La mélodie du sexe
Le 21/04/2009
Faire l’amour est un corps à corps physique et sensuel que peintres, photographes et cinéastes n’ont de cesse de décrire tel un spectacle avant tout visuel. Les écrivains s’enhardissent sur les rives du toucher, du goût et de l’odorat. Mais l’ouïe est la grande absente, la grande perdante de cette ronde des sens. Pourtant, dans la réalité, nos ébats résonnent contre nos tympans, emplissent nos oreilles de tous les bruits et cris du sexe. Playlist torride.
Concerto en (r)ut majeur
Tout commence par le baiser. Occupée à autre chose qu’à la conversation, la bouche toute entière se mue en instrument de musique aux sonorités infinies. D’abord timides, les lèvres font connaissance, laissant échapper un mmpff sec et sourd. Lorsque les langues pénètrent l’interstice, elles s’emmêlent dans un clapotis humide. Alors que les amants se font plus goulus et passionnés, gorges et muqueuses deviennent une caisse de résonnance liquide, où les slurp et les gloups, comme disent les bulles des bandes dessinés, composent un prélude à la symphonie à venir. Le souffle s’accélère, au diapason de la montée du désir, des halètements se perdent dans le silence, un soupir s’envole. Les doigts s’emmêlent dans le bruissement des cheveux. Le zip d’une fermeture éclair fend l’air, clac-clac, des boutons-pression sautent ; les amants se déshabillent dans un froissement de tissus. Les bas de soie crissent sous la paume impatiente. Sur la peau nue, la caresse est tour à tour frôlement imperceptible, murmure mat, claquement bref sur la fesse tendue. La sueur glisse et goutte au creux des reins, collent les ventres. Les draps s’essoufflent à leur tour, le sommier du lit cogne contre le mur, le matelas fait boïng, l’ascenseur grince, la machine à laver essore. Le latex sort de son étui dans un bruissement empressé, se met en place en gazouillant presque de volupté, accompagnant le chant des bouches et des langues qui sucent, tètent, aspirent, mordillent, lèchent. Les sexes se rencontrent, s’entrechoquent tels des percussions tendres et pleines, vont et viennent selon un tempo crescendo. Les gémissements se font de plus en plus forts et vibrants jusqu’à ce que retentisse l’ultime râle. Après, plus rien, que le battement de deux cœurs qui tambourinent après l’effort. Telle serait la bande-son d’un corps à corps, si l’on n’enregistrait que la piste la plus « décente ». Car si l’on tend une oreille plus honnête, une multitude d’autres onomatopées se mêle à la musique amoureuse.
Couacs en fanfare
A la vérité, il manque à cette mélodie affriolante tous ces bruits qui nous échappent, ces petites surprises acoustiques qui viennent parois perturber les amants. La sexologue Nadine Grafeille énumère pour nous : les bruits mouillés qui nous font l’impression de barboter dans une pataugeoire, les bruits coïtaux ou le refrain de la ventouse, et enfin les bruits d’air, genre pompe à vélo, que l’on appelle aussi « pets vaginaux ». « Ces bruits sont tout à fait normaux. Le vagin est une cavité. Lorsqu’il est rempli et humidifié, il fait du bruit ! » Variables en fréquence et en intensité selon la largeur et l’élasticité du vagin, ces appels d’air peuvent devenir néanmoins de véritables parasites pour les femmes complexées par ces acouphènes, corne de brume retentissant au milieu d’une sonate de Chopin.
Le foin du tintouin
Certaines feignent une toux subite pour essayer de dissimuler ces sons incontrôlables, d’autres pouffent de rire pour masquer leur gêne. Nous sommes ici dans le règne du tabou. Le dégoût des choses du corps prend racine dans la conception génitrice de la sexualité (pas de procréation, pas de sexe), dans l’idéalisation de l’acte sexuel « propre », clinique, sans odeur, sans poil et sans bruit. Deux dispositions d’esprit qui déshumanisent le sexe et étouffent les sensations. C’est pourquoi le Dr Grafeille « conseille aux femmes d’en parler avec leur partenaire. Car les hommes peuvent être surpris par ces bruits ou croire que la cause en est la trop petite taille de leur verge. Or ça n’a rien à voir, au contraire ! » Ces couacs peuvent aussi renvoyer à des souvenirs plus ou moins traumatisants, lorsque l’enfant a été le témoin auditif des ébats parentaux. D’ailleurs, selon le Dr Grafeille, les femmes craignent plus que les hommes d’être entendues, par les voisins ou les enfants. « Cela les bloquent dans la réalisation de l’acte sexuel. Une solution : mettre de la musique, comme un paravent qui permet de s’isoler et de se déconnecter de l’environnement. »
Vagin bavard
Une humoriste canadienne, la très belle Amy G., a choisi quant à elle de rendre hommage à cet éloquent organe. Douée d’une parfaite maîtrise de son muscle pubo-coccygien, le muscle du bonheur comme l’a surnommé le Dr Gérard Leleu, elle se présente sur scène en robe du soir, abaisse le micro à hauteur de son pubis et c’est parti pour une triomphante mélodie vaginale ! En 1975, Frédéric Lansac (pseudonyme de Claude Mulot) avait déjà réalisé un film porno délirant sur ce phénomène : « Le sexe qui parle » raconte l’histoire d’un couple en panne de libido qui découvre grâce aux séances de masturbation de Joëlle que le sexe de cette dernière parle. Fable surnaturelle dans laquelle le vagin jure et insulte, dicte ses désirs et fantasmes.
Post coïtum
Hormis ces exceptions réjouissantes et fantaisistes, l’expression corporelle lorsqu’elle est liée au sexe, demeure un sentier miné. De même que l’épisode « retrait du préservatif » n’est pas le spectacle le plus érotique qui soit, certains se passeraient bien des bruits de vidange en provenance de la salle de bain. Des « tue l’amour » pour de nombreux esprits esthètes, répugnant à subir le ramdam de la tuyauterie après les délices de la chair. Une des raisons pour lesquelles le cinéma, traditionnel et pornographique, ne se fait guère l’écho de ces rumeurs, c’est qu’au même titre que les odeurs, les bruits corporels nous renvoient aux confins d’une intimité difficile à partager, presque écœurante lorsqu’elle émane d’autrui.
Jouir en choeur
Dans la série des désordres sonores, si certains aiment les sons émis par leur partenaire, comme cet internaute qui confie qu’entendre gémir son homme lui « fait perdre la tête »… d’autres en revanche ne goûtent pas du tout certaines démonstrations vocales. « Cet homme avait une voix de velours très séduisante en temps normal, se souvient Yasmine. Mais au moment de jouir il se mettait à pousser de petits cris aigus, comme des sanglots. Cela me faisait presque peur. » « J’ai souvenir d’une fille, raconte Gilles, qui se débrouillait vraiment bien sexuellement, mais la pauvre, émettait des sons, des sortes de miaulements bizarres, qui me coupaient tout désir. Aujourd’hui je suis avec une femme dont la simple façon de souffler et de respirer réveille en moi l’animalité la plus passionnée. » « Avec l’odeur, renchérit Cristina, la voix est l’une des rares choses rédhibitoires. Si elle ne me plait pas, je ne peux pas envisager quoique ce soit. » Excitante ou au contraire repoussante, ces témoignages prouvent bien l’importance de la voix dans la parade sexuelle.
La voix de l’amour
« Le sexe se parle et s’écoute », lit-on justement sous la plume de Maria Efstathiadi, auteure des Livres que je n’ai pas écrits (Gallimard), roman dans lequel elle explore le rôle de la parole et du souffle dans le désir. Elle y décrit comment un homme et une femme tombent dans une dépendance téléphonique, chacun ivre de la voix de l’autre. En effet, le phone sex est devenu la nouvelle position du Kâma-Sûtra moderne. « La voix est un élément très important dans la séduction » confirme le Dr Grafeille. « Que ce soit dans son intonation, ou dans son rythme même, son rôle est prépondérant surtout au début de la relation, car c’est un identifiant très précis. » Au cœur de l’acte sexuel, qui plus est lumières éteintes, elle devient un catalyseur d’émotions. Il faut le talent de l’écrivain Montherlant pour décrire cette subtile altération que subit la voix lorsque la pudeur a lâché ses dernières résistances. L’auteur écoute ainsi sa maîtresse offerte, « sa voix nocturne, sa voix des caresses, cette voix extraordinairement changée de la nuit et des caresses, sombrée et tenue comme la voix des mourants, sombrée et haute comme la voix des gens qui meurent, - sa voix de petite fille, sa voix de toute petite fille, sa voix de femme fraichement née et sa voix de femme qui meurt." (In Pitié pour les femmes, 1936.)
Vocalises hormonales
Précisément, d’après une étude menée en 2004 par le Dr Susan Hugues du College de Poughkeepsie de New York, le son de la voix serait en accord avec l’activité sexuelle. Le Dr Hugues a fait écouter à 149 hommes et femmes différentes voix. En examinant l’histoire personnelle des personnes qui avaient prêté leur voix pour cette étude, les chercheurs ont découvert que le groupe des belles voix, selon le sexe opposé, avaient eu plus de partenaires sexuels, eu leur premier rapport plus tôt que les autres et que leur physionomie différaient : les femmes à la voix attirante ont de petites hanches et les hommes qui possèdent les mêmes qualités vocales sont généralement large d’épaules et minces. « La voix peut être modifiée par certaines hormones comme la testostérone, explique le Dr Susan Hugues, et ces mêmes hormones jouent également un rôle sur l’activité sexuelle. » Une autre incidence hormonale a été mise à jour en 2008, une nouvelle fois par des scientifiques américains (de la State University de New York) : les femmes auraient une voix plus attirante en période d’ovulation. Plus exactement, le son de leur voix changerait légèrement sous l’effet des hormones, ce qui rendrait celle-ci plus attractive à l’oreille des hommes. D’après Nathan Pipitone et Gordon Gallup, auteurs de l’étude, il s’agit d’une preuve supplémentaire que la femme entre dans une phase inconsciente de séduction lorsqu’elle est au pic de sa fertilité… Le Dr Grafeille concède elle aussi aux hormones une part de responsabilité dans la modification de la voix : « comme la cavité vaginale, la bouche change, s’humidifie. Et les hormones peuvent jouer sur les cordes vocales. » Somme toute, elle précise que cette transformation phonique est aussi le signe d’une « adaptation psychologique inconsciente de la femme qui se place dans le registre vocal et langagier qui lui convient le mieux. »
Ouï-jouir
Bruits et voix orchestrent nos ébats, et pourtant on ne fait que rarement mention de l’ouïe. « Un sens en effet sous estimé, déplore Nadine Grafeille, alors qu’il est essentiel dans la sexualité, surtout féminine, chez qui il participe grandement de l’excitation sexuelle. La sexualité de la femme passe d’abord par l’ouïe, puis par le toucher, bien avant la vue. » Marguerite Duras ne disait-elle pas que « la femme jouit par l’oreille », rappelant là que nous sommes moins sensibles aux stimuli visuels que les hommes ? « La femme se laisse plus facilement aller dans une communication orale et verbale. » C’est culturel : les femmes, imitant la mère qui transmet la première la parole à l’enfant, parlent plus, et sont aussi plus « à l’écoute » de leurs sensations. A l’université de San Francisco, la neurobiologiste Louann Brizendum a même découvert que dans le centre de l’audition , les femmes possédaient 11% de neurones supplémentaires. L’ouïe peut ainsi conduire le cortex à des associations d’idées très personnelles : telle musique ou telle atmosphère sonore, associés à un souvenir amoureux ou érotique, auront pour nous seules une énorme valeur libidinale.
Le silence est d’or
Mais comme toute partition, la musique du sexe a ses silences. Parfois révélateur de malaise ou de blocage, le silence peut être un « ami », souligne le Dr Grafeille. « Certaines personnes aiment le silence car il porte leurs fantasmes. Il est donc nécessaire de le respecter, car le rompre alors qu’elles se concentrent sur leurs sensations peut avoir un effet très inhibant. » Tourner sa langue dans sa bouche – ou ailleurs –peut dès lors ne pas nuire, surtout dans ces moments où absence de paroles n’est pas absence de sons, le silence devenant l’écrin dans lequel toutes nos sensations sont en éveil. L’amour physique devenant une danse, les bruits résonnent particulièrement lors de ces échanges sans paroles. « Quand l’amour a su dire enfin son propre nom, les lèvres n’ont plus qu’à sourire et se taire, et couvrir de baisers », écrit Denys Gagnon (in Chants et silences des trois créatures)
Reste que le parfait mutisme de son partenaire est bien moins encourageant que quelques manifestations de plaisir. Obscènes, risibles ou embarrassantes hors contexte, ces interjections se révèlent de puissants aphrodisiaques en pleine étreinte. Comme dit la chanson, il suffit d’un « crac, boum, hue » et nous tombons à genou.
Aurélie Galois [1]