2027
Le 18/10/2017
Je suis redescendue du toit de l’immeuble avec un panier rempli de broccolis, d’oignons, d’herbes aromatiques, de gingembre et de carottes. J’aurais dû baisser la température de mon vêtement pour que celle, chaude, de la serre ne m’affecte pas, mais je crois que j’avais envie de sentir des perles de sueur se former sur les ailes de mon nez, tout comme j’avais envie d’avoir le corps un peu moite. J’aime bien ça.
Andrew portait le panier. Il était silencieux. Nous sommes redescendus à pieds (j’ai pris la décision il y a longtemps d’éviter l’ascenseur : j’assure ma longévité et évite de perdre mon temps à faire du sport). Je n’ai pas dit un seul mot, mes pensées étaient ailleurs, loin de lui.
Nous sommes rentrés dans mon appartement, il s’est dirigé à la cuisine pour commencer à préparer le dîner. Je l’ai regardé un instant, dos à moi, rinçant les légumes par mesure de précaution inutile puisque tout a poussé sous notre contrôle, puis, il a tiré du placard du haut les deux grands bras robots de cuisine, les a programmés sur « riz au thon à la coriandre et aux légumes verts » et je suis partie à la salle de bains.
J’avais envie d’ôter ma combinaison, de me voir nue dans la glace. C’était mon rituel de vérité, j’aimais faire face à mes imperfections de nature. Afficher au reste du monde un corps idéal, un âge idéal, des traits idéaux, les modifier aux gré des modes, ok, ça me permet de garder mon job, mais lorsque je vois mon corps nu, imparfait, j’ai le même plaisir transgressif qu’un gosse qui plonge ses doigts dans la terre glaise et la malaxe dans le but unique de sentir sa texture. J’aime cette chair un peu froide qui se réchauffe à mon contact, qui se colle sous mes ongles, glisse dans les plis de ma peau. C’est une jouissance de vérité. Je suis allée à la salle de bain, qui étaient inondée de la lumière chaude d’un soleil couchant, et me suis assise dans mon module de douche, face à la glace, les jambes écartées, le dos droit. Je préfère me voir dans la glace, à distance, je ne me sens pas non plus obligée de ne voir que mes imperfections. Si je baissais les yeux sur mon corps, je verrais les plis de mon ventre, la peau relâchée à l’intérieur des cuisses, la pointe de mes seins aussi. Dans le miroir, j’ai vu mes seins, que je n’ai pas fait modifier, qui restent encore fermes d’apparence. Ils sont gros, j’aime les malaxer sans ménagement (je laisse le soin à d’autres de les caresser), pincer les mamelons et lorsque la stimulation porte ses fruits, que je sens ma chatte se réveiller, devenir un peu plus humide, je me contorsionne, tirant un sein et baissant mes lèvres à lui, je me suce, me mordille pour être mon prédateur et ma proie, le pénétrant et le pénétré. Je n’avais pas envie de cela dans l’immédiat. J’ai écarté les cuisses, regardé ma pilosité militante (les sexes imberbes sont des sexes d’enfant, il ne faut pas tout mélanger). Mes poils sont à l’heure actuelle d’un beau rouge vif, les boucles abondantes, serrées, taillées pour ne pas descendre sur le bord des cuisses. Je les ai écartés des doigts d’une main pour mieux voir ma vulve. Mes lèvres, petites et grandes, sont longues, elles ondulent comme des bords de dentelles, mélangeant le rouge framboise et le brun. De l’autre, j’ai attrapé le miroir pour zoomer sur l’image. J’ai toujours aimé les gros plans. Le corps fragmenté se passe de fiction, de décor, de jugement, de mensonge, il dit ce qu’il est et il excite. Il m’excite.
Les odeurs marines me parvenaient de la cuisine, mais il n’y avait pas de bruit. Je n’entendais pas ce que faisait Andrew, ni les voisins, ni le brouhaha de la rue. L’appartement a une isolation phonique remarquable. Je n’entendais que le bruit du silence et par instants celui de ma chatte, de plus en plus trempée. Je n’avais aucune idée d’où il se trouvait dans l’appartement, ni de ce qu’il faisait. Mais j’avais envie de lui.
— Andreeeeeeew ?
— Oui !
— Tu viens ?
— Oui !
Je n’ai jamais eu besoin celui dire ce dont j’avais envie. Il sait, il a toujours su. Il était apparu aussi vite que s’il avait été juste derrière la porte, à attendre mon signal. Dans le tiroir à droite sous le lavabo, il avait attrapé une paire de gants en latex chirurgical et les avait enfilé pour que ces doigts froids et affilés n’abiment pas mes chairs intérieures, moelleuses et délicates. Il s’était agenouillé entre mes cuisses écartées, avait glissé son majeur dans mon sexe de façon franche, appuyant à répétition sur cette excroissance charnue qui me fait grimper au plafond, enfonçant son doigt plus profondément, dans des abîmes que mes doigts trop courts ne connaissent pas. Déjà, j’étais transportée ailleurs, dans cet univers d’étoiles qui n’appartient qu’à moi, où je ne peux aller sans l’aide de l’Autre. Il pinçait aussi mon clitoris, avait un geste proche de celui ou celle qui branle une bite, mais avec la précision miniature d’un horloger. « Tu aimes ce que je te fais, ma badass adorée ? Tu en veux encore ? Dis-moi que tu en veux encore ». Je caressais mes seins en lâchant des « oui » agonisants, des « oui » d’un autre monde, avec l’inquiétude que son geste faiblisse si je ne répondais pas assez vite ou assez fort. Ou alors mes mains, enserrant sa boite crânienne, guidaient son rythme.
Aller, aller, baise-moi maintenant, Andrew. Baise-moi ! Le doigt toujours tournoyant dans ma chatte, il s’est levé, s’est presque écartelé à tendre l’autre bras pour ouvrir le tiroir situé sous le lavabo et en extraire un gode-ceinture en silicone noir, vestige d’une autre époque, et un tube de lubrifiant. Toujours d’une seule main, il s’est débrouillé pour enfiler la ceinture et lubrifier abondamment cette belle bite noire qui bande depuis si longtemps.
Nous avons glissé sur le sol froid de la douche, mes jambes écartées s’appuyaient sur les parois de la douche.
J’ai attrapé la bite pour caresser mes lèvres et mon clito irrité, d’un geste lent destiné à la fois à prendre le temps de bien sentir les effets qu’elle me procurait et à augmenter mon impatience. La douceur du gland se promenant de mon clito à mes fesses me faisait bouillir, mais j’aime prolonger l’attente, elle augmente l’intensité de mes orgasmes.
D’un coup de rein violent, Andrew m’a pénétré par surprise. Il a commencé par une série de va-et-vient de brute épaisse qui m’ont rendue folle, ou en tout cas encore plus excitée, puis, pour éviter de me faire jouir trop vite, il s’est retiré, a promené son énorme organe sur toute ma vulve et mon cul avant de me pénétrer à nouveau, moins sauvagement, ses mains écrasant pourtant mes poignées d’amour.
— Encore, continue, j’en veux encore et encore.
Il m’a soulevé de ses deux bras puissants, m’a assise sur ses cuisses pour tenir mon buste serré contre le sien, comme si cette proximité allait lui permettre de me pénétrer encore plus profondément. D’une main il chatouillait mon anus, de l’autre nous tenions dans un équilibre approximatif qui me réjouissait. Ses mouvements de hanche étaient calculés, précis, précipités pour que je n’ai pas le temps de reprendre mon souffle. J’avais l’impression que j’allais être broyée par une machine et pourtant j’en voulais encore.
Andrew s’est retiré, s’est allongé sur le sol de la salle de bains, me laissant m’assoir sur lui, sur cette bite infatigable et luisante. Lentement il a soulevé son bassin, avant de reprendre son rythme saccadé. Ses mains énervaient mon clito et mon cul, je n’avais rien d’autre à faire que de me laisser emporter par son martèlement jusqu’à ce que, épuisée, mon corps lâche prise, tremble, vacille.
De toute évidence, j’avais joui de tout mon saoul. Andrew m’avait ensuite porté jusqu’à mon lit pour que je me repose avant de diner. Puis, il était allé à la salle de bains remettre un peu d’ordre et nous avons diné en parlant de technologie. Il m’a aidé à finir une présentation que j’avais pour un client le lendemain.
Je suis heureuse de ne pas avoir écouté les conseils de Camille, qui il y a trois ou quatre ans m’encourageait à prendre pour amant un robot sexuel. Elle trouvait que le réalisme du corps et des organes génitaux en particulier en faisait un meilleur choix. Mais je n’aimais pas ces corps inertes, avec une intelligence artificielle primitive, a minima. J’avais préféré Andrew, modèle domestique mobile et intelligent, auquel j’avais fait ajouter un programme sexuel que j’avais conçu.
L’année dernière, je me suis laissée tentée par la version 4.0, maintenant vendue avec des peaux de silicone interchangeables qui lui donnent différentes apparences humaines, organes sexuels inclus. Mais son côté rustique me manque.
Maureen Etivaz