumis maintenant à ces nouveaux diktats esthétiques ». L’asexualité masculine serait donc une réaction des hommes face aux nouvelles exigences des femmes ? Pour la psychologue Hélène Vecchiali, auteure d’un essai très remarqué et controversé Ainsi soient-ils (Calmann-Levy) sur le malaise des hommes cela ne fait aucun doute. « Je sais que je peux choquer », souligne la psychologue. Mais les hommes d’aujourd’hui jugent les femmes trop agressives sur le plan sexuel ». Et l’anxiété de performance à laquelle ils sont soumis les fait fuir. Bien plus fragile que la femme sur le plan sexuel, quoi qu’on en dise, les hommes ont en effet besoin de se sentir soutenus, en confiance…Et, à bien des égards, ces femmes exigeantes leur rappellent inconsciemment la toute première femme de leur vie qui leur demandait des comptes : leur mère ! »

Dans son essai, Pascal Bruckner évoque également cette anxiété de performance- qui peut mener à la Berezina : « Récusé comme macho, analyse Pascal Bruckner, l’homme est requis plus que jamais comme amant. Il doit disposer du matériel et du savoir-faire idoines, d’autant plus que le plaisir féminin n’a pas honte de s’afficher ». Autant dire que le premier rapport sexuel est vécu, en ces temps d’attente sexuelle, comme une « épreuve du feu » tellement anxiogène…A laquelle certains décident tout bonnement de se soustraire. Pour Hélène Vecchiali, il y a plus : l’homme doit retrouver un rien de machisme pour se sentir bien. « L’attitude « no sex », affirme Hélène Vecchiali, est le signe aujourd’hui d’un défaut de la « différence sexuelle ». On nage dans une sorte de société tiède, consensuelle, où règne un « consensus mou », à tous niveaux. Nous haïssons tout type de rupture : rupture générationnelle, différence d’âge, de sexe, d’opinion…Plus rien n’est tranché ». D’après la psychologue, la sexualité pâtit de l’obsession de la similitude, de l’égalitarisme, du « tout pareil. Si les hommes et les femmes se noient dans cette illusion de similitude, la sexualité est en péril. Et le désir bien évidemment aussi ».

Une nuit sans sexe, un livre en plus ?

Le désir est bel et bien au cœur de la quête des asexuels. Que ce soit sa transformation, son transfert, sa frustration… Freud ne faisait-il pas de la sublimation des pulsions le premier moteur de l’individu ? Tous les potaches connaissent la fameuse formule de Balzac, réputé pourtant pour sa prodigalité sexuelle et son goût pour les jeunes femmes : « Une nuit d’amour, c’est un livre en moins » ! De quoi attiser la vocation des plumitifs… A moins que certains ne se privent de sexe pendant quelques années…pour mieux faire l’amour ?
Pour Jean-Philippe de Tonnac, la révolution asexuelle est animée par cette quête d’un mieux désirant culturel : « On a trop souvent placé la charrue avant les bœufs, c’est-à-dire l’objet du désir-la jouissance- avant le désir lui-même. Aujourd’hui, on veut le retrouver, le pimenter… L’anorexie sexuelle pourrait être une manière de le redécouvrir, une sorte d’exhausteur de goût. L’époque, précise l’auteur, est terriblement nostalgique du marivaudage, du flirt, de tous ces préliminaires, pas si sages, qui consistent à explorer l’érotisme en ce qu’il a de plus noble et de pousser le désir à bout… ».
N’est-ce pas un moyen pour retrouver l’appétit, quand on a été gavé de tous côtés ? « Il m’arrive de faire des « diètes » assez régulièrement en la matière, confie Philippe, un célibataire endurci de 46 ans. « Je ne le prévois pas vraiment sur mon calendrier sexuel. Mais régulièrement, après chaque histoire- et certaines ne s’éternisent pas !- je « fais maigre » et refuse les propositions qui s’offrent à moi. C’est une sorte de « purification » spirituelle et sexuelle. Bien sûr, module-t-il, « plus on fait l’amour, plus on a envie de le faire »…Mais je ne souhaite pas le faire de façon mécanique ! Moi, j’ai envie à chaque fois de retrouver les tout-débuts du désir. De m’affamer pour mieux parvenir à déguster, en toute conscience, le mets qui s’offre à moi ». Fin gastronome, Philippe justifie à lui seul l’argument des asexuels de France et d’ailleurs : on veut revenir à une certaine pureté, se débarrasser de cette ambiance « tièdasse du cul, et quasi mécanique qui pollue la sexualité », d’après la formule sans concession de Philippe, pour obtenir une jouissance bien supérieure. Une quête presque mystique, si l’on y songe, et qui pourrait bien se rattacher à celle de certaines religions.

Un culte à Déméter

On connaît la mythologie grecque comme un antre de débauche, où ça n’est que « partouzes, débauches, et zoophilies », rappelle Peggy Sastre dans son essai. Mais sait-on que les belles Athéniennes, une fois par an, se livraient à une promesse de chasteté ? Le culte des thesmophories avait lieu pendant les semailles, en octobre, pendant trois jours. « A leur arrivée au temple, elles plantaient une sorte de campement rudimentaire fait de feuilles de saules (symbole de stérilité) . Elles dormaient à même le sol, restaient assises de longues heures par terre. Interdites aux hommes, ces cérémonies ne servent qu’à flatter Déméter, déesse de la végétation, de l’agriculture et de la fertilité ».

Sur le plan métaphorique, ne pourrait-on pas envisager l’abstinence comme un moyen de « fertiliser » sa jouissance, de la caresser, de l’imaginer…De fantasmer encore plus ? Voilà une attitude pour le moins humaine, à laquelle les animaux ne peuvent souscrire. Alors, doit-on vraiment considérer les asexuels comme des E.T, privés d’une case essentielle, celle de l’amour physique ? « Bien sûr que non, rétorque Peggy Sastre. Aujourd’hui, le combat des « a », mené par un David Jay, porte-parole de cette frange « hard » des asexuels, est précisément de « dépathologiser » le profil des abstinents. Dans le DSMIV, manuel de psychiatrie, les asexuels sont tout de même considérés comme de grands malades mentaux, des inhibés de haut vol... Alors qu’il s’agit bel et bien d’un choix individuel d’un mode de vie ». N’est-ce pas là en effet la suprême liberté de l’être humain, que de choisir…de ne pas le faire ? Voilà qui assurément nous distingue des amibes. Et même des bonobos…


[gris]Sophie Thomas[/gris]


(1) Chiffres cités dans « Enquête sur la sexualité en France » par Nathalie Bajos (éditions la Découverte, 2008).
(2) www.asexuality.org. Voir aussi http://asexualite.blogspot.com
(3) « No Sex, avoir envie de ne pas faire l’amour », éd. La Musardine, coll. L’attrape-corps.
(4) La Révolution asexuelle, ne pas faire l’amour : un nouveau phénomène de société » par Jean-Philippe de Tonnac (Albin Michel)

Commentaires (3)

  • Anonyme

    Les no sex se masturbent ou pas ?

  • Capucine

    Article très intéressant, complexe par l’étendue des themes abordés, les contradictions relevées.

    L’anorexie "alimentaire" est mise en parallèle avec "l’anorexie sexuelle". Cependant la première est une pathologie, alors que la majorité des asexuels revendiquent leur CHOIX de ne pas faire l’amour, apparemment. C’est un processus complexe et compliqué sans doute, comme l’anorexie mentale, la société influence et modèle le comportement, mais il y aussi la question du psychique individuel.
    La santé des asexuels est évidemment moins en danger que celle des anorexiques, mais n’y a-t-il pas des répercussions ? Le sexe chez l’humain est-il seulement culturel ? La notion de besoin est donc totalement fictive ?

  • Martine

    Je cherche un groupe des Assexuels ! PAS DE SEXE point trait ! Juste l’idée de sexe me donne envie de vomir ! il y a t il des gens comme moi ?

    Je fus très sexuée en tant qu’ enfant puis j’ai commencé à ralentir ... maintenant, c’est du DEGOUT que j’éprouve pour tout ce qui est SEXUEL ! Je regrette même d’être devunue MAMAN...
    Je veux l’amitié ! L’affection ! MAIS PAS DE SEXE ! NON ! NON ! NON !