La transgression

Le 20/11/2009

Œdipe nous a ouvert la voie. Tuer son père et, de surcroît, coucher avec sa mère, n’étant pas donné à tout le monde, que nous reste t-il aujourd’hui à transgresser ? Quelles valeurs sacrées viole t-on encore ? L’impératif de transgression de ces dernières années semble avoir dépossédé le terme de son sens premier. Pourtant, les affaires Polanski et Mitterrand, que l’opinion publique a violemment réprouvées, signalent l’actualité de ce questionnement. L’homo sexus des années 2000 reste en effet prisonnier de ces contradictions : à l’heure où l’on peut, a priori, tout oser, les conduites sexuelles restent encore très codifiées. Quelle place tient la transgression dans l’économie du plaisir, sachant que le désir apparaît, bien souvent, blasphématoire ? Petit tour dans l’extase du sacrilège.

Le grand écran n’en finit pas de célébrer ses excès, récemment encore avec la lycéenne vampiresse et bisexuelle de Jennifer’s Body, qui associe le politiquement incorrect à l’horrifique. Au cinéma comme dans la vie, ce type de transgression n’est effectif que dans le cadre d’une limite posée et ne fait sens que par rapport à des interdits structurants. Difficile en effet d’ignorer que le corps et la sexualité, productions historiques, sont soumis aux normes de leur époque et à un système de valeurs, à un moment donné. Sans tomber dans la surenchère dans laquelle l’aspect transgressif se perd, il s’agit plutôt d’éclaircir l’ambivalence relative à nos sens. Pour ceux qui la placent au centre de leur vie (SM, fétichisme etc..), ponctuellement ou comme activité à temps plein, les manières de la vivre recouvrent invariablement des réalités diverses. Avec des nuances, comme le rappelle Charles, qui n’est pas « sûr que tous ceux qui ont des pratiques dites "transgressives" se reconnaissent forcément dans cette appellation, ou adoptent ces pratiques parce qu’elles le sont. »

Salubrité du couple

On ne vient pas forcément à la transgression par goût de la provocation ou du scandale. Tel l’enfant qui désobéit à ses parents, elle tient un rôle primordial dans le développement psychologique de l’individu. Et constitue souvent, sans que l’on s’en rende compte, un moteur dans le parcours sexuel et la progression naturelle qui mène du premier rapport sexuel à d’autres expériences. « Ce qui m’intéresse à titre personnel, c’est beaucoup moins le rapport aux frontières et aux normes dans les pratiques, que la question des peurs, » explique Charles. Pour Alexandre, il y a dans la transgression la notion d’épreuve, au sens où faire ses preuves et se révéler ainsi à soi-même, procure une extase. « Il existe un plaisir dans l’exhibition ou la honte, comme état limite », explique t-il. La décision de transgresser s’impose aussi souvent comme une nécessité à la plupart des couples, au renouvellement de la vie érotique. Briser l’habitus sexuel, innover dans un registre clandestin, se confronter à ses propres tabous agit ponctuellement comme une catharsis salutaire (le fameux piment du couple !), stimulant la libido, y mêlant l’excitation de l’inconnu à la volupté de l’anticipation. La transgression s’accompagne d’une forme de jubilation et d’accomplissement de soi dans une violation libératrice. Le geste peut conserver pour certains un caractère infantile, alors que c’est précisément s’exposer, se mettre en danger puisque implicitement au moins, l’acte transgressif appelle une sanction.

L’interdit, consubstantiel à l’érotisme

Le plaisir de l’interdit qui nourrit le fantasme et l’érotique des corps remonte en fait à l’origine du mot. Selon la définition du Larousse, « l’érotisme est perversité au sens étymologique du terme [du latin perversus, « renversé »] : il tourne le vice en vertu, devinant que ce qui était défendu est en fait délicieux. Le détour par le péché est essentiel à l’épanouissement de l’érotisme : là où il n’y a pas de gêne, il n’y a vraiment pas de plaisir. » Sade, son plus ardent défenseur, recommande d’y avoir recours sans ménagement : « Il est essentiel de prononcer des mots forts ou sales, dans l’ivresse du plaisir, et ceux du blasphème servent bien l’imagination. » Dans le projet de Sade, qui souligne la dimension proprement transgressive de la sexualité, il est question de dominer l’interdit pour surmonter les notions, illusoires, de vice et de vertu. Georges Bataille, autre chantre sulfureux, en fait même la condition de la jouissance érotique. Cette profanation n’abolit pas l’interdit mais le dépasse en le maintenant, y compris avec l’inquiétude qui l’accompagne. « L’expérience intérieure de l’érotisme demande de celui qui la fait, une sensibilité non moins grande à l’angoisse fondant l’interdit, qu’au désir menant à l’enfreindre, » écrit-il.

Fascination de l’obscénité

Les mises en scène plus ou moins inventives des émois corporels qui fleurissent à partir du XVIIe siècle dans les productions culturelles organisent la transgression, et l’alimentent. La diffusion des romans érotiques, ancêtres du Harlequin qui se lit à une main, stimulent ainsi le plaisir sensuel. « Le livre pornographique a pour but d’exciter son lecteur et de l’inciter à passer à l’acte, » note l’historien Alain Corbin dans sa monographie sur les manières de jouir. La littérature se pose ainsi comme site du fantasme, et la lecture comme activité nuisible et dangereuse, souvent concomitante à la masturbation. Ces œuvres se consomment dans le secret, qui en est la condition : « S’imaginer en situation d’effraction oculaire constitue une procédure indispensable au fonctionnement du texte érotique. » Parmi les procédés de l’excitation mis en œuvre pour titiller le lecteur, « la transgression des interdits les plus forts porte l’excitation à son comble, déroulant ainsi toute la gamme ascendante des péchés de luxure. » Jusqu’à son apogée, « le besoin de jouir en urgence se confond ainsi avec le désir de lire. »

L’outrage à domicile

Les limites sexuelles, relatives, connaissent des fluctuations tant sociales que personnelles qui s’éprouvent tout au long d’une vie sexuelle. Kata Sutra, ouvrage collectif qui vient de paraître, évoque avec dérision la sexualité féminine, des sextoys et autres « consolateurs de caoutchouc » à la sex tape. L’une des auteures se souvient avec émotion de sa première expérience avec le X : « il faut savoir qu’à l’époque [dans les années 80] un film pornographique restait une rareté, » précise t-elle. Piochant parmi les VHS des parents, « l’après-midi, avec ma meilleure amie, on se matait donc des scènes de cul ». Jusqu’à l’arrivée, providentielle, du décodeur. « Quand les gens s’extasient sur l’esprit Canal, le porno du premier samedi du mois y était pour beaucoup. Une véritable révolution dans la société française. » Le défunt Minitel, puis Internet ont changé la donne et, en partie, adouci l’inconscient collectif. Selon une enquête Ifop commissionnée par Dorcel, grand magnat du X français, un déséquilibre hommes/femmes demeure, mais elles se disent de plus en plus nombreuses à consommer de la pornographie. S’il reste cloisonné, son usage plus accessible, gratuit parfois, et privé, se dédramatise. Une bagatelle, en somme, désormais à portée de main.

La norme exclusive : le couple et l’amour

L’émancipation sexuelle des années 60 a permis d’explorer des champs sexuels différents, le plus souvent au sein du couple monogame. Pionniers, les polyamoureux brisent une autre dimension du tabou, en remettant en question le concept même de relation amoureuse. « Nous réfutons la thèse selon laquelle le rapport amoureux est une forme de possession de l’autre, » explique Meta, polyamoureuse assumée depuis toujours, qui s’épanouit avec un amoureux principal et d’autres partenaires, d’importance variée. Elle raconte qu’il s’agit d’une « démarche sérieuse, pas adolescente ou collectionneuse », qu’elle vit « comme on choisit de vivre son homosexualité. » Elle évoque une entente mutuelle avec ses partenaires, qui exige communication et respect, et qui permet surtout de penser ensemble à la fois un engagement fort mais aussi la liberté de l’autre et son indépendance. « Mes limites intérieures se situent au niveau de la sexualité : il y a des autoroutes (le sexe monogame, vaginal) et le reste, les rues de traverse, avec des femmes ou à plusieurs, que j’aime emprunter car je suis curieuse. » « Cette différence par rapport à la norme oblige certes à un cheminement intellectuel » conclue t-elle, « mais ce qui est essentiel c’est le regard que l’on porte sur soi-même ».

La transgression est une notion, flottante, constamment révisée, qui épouse la courbe de la morale et de ses renversements successifs (éduquer les adolescents par la sodomie comme dans la Grèce antique, par exemple, ne serait guère bien vu aujourd’hui !). Mais des interdits demeurent, à savoir l’endogamie (inceste) et la pédophilie, qui mettent en jeu l’enfance, zone sacrée entre toutes. Sans limite, la transgression s’abolit, le chaos triomphe. Cependant, alors que des relents de moralisme se font de plus en plus ressentir dans cette période de crise qui fait le lit de la peur, on perd de vue un facteur propre à la notion de transgression : le risque. Sans interdit la sexualité perd son pouvoir, sans risque elle perd son sel.

[gris]Clémentine Arnaud[/gris]

[gris]Bibliographie :

Alain Corbin, L’harmonie des plaisirs, Les manières de jouir du siècle des Lumières à l’avénement de la sexologie.
Nadia Daam, Emma Defaud, Titiou Lecoq, Johana Sabroux, Elisabeth Philippe, Kata Sutra, La vérité crue sur la vie sexuelle des filles.
Georges Bataille, L’érotisme.
Sade, La philosophie dans le boudoir.
The ethical slut, a practical gudie to polyamory.
www.polyamour.info

Image © Yvonne Bogdanski - Fotolia.com[/gris]

Commentaires (3)

  • joejustine91

    http://fr.wikipedia.org/wiki/Thème...
    un bel exemple de transgression ... bises
    Joey et Justine

  • Laurence

    Wikipedia ou pas, j’ai du mal à considérer Thelma et Louise comme un exemple de trangression. Il y a un tel mouvement des femmes depuis le début du 20ème siècle à adopter les codes masculins comme mode d’émanicpation, c’est tellement rentré dans les moeurs, que je ne vois pas là où est la transgression.
    Mais merci pour ce très bel article !

  • GpXMPjKo

    Bonjour et de9sole9, je n’ai pas eu le courage de lire la totlaite9 des commentaires. Ces histoires vraiment me chagrinent. Le tableau de la justification du combat mene9 est d’une telle hypocrisie ! Ca y est, je craque, c’est le coup de gueule !1/ Le combat mene9 est 100% identitaire et n’a vraiment, mais vraiment, pas grand chose e0 voir avec la proclamation de l’e9vangile. Comme si l’Eglise avait attendu ces manifestants pour conduire une ve9ritable pastorale aupre8s des personnes homosexuelles. Mais non, on vient me provoquer publiquement, e9vangile ou pas e9vangile, je saute e0 deux pieds dedans. Pour de9fendre quoi ? L’Eglise ? La Ve9rite9 ? Nooooon : mon IDENTITE ! Et e7a transparait jusque dans la re9ception de la critique : on critique la contre-manifestation, c’est donc qu’on a peur d’eatre mal aime9 par le monde. Pardon, mais justement la question n’est pas de se faire aimer, mais de faire aimer Je9sus. J’aimerais savoir since8rement combien de personnes homosexuelles, e0 l’issue d’une telle contre-manifestation, aurait eu la plus petite chance, meame avec tout le secours de la prie8re fervente, de se dire : tiens mais peut-eatre que je me trompe sur l’Eglise et qu’elle propose vraiment un message d’amour. M’est avis que celui-le0 aurait certainement un ne9vrose9 de premie8re. Au contraire, combien de faibles dans la foi (cf. Saint Paul et le scandale du faible) de telles de9monstrations conduisent irre9me9diablement e0 se de9tourner de l’Eglise par de9gout, et e0 s’enfermer dans l’he9re9sie ? Certains disent ici qu’on est responsable de ses fre8res : pre9cise9ment, et e7a demande re9flexion. Cracher la ve9rite9 e0 la figure de quelqu’un, sans s’occuper une seule seconde d’y mettre les formes pour qu’il n’ait pas envie de cracher dessus e0 son tour, c’est non seulement hypocrite, mais c’est comple8tement desservir le Christ.2/ Je ne supporte plus qu’on la rame8ne sans arreat avec les marchands du temple, sans essayer de comprendre deux secondes ce que veux dire l’e9vangile. En l’occurence, les changeurs du temple e9taient des juifs pratiquants pour les juifs pratiquants, qui vendaient les offrandes pour le culte. Les marchands du temple sont pre9cise9ment ceux qui pre9tendaient repre9senter le culte, en soumettant l’amour rendu e0 Dieu e0 des crite8res de statut social, d’exclusion ou de reconnaissance, faisant barrage et en imposant leur manie8re de pratiquer, en exere7ant un monopole du culte. Ils de9cidaient un peu qui e9taient les bons et les me9chants, en faisant la police cultuelle e0 l’entre9e du temple, en ve9rifiant que l’offrande e9tait conforme. Comment ne pas voir une seule seconde que les marchands du temple que Je9sus aurait chasse9 ici ne sont pas ceux qu’on croit !!!3/ Jeanne d’Arc, ahhhhhhhh ! Jeanne d’Arc. Je l’aime beaucoup. Le0 aussi e7a me saoule d’entendre tout le temps les meames exemples e0 deux francs (30 centimes d’euros, pardon). C’est juste que : je ne suis pas en guerre, je n’ai pas entendu les voix du Seigneur me demandant de bouter les homosexuels hors du parvis d’une e9glise, et que si meame j’avais entendu ces voix, j’aurais quand meame e9te9 en parler e0 mon directeur spi et e0 mon e9veaque avant de faire quoique ce soit. Question de discernement e9le9mentaire qui semble e9chapper e0 beaucoup. Un ministe8re dans l’Eglise, e7a ne s’improvise pas. Et meame Jeanne d’Arc, toute fougueuse qu’elle e9tait, n’a pas improvise9 son obe9issance e0 Dieu. Le0-dessus, de9tail de dernie8re minute : il y a aussi d’autres saints et saintes, dans l’histoire de l’Eglise, qu’il peut eatre bon de me9diter.4/ La foi est intelligence. Sauf que le0, bonjour l’incohe9rence. Des militants cathophobes viennent provoquer, la provocation/manifestation est intole9rable, mais je vais faire comme eux. C’est moins fatigant que de chercher d’autres ide9es ! pas grave si je me comporte contre ceux que je de9nonce, j’ai le droit : je suis dans le camp des bons.5/ Ca ne geane que moi qu’au final tout cela divise les chre9tiens, et serve le diviseur ?6/ Pardonnez-moi tous, mais comme e7a fait vraiment un moment que e7a me travaille, et que j’ai d’ailleurs bataille9 dur ces derniers temps sur un autre sujet qui a passionne9 aussi les identitaires (Hellfest, en gros le meame paradigme e0 quelques de9tails preats), je me soulage enfin d’un gros poids. Je regretterais peut-eatre ensuite, mais le0 e7a craque.7/ Enfin, puisque je ne voudrais pas en rester aux critiques faciles (si, si elles sont faciles, c’est tragique, mais c’est comme e7a). Les ide9es il y en a d’autre que ces comportements calque9s sur tout ce qu’on peut reprocher au monde d’aujourd’hui. Comme je l’avais dit e0 un moment sur le blog de Koz, je crois que face e0 des homosexuels, meame extre9mistes et meame tre8s mal intentionne9s, qui interpellent l’Eglise, il ne faut pas rester les bras croise9s chez soi en s’en fichant total. Il ne faut pas non plus se rassembler et faire le barrage menae7ant coudes-e0-coudes. La seule bonne position pour les bras, c’est celle du Christ en croix : bras grands ouverts ! Accueil, dialogue, e9changes. La ve9rite9, oui, mais dans la charite9. Montrer le regard aimant du Christ. Poser un regard d’amour sur la personne qu’on a en fasse de nous, c’est ouvrir la porte de son coeur.Ce sont des ennemis de l’Eglise, dis-tu ? Mais e7a tombe bien, le Christ t’as dit : aimez vos ennemis. Il n’a pas dit de rendre oeil pour oeil ! Au contraire, il t’a sorti de cette logique estropiante. Concre8tement, les ide9es qui avaient e9te9 lance9es sur le blog de Koz : tu viens avec tes amis, tu ame8nes tes petites tables, avec le cafe9 et les petits gateaux. Tu as le sourire et tu es accueillant, comme si c’e9tait le Christ que tu accueillais chez toi. Pourquoi tant d’e9gard pour des personnes qui crachent sur l’Eglise et sur le Christ ? Je te laisse re9fle9chir e0 l’histoire du fils prodigue ou de la brebis e9gare9e. Tu veux de9fendre l’Eglise et l’Evangile de la perse9cution ? Dans ce jeu-le0, tu n’as le droit qu’e0 une seule arme : l’amour. Et plus ton ennemi il est vilain, plus il va falloir que ton amour pour lui soit fort. Pas de banderoles, pas de menaces, ni de cris de rassemblement, pas de communautarisme ni de susceptibilite9 mal place9. Tu accueilles cette brebis comme un tre9sor qui est tant aime9e du Christ, d’autant plus qu’elle semble comple8tement perdue. Tu l’invite e0 s’asseoir avec toi, pas pour de9battre (pas tout de suite), mais pour boire un cafe9 ensemble, et apprendre un peu e0 se connaitre. Tu fais quoi, toi, dans la vie ? Puis cela viendra petit e0 petit : pourquoi crois-tu que l’Eglise est homophobe ? et l’autre : pourquoi condamnez-vous l’homosexualite9 ? Et on dialoguera. Et le0, oui, avec e0 la fin une prie8re e0 laquelle on pourra propose d’associer notre invite9 du moment, il y a une chance que cette personne, toute cathophobe et homosexuelle qu’elle e9tait en arrivant, laisse entrer dans son coeur l’amour du Christ. Parce qu’on l’aura juste aide9 un peu e0 ouvrir la porte.Bref fin du coup de gueule.