Parfums sous X
Le 30/04/2010
Classique « X » de Jean Paul Gaultier. Eau du Désir de Lolita Lempicka. Ces parfums de l’été jouent la carte de la sexualité revendiquée. Comme de nombreux avant eux. L’histoire du parfum et de sa publicité est un long va-et-vient entre incandescence et innocence.
Qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse a-t-on coutume de dire et pourtant, parfois en parfumerie l’ivresse n’est pas dans le flacon mais tout autour. Des spécialistes nous éclairent dans cette vraie ou fausse quête des sens.
« Le parfum est depuis toujours lié au désir et à la séduction et il est utilisé comme arme aphrodisiaque depuis la nuit des temps. La Reine de Saba ou Esther ont fait succomber qui elles voulaient sous l’effet de leurs parfums enivrants… Après la vogue des parfums gourmands, sucrés, complètement régressifs et asexués qui faisaient appel à l’enfant qui est en chacun de nous, le marketing cherche à relancer les ventes. On ne peut pas toujours utiliser les mêmes astuces. Il faut bien réveiller la consommatrice de temps en temps", constate Annick Le Guérer, docteur en anthropologie, qui a fait le tour de la question des origines des parfums jusqu’à ceux qui portent remède, son dernier sujet de prédilection. (1)
Porno Chic
On ne parle plus des phéromones qui n’ont pas marché car on ne peut pas conditionner les humains pour rapprocher les sexes. Au moins ce « X » (de J.P Gaultier) limite porno affiche la couleur. » s’amuse-t-elle.
Et n’est-ce pas le rôle premier du parfum que l’on ose assumer ? Profileuse olfactive, Diane Thalheimer invite à ce propos à relire « Le Cantique des cantiques » pour se rappeler que l’idée ne date pas d’hier. Cette spécialiste constate aussi que ce sont souvent les créateurs de mode et leurs campagnes de pub imagées, voire provocantes, qui les premiers ont joué les sens en éveil et privilégié les débordements de références sexuelles. Dernier épisode en date, la campagne tout simplement interdite aux USA, du dernier opus de Calvin Klein, Secret Obsession, mettant en scène la pulpeuse Eva Mendes photographiée dans des poses lascives.
Ainsi rappelle-t-elle, dans les années 80, les films – légèrement floutés mais néanmoins suggestifs – qui ont accompagné le lancement d’Obsession de Calvin Klein ( une femme, 2 hommes pour le jus féminin ; un homme, 2 femmes pour le masculin) annonçaient, sans états d’âme, le porno chic qui fera le succès de Gucci et marquera les années Tom Ford. « Après la peur du sida, la publicité a joué la sensualité extrême et le fantasme. La communication a transgressé les interdits avant le développement des sex toys et objets de plaisir dans la version sophistiquée de Nathalie Rykiel et la démocratisation des cosmétiques du plaisir, comme par exemple, la gamme "qui invite à l’amour ", YESforLOV, en exclusivité chez Sephora,( conditionnement innovant, conseil désinhibé pour lubrifiant hydratant, lingette à l’huile de massage affolante, kit de cache-cache intime etc... ).
Le X mais encore ?
Jean Paul Gaultier lui donne raison qui a planté le décor pour mettre en scène sa collection X automne hiver 2009/2010 sur la promesse mode de faire monter la tension érotique au maximum. Ambiance feutrée d’une maison presque close. Lourdes tentures rouges et volutes de fumée…la panoplie est au rendez-vous. Les parfums Jean-Paul Gaultier ont comme le créateur voulu réinventer la femme Classique et pour le flacon de la nouvelle édition de la fragrance phare, ont donc tombé le corset pour une robe « X » Collection, à l’image de celles présentées sur le podium. Quitte à se la jouer un brin sulfureux, n’ayant peur ni des mots ( « X comme désirs sans interdits, … Un érotisme de chair et de charme ») ni des images. ( Michelle Buswell en corset de satin chair et bas de soie). Sillage d’une femme fatale qui se veut sexy. Sur papier glacé. Car on n’ira pas plus loin. « No comment ».
Pas de faux-semblant mais des parti-pris bien affirmés en revanche chez Lolita Lempicka, qui lance une Eau du Désir qui décline une histoire de famille fortement sexualisée. Cette édition limitée pour l’été 2010, « à la fraîcheur neuve et sensuelle », s’inscrit dans le registre dessiné dès le premier parfum de la créatrice lancé en 1997. Pour mémoire, le film publicitaire de ce lancement s’autorisait tous les fantasmes, - de la pomme à la jeune fille dans la forêt, pour mettre en scène l’éveil du désir. Sexualité, féminité, rêve, imaginaire - Lempicka assume sa Lolita. Et le rêve qui met en fusion / effusion même si sa force est peut-être d’avoir occulté le regard culpabilisant de l’homme. Pas de présence masculine dans cet univers onirique où l’on raconte un passage, une transmission, de la jeune fille à la femme. Décor lingerie pour le flacon, frémissement et frisson autour d’un accord de Fleur de Violette, histoire d’apprendre à « capturer le souffle du désir pour mieux pouvoir l’attiser encore et encore. »
Faussement indécent ?
« Un parfum véhicule la substance de son époque… Alors que l’épidémie de sida rend le sexe dangereux, la parfumerie renonce aux notes organiques et sauvages qui ne sont d’ailleurs jamais revenues sur le devant de la scène écrit Marie-Dominique Lelièvre dans Saint Laurent, mauvais garçon(2). Même une fragrance aussi exubérante qu’Angel a planqué sa sexualité sous un arôme de chocolat. Gloutonne mais pas cochonne sa cliente fait la petite fille » avant de conclure « Sans doute tenons-nous à distance nos pulsions animales. »
Ce n’est pas le cas d’Etienne de Swardt, qui après avoir parfumé nos bêtes favorites avec Oh my Dog , s’affranchit des bienséances et des concepts marketings et va droit au but en créant l’Etat Libre d’Orange, « terre de libertinage olfactif, libérée de tous les tabous, qui reconnaît comme seuls souverains, l’insoumission et l’érotisme olfactif. ». Dans ce « territoire d’expression subversif et ludique » il invite les nez à mettre en odeur leurs fantasmes comme « un retour aux sources essentielles du parfum, à son animalité, à sa charge érotique, à sa puissance d’évocation du corps et de ses pulsions. » Tout est dit. Ici l’on provoque les sens. Et le nom des fragrances de l’État Libre d’Orange annoncent la couleur. On peut donc naviguer de Sécrétions magnifiques en Jasmin et cigarette, ou s’imaginer Vierges et toreros ou bien encore Putain des palaces …. A même la peau, s’amuse la gourmande Ingrid Astier, avec qui il concocte Archives 69, Part One que l’on découvrira en septembre. Du coup de cœur à la rupture, une histoire de fragrance qui ne manquera pas de piment, on peut en être sûr.
Je(u) intime
Lorsqu’elle crée sa maison de parfums de luxe, Salon Privé, en 2004, Isabelle Burdel, apprend à lire entre les lignes, à entendre ce qui n’est pas dit pour approcher au plus près de la personnalité à qui est destiné le parfum. Pour mettre en notes ces fragrances exclusives qu’elle réalise sur mesure pour des clients en Europe, Asie, aux États-Unis, au Moyen-Orient, elle recherche avant tout à « faire voyager l’imaginaire et agir sur les émotions ». Pour elle, chaque parfum est une expérience créative qui exacerbe les sens et balance entre le rêve et le réel. « Sexe et parfum ont de puissants points communs qui touchent à l’intime en fait, remarque-t-elle. Cela nous transporte si loin et cela peut être si beau, qu’il est étonnant qu’il n’y ait pas plus de représentations artistiques et profondes des deux sujets réunis. Comment faire comprendre ce que l’on ressent grâce à un parfum ou le plaisir du sexe et son intensité, le trouble, les palpitations… Voiler le sexe d’une douce fragrance pourquoi pas ? Ou suggérer le léger parfum pour attirer ceux qui sont en manque ? Mais qu’est ce que le marketing peut bien venir faire au milieu de tout ça ? Lorsque j’ai choisi le nom Salon Privé j’étais bien loin d’imaginer que tous les hommes français penseraient en premier lieu à une affaire de cul... En fait pour moi « Privé » signifie que j’assure la parfaite confidentialité des personnes que je parfume, de ce que j’ai vu et ressenti. Je transforme ce qu’ils ne me disent pas en parfums sublimant leur personnalité. Résumer le désir au sexe me paraît très réducteur. Le désir est un tout. Je n’ai jamais eu de demande directe dans ce sens, pour l’instant en tout cas. Ceci dit les parfums sont des armes secrètes redoutables à ne surtout pas négliger et ça, le marketing l’a bien compris ! »
A suivre donc, les prochains lancements de la rentrée où l’on verra les grands parfumeurs se dévergonder avec classe, voire s’afficher un sein à l’air entre deux histoires de princesses rebelles à tendance rock ou d’authentiques contes de fées...avec, on l’espère, le retour des vraies notes sauvages.
[gris]Catherine Deydier[/gris]
(1) Les pouvoir de l’odeur, Ed. François Bourin, 1988, nouvelle édition chez Odile Jacob, 2002
Le parfum, des origines à nos jours, Odile Jacob, 2005
Quand le parfum portait remède, Ed. Garde-temps, 2009
(2) Saint Laurent, mauvais garçon, Ed. Flammarion, 2010
Photo : Eva Mendes dans la publicité pour Secret Obsession censurée aux États-Unis.
Commentaires (4)
L’odeur de la peau sans artifice peut parfois être plus attractive encore que tous les jus de la terre, mais il est vrai qu’Angel, bien que chocolatée a souvent eu sur mes amants un effet assez puissant.
Moi j’aime tellement l’odeur de la peau que je ne mets pas de parfum, mais je comprends l’engouement...
Le plus X des parfums le plus sexe (et aphrodisiaque) en tout cas porte bien son nom sans ambiguité "SeXeS" avec un grand X,
son slogan "facilitateur de plaisir", ca donne envie...
Cet billet est inte9ressant et je vais d’ailleurs le faire svriue e0 une copine qui semble eatre sur la meame longueur d’onde que vous et je suis certaine qu’elle m’en remerciera. Fe9licitations pour ce post et votre implication pour mettre en commun ces opinions. Je serais enchante9e d’avoir l’opportunite9 de lire vos articles e0 ce propos dans le futur. Ca m’est tre8s pre9cieux ! Merci 1000 fois !