La nudité faite homme
1ère partie : d’Apollon à NarcisseLe 17/03/2009
L’homme est le premier sujet d’étude de l’homme, faisant de la représentation du nu un thème important dans l’Histoire de l’Art. Depuis l’Antiquité on retrouve des représentations de la nudité masculine. Son histoire traduit ainsi les idéologies, mouvements de pensée, courants philosophiques et évolution des mœurs. Avant d’être le reflet implacable de la société, avec le réalisme et l’apparition de la photographie au XIXe siècle, la représentation du nu est avant tout un reflet de la vision idéalisée de l’humanité. Une métaphore de l’esprit, l’extension de l’âme et du divin.
L’art gréco-Romain et le canon du petit pénis
La nudité masculine a connu son apogée artistique à l’époque de la Grèce Antique, et notamment dans sa période "classique". Les artistes de l’Antiquité voyaient le corps humain nu comme le parfait reflet de l’ordre divin. La nudité avait un aspect religieux. « Elle permet de s’identifier aux héros et aux dieux, qui sont représentés nus », explique Jean-Paul Thuillier, historien français spécialiste du sport antique. Pour les Grecs, le canon de beauté était un petit pénis et des fesses musclées, il s’agit d’un héritage des Kouros (entre - 650 et - 500 av. JC) et de la période archaïque. Ces images idéales étaient vraisemblablement basées sur des concepts purement mathématiques. Le modèle est généralement présenté de face, totalement imberbe (le poil ayant une valeur négative liée à l’hygiène et à la beauté du corps), souvent musclé (aine, hanches & pectoraux), et aux sexes de petite dimension. Il s’agit d’un "canon de beauté". Pour les Grecs, le corps masculin nu représentait la perfection même. Ainsi un sexe atrophié ne perturbait pas l’équilibre du corps contrairement à la présence d’un sexe aux dimensions plus importantes, qui déséquilibrerait l’ensemble et conférerait à la statue barbarie, lubricité et la déprécierait.
En 415 av J.C un scandale religieux éclate à Athènes en plein milieu de la guerre du Péloponnèse. Les Hermai (représentations du dieu Hermès : buste surmontant un bloc quadrangulaire sexué) qui avaient pour fonction de sanctifier et de marquer les limites territoriales sont retrouvés émasculés. Les profanateurs sont appelés Hermocopides et de nombreuses personnes sont soupçonnées, forcées à l’exil ou destituées. Les coupables n’ont pas été retrouvés, mais pour l’historienne Eva C. Keuls, les responsables seraient les femmes athéniennes. Selon cette hypothèse controversée, elles auraient profité de la liberté relative conférée par la célébration des Adonies et se seraient inspirées des rituels dionysiaques liés à la castration pour protester contre le machisme régnant à Athènes.
Le péché originel : Adam mis à nu
À la fin de l’Antiquité et au Moyen-Age, le réalisme des nus antiques, la régularité de leurs traits et leur pouvoir érotique étaient devenus incompatibles avec la religion chrétienne dont l’influence croissait. « Le modèle humain de la société du haut Moyen Âge, le moine, mortifie son corps. Le port d’un cilice sur la chair est le signe d’une piété supérieure. Abstinence et continence sont parmi les plus fortes vertus. La gourmandise et la luxure sont majeures parmi les péchés capitaux. Le péché originel, source du malheur humain, qui figure dans la Genèse comme un péché d’orgueil et un défi de l’homme lancé à Dieu, devient au Moyen Age un péché sexuel. Le corps est le grand perdant du péché d’Adam et Eve ainsi revisité. » (1) Héritage du judaïque, le commandement biblique visant à ne pas représenter Dieu ni sa création, signifiait une interdiction bien précise : celle de se mettre à la place de Dieu. Si les hommes, à l’instar des artistes de l’Antiquité, créaient d’eux-mêmes une image idéale, il y avait blasphème, acte d’orgueil extrême. Nonobstant l’érotisme qu’il dégageait, le corps nu était considéré comme honteux et strictement matériel, par opposition à l’âme, immatérielle et pure. Notons qu’au Moyen Age, des nus ont été quand même représentés quand le sujet biblique choisi pour illustrer des manuscrits ou décorer des églises l’exigeait (naissance d’Adam et Eve ou la représentation des morts). Maurice Sartre, historien spécialiste de l’histoire du monde grec et du monde romain oriental, établi une différence fondamentale entre la nudité masculine, chargée de valeurs positives, et la nudité féminine au contraire peu acceptée.
Renaissance et maniérisme
La redécouverte de l’Antiquité, à l’époque de la Renaissance, s’est manifestée par une relation nouvelle de l’homme à son corps, par un retour aux sources de l’idéal antique. Pour les artistes, le corps humain devient un modèle. Néanmoins la représentation de l’homme nu était soumise à des règles strictes, ce qui était plus particulièrement vrai pour la représentation du sexe. Pendant très longtemps, il a été beaucoup plus évident, dans les écoles des beaux-arts, de copier les antiques que de dessiner d’après le modèle vivant. De sorte qu’au début de l’ère moderne, l’idéal classique, diversement interprété, a servi de régulateur entre l’observateur et l’image du nu. Dans les années 1480, Botticelli conçoit le premier nu de l’histoire de l’Europe chrétienne qui ne soit pas associé au péché. Le premier nu peint par Botticelli est masculin. Il s’agit du corps nu du général assyrien Holopherne découvert décapité par ses aides de camp, deuxième panneau d’un diptyque dont le panneau gauche montre le retour de Judith suivie de sa servante portant la tête du général dans un panier. Le second nu du même peintre, masculin également, est un Saint Sébastien percé de flèches, montré en pied lié à une colonne, et auquel, pour la première fois, Botticelli fait observer une double arabesque. Dans ces deux œuvres, le sexe du personnage est dissimulé sous des voiles opportuns. Dans ce siècle qui n’est pas chaste – il est le siècle du Livret de Folastries de Ronsard et du Pantagruel de Rabelais affirmant que les « vases spermatiques » sont « comme un gâteau feuilleté » et qu’il ne faut « point mourir les couilles pleines ». Le 6 mars 2008, Arte a diffusé le documentaire Les musées secrets de Peter Woditsch, se terminant par une visite de « l’Enfer » du Vatican. « L’Enfer » est une zone ultra sécurisée de la Bibliothèque Apostolique Vaticane (BAV) qui a cristallisé tout au long des siècles les fantasmes les plus fous sur les documents qui y seraient conservés ou plus exactement cachés au public. On apprend qu’à la Renaissance on assista à une importante vague d’altérations d’œuvres d’art visant à masquer la nudité. Notamment les sexes masculins des statues du Vatican qui furent tous démontés, numérotés, conservés précieusement dans des tiroirs de « l’Enfer » et remplacés par des feuilles de vigne.
Néoclassicisme et romantisme
La période néoclassique s’ouvre sur la découverte de Pompéi et d’Herculanum dans les années 1750. À l’époque néoclassique, la représentation du corps masculin en France offrait alors deux modèles antithétiques, c’est-à-dire, le modèle ultra-viril (Brutus) et le modèle efféminé (Eros, Narcisse). Abigail Solomon Godeau (2) a pertinemment relevé et commenté ces deux modèles. Le monde patriarcal néoclassique français exclu toute représentation picturale féminine affirmant « la dominance masculine et la subordination féminine ». La féminité est ainsi intégrée aux corps masculins, le monde de la production culturelle est exclusivement viril. Le néoclassicisme est étroitement lié aux idéaux révolutionnaires comme dans les tableaux de Jacques-Louis David où les nus sont intégrés à des scènes de guerre en arrière-plan. Pendant la période jacobine, les femmes étaient d’ailleurs bannies du pouvoir. « Si le pouvoir du phallus trouve un hôte de choix dans la forme masculine, le pouvoir patriarcal, lui, excède l’organe impuissant à supporter son poids symbolique. » Le mouvement romantique se développe en parallèle du mouvement néoclassique. Le peintre français Anne-Louis Girodet de Roucy, élève de David, se trouve à la jonction entre ces deux courants. L’une de ses œuvres : Endymion, effet de lune ou Le Sommeil d’Endymion (1791) représente le berger Endymion alangui recevant la visite nocturne de Séléné (sous forme d’un rayon de lune). Le corps du jeune éphèbe est dépourvu de toute musculature dérivée des formes antiques et classiques, il est clairement efféminé.
Le métrosexuel d’aujourd’hui serait-il le résultat de l’éviction de la représentation de la figure féminine dans l’histoire du nu ? Sous quelle forme le cycle virilité/féminité évolue-t-il à partir de fin du XIXe siècle ? Y a-t-il une chance, finalement, pour que le cercle se brise dans son éternel retour au classicisme ? Le mode d’articulation entre passé, présent et l’avenir ne se joue-t-il pas, finalement, dans un travail de deuil du classicisme sans cesse renouvelé ? Eléments de réponses dans la seconde partie.
Commentaires (1)
IJWTS wow ! Why can’t I think of tihngs like that ?