Jeux de langue

Le 24/05/2009

Tapie, lovée dans l’obscurité et la tiédeur de la chambre buccale, la langue est notre muscle le plus puissant par rapport à sa taille, soit un ravissant petit organe humide qui n’a rien à envier aux plus grands. Rose, charnue et souple, innervée, vascularisée, parsemée de papilles gustatives, elle est l’organe de nos dégustations et de nos délectations, de nos taquineries suggestives, de nos échanges… Plus ou moins explicites. Située à proximité des autres sens, vue, ouïe, odorat, la langue fonctionne aussi à merveille comme extension tactile pour des explorations érotiques décomplexées… À la découverte de tout ou partie d’un corps son action se décline à l’infini des possibles. Ainsi la langue, excitante excitatrice, peut être tendre, tendue, caressante, pénétrante, glissante, lente et longue ou taquine et rapide… Couplée aux talents de la bouche et des lèvres, ainsi qu’aux humections mesurées de salive, la langue saura satisfaire à la demande bien des demandes, parfois insoupçonnées…

Le cunnilingus, l’inspiration à la source

La reine des caresses linguales n’a pas toujours été en odeur de sainteté, loin s’en faut. De son nom exact, le cunnilingus, comme ses racines latines l’indiquent cunnus lingere, désigne l’acte de lécher le sexe féminin plus ou moins dans le détail, petites et grandes lèvres, capuchon et clitoris, mont de vénus et vestibule, c’est selon. La pratique vieille comme le monde se retrouve chez les animaux. D’où son parfum d’interdit et sa puissance instinctive ? L’ivresse pourrait-elle s’expliquer aussi par la perception de signaux chimiques associés à la reconnaissance mutuelle, à l’attachement, au cycle de reproduction ? On pense parfois qu’un nez immergé peut capter les fluctuations hormonales, et même détecter la phase d’ovulation de la partenaire… Le régime alimentaire aurait une influence perceptible sur les saveurs d’un sexe. Le romancier Chuck Palahaniuk, satiriste des extrêmes contemporains, pousse cette logique jusqu’au bout dans son roman Peste. Le héros, grand adorateur du cunnilingus, analyse les menus, préoccupations et tracas de sa compagne, la surprenant par ses comptes rendus d’expertise détaillée. L’effet est comique, mais n’entache pas la générosité qui se détache des descriptions inspirées. De nombreux poètes et artistes trouvant d’ailleurs dans la pratique l’inspiration directement à la source, comme le montrent les multiples allusions et références fleuries au fil des oeuvres. Les jeux de langue se confondent avec la langue même qui se chante, se parle et s’écrit. Ainsi Maupassant dans Ma Source : « Je n’ai point assez du baiser. Dont se contente tout le monde. Et la source où je veux puiser. Est plus cachée et plus profonde ! » et plus loin « Elle est fermée et l’on y boit. En écartant un peu la mousse. Avec la lèvre avec le doigt. Nulle soif ne semble plus douce. » Les codes culturels et d’époques n’ont pas toujours été aussi favorables aux gourmandes galanteries faites aux femmes. Mais gageons que de tout temps, les bons vivants, chez qui les métaphores fécondes abondent, ont toujours su où aller pour tenter d’étancher leur soif…

Un peu d’Histoire

Il existe bien sûr des conventions, tabous, interdictions, en matière de cunnilingus et pratiques orales. Ainsi Agnès Giard nous apprend qu’au Japon, où le sexe serait d’ailleurs une affaire bien trop sacrée pour qu’une pratique puisse être méprisée plus qu’une autre, le cunnilingus serait, au minimum, affaire de courtoisie. Selon l’auteur du Dictionnaire de l’amour et du plaisir au Japon, ce serait la raison pour laquelle « dès le XVIe siècle, dans les estampes pornographiques, on représente toujours des 69 et jamais des fellations ». En Asie, les fluides corporels sont considérés comme de l’énergie vitale. L’essence peut être stimulée, mais pas gâchée. Les hommes peuvent pratiquer des exercices pour jouir sans éjaculer pour la préserver. À moins qu’un échange de bons procédés ne rétablisse le bilan énergétique ? Le Kâma Sûtra appelle le sexe oral un « coït supérieur » ou des « congrès buccaux », sans que les pratiques décrites soient pour autant spécialement recommandées ou tolérées partout dans la société indienne, en particulier, pour les hommes de statuts supérieurs. À Rome, on trouvait la pratique indigne pour un homme, et César aurait été moqué pour ses dispositions « serviles, soumises, efféminées », non seulement parce qu’il aurait aimé les hommes, mais aussi, et bien trop goulûment, les femmes. À l’ère des Tang (618-907), l’impératrice Wu Hu aurait eu pour habitude d’obliger les officiels et dignitaires de son gouvernement au cunnilingus pour mieux les assujettir ! Dans d’autres régions du globe moins fortunées où se pratique l’excision réelle, mais aussi symbolique, qui a bien lieu, comme le rappelle Maïa Mazaurette, co-auteur de La Revanche du Clitoris, on se doute bien que le cunnilingus n’est pas vraiment plébiscité… Dans nos pays, où la sexualité a connu et poursuit sa révolution, le sexe féminin demeure pourtant un sujet tabou. On le nomme du bout des lèvres, mais le clitoris demeure un mystère pour de nombreuses femmes (et hommes…), ce qui a d’ailleurs poussé Rosemonde Pujol à la rédaction de son Manuel de clitologie. Dans le discours populaire, le cunnilingus en est encore parfois réduit à une simple activité de "lesbiennes perverses"… Les stéréotypes sont bien tristes…

Fellation star

Comme le cunnilingus la fellation revêt un caractère sacré ou mythique dans diverses religions. Et ainsi Isis ranima Osiris… Mais si le cunnilingus est la reine (cachée) des gâteries, la fellation tient sans conteste le haut du pavé, particulièrement en Occident, où il est évident que la pratique bénéficie d’une meilleure… Publicité ! De nos jours, on la mime sans complexe pour vendre des Chupa Chups et des Magnum. Le porno, comme le cinéma grand public, est friand de cette figure imposée. Dans le culte Deep Throat (Gorge Profonde) des années 70, le clitoris de l’héroïne est d’ailleurs situé dans sa gorge, dès lors son principal organe de jouissance, la destinant par nature aux fellations profondes. Heureux scénario qui rappelle les fondamentaux : on ne peut guère prendre du plaisir sans en donner et inversement ? Ou ultime fantasme de l’hétéro macho ? Le film a suscité de nombreuses controverses. Il contient d’ailleurs une fabuleuse scène de cunnilingus : la réjouie, assise nue sur la cuisinière, cigarette à la bouche, profite des chatteries d’un beau mâle qui se régale. Gorge Profonde provoquera aussi quelques édifiants débats : une bonne fellation nécessite-t-elle d’avaler le pénis jusqu’à la garde ? Si oui, est-ce que faire une fellation donne envie de vomir ? La fellation serait loin de faire l’unanimité chez les femmes, bien que la récente majorité d’entre-elles admet s’y adonner. Lors d’un sondage IFOP pour Elle en mai 2006, 56% des femmes interrogées l’auraient déjà pratiquée. Un timide 15% répond « souvent », un bon 41% « jamais ». Nous remarquons au passage qu’il n’y a pas de question sur le cunnilingus, qu’il fût donné ou reçu. Il est dommage que les femmes et plus particulièrement « celles des magazines », si tant est qu’elles existent, se posent prioritairement la question de ce qui plaît à leur partenaire masculin (fellation, sodomie) avant de se demander ce qu’elles pourraient bien aimer, elles… Savoir recevoir n’est pas si facile qu’il y paraît. Cela s’apprend aussi, semble-t-il. En matière de sexualité orale tout particulièrement, la première marche vers le plaisir serait peut-être celle-là.

Et pourquoi non ?

Si les pratiques sexuelles orales sont puissantes, simples et anciennes, elles interviennent aussi symboliquement dans les rapports de pouvoir entre les sexes. L’érotisme se marie assez mal avec les revendications lorsqu’elles sont transposées au creux du lit et transformées en principes. Plus qu’une vraie question de respect de l’autre, c’est une affaire de « jeux de rôle ». Entre partenaires choisis, la question de savoir si donner de la tête à l’autre est servile, sale, indigne ou dégradant devrait être rapidement hors-sujet. Et soyons honnêtes, c’est loin d’être toujours le cas. À partir de là cependant, tout est possible, pour peu que chacun soit disposé à donner du plaisir avec plaisir sans attendre un retour immédiat... Recevoir du plaisir, et se dévoiler, se laisser prendre en charge par le plaisir... Si ces pratiques sont parfois plus délicates et timides chez certains, c’est peut-être parce qu’elles correspondent à une expression ultime de l’acceptation de soi, de son corps dans la sexualité, par soi et par l’autre. Parmi les retenues fréquentes, il y a aussi la crainte, partagée par les deux sexes, d’exposer une intimité pas assez « belle » ou pas assez « conforme » aux clichés (des sexes masculins bien gros et bien droits, des sexes féminins roses, luisants et chauves comme dans les films pornos, sont maintenant requis), celle d’incommoder l’autre par ses odeurs intimes, mais aussi la peur d’être recalés sur ses techniques à l’oral, et la crainte qu’il ou elle interprète mal l’acte, en rapport avec des stéréotypes abusifs précédemment cités. Côté hygiène, doucement sur la douche intime et autres lingettes, car la nature produit de bien subtils et addictifs parfums qui sont d’ailleurs amoindris si ce n’est anéantis par une déforestation systématique. On peut se passer des compléments alimentaires censés améliorer le goût et l’odeur des sécrétions intimes : un régime alimentaire équilibré suffit (en cas de problèmes sérieux, consultez un médecin : comme pour la bouche, une odeur très forte peut témoigner d’un problème qui se soigne). Ensuite rien n’empêche de flatter ses papilles avec des lubrifiants comestibles au miel, à la cerise, parfum fraise kiwi, saveur cocktail mojito…

De la pratique

Ces craintes ne peut résister bien longtemps à un vrai désir. Mais comme toujours, rien ne sert de courir. La progression dans la découverte est souvent savoureuse, par petites touches, au rythme des sensations et de la confiance qui s’instaure. Savoir ce qui est bon pour l’autre sera à peu près aussi simple à lire sur son corps que le plaisir ressenti à la dégustation d’autre chose. Surfer sur la vague des frissons de l’épiderme, au rythme des hanches qui chaloupent, des halètements, en adaptant sa langue, sa bouche au mouvement, et en n’hésitant pas à le contrarier, le taquiner aussi. Préliminaires ou cerises sur le gâteau ? Jusqu’au bout ou juste pour tenter ? Là encore, pas de règle, sinon celle de l’envie partagée : « Pratiquer selon sa fantaisie, dans le secret, qui peut savoir qui, quand, comment et pourquoi il le fait ? » dit le Kâma Sûtra. La langue débridée explorera d’elle-même d’autres zones et bien que d’autres figures soient répertoriées elles aussi sous un joli nom (L’anulingus, anus lingere, porte aussi le doux nom de « feuille de rose »), elles pourront être données en toute liberté. Les positions pour se lécher ne manquent pas, du soixante-neuf en passant par l’acrobatique Arbre Défendu, à l’honorifique Position de l’Adoration (femme debout, homme à genoux). Les hommes chanceux pourront pratiquer l’auto-fellation moyennant un peu de gymnastique (une belle scène est offerte dans le film Shortbus, de John Cameron Mitchell). Tous les accessoires peuvent entrer dans la danse à un moment ou un autre. On trouve aussi des sex-toys spécifiques aux actions buccales qui ne manquent pas de burlesque : vibrateurs à fixer sur la langue, harnais de soutien pour la langue à quatre positions… Restons simples (ou non), une jolie culotte fendue, des portes jarretelles… Dans la cuisine, certaines astuces de grand-mère feraient recettes : sucer un citron pour faire sa langue rugueuse, par exemple… Tout est possible pour goûter à la saveur de l’autre.

[gris] Maxine Lerret [/gris]

Références

[gris]Dictionnaire de l’amour et du plaisir au Japon, Agnès Giard, éditions Glénat, 2008. Entretien avec Agnès Giard sur Fluctuat.net.
Peste, roman de Chuck Palahniuk, éditions Denoël, 2008
Deep Throat, film de George Damiano, 1972
Shortbus, film de John Cameron Mitchell, 2006
Un petit bout de bonheur : petit manuel de Clitologie, Rosemonde Pujol, éditions Jean-Claude Gawsewitch, 2007
La revanche du clitoris, de Maïa Mazaurette et Damien Mascret, éditions La Musardine, 2008
Mon ami clito, entretien avec Maïa Mazaurette, sur Fluctuat.net
Dictionnaire des fantasmes, perversions et autres pratiques de l’amour, Brenda B. Love, éditions Blanche, 2006
L’art du Kâma Sûtra, Andrea Pinkney, éditions de La Martinière, 2002
Les femmes et la sexualité, Sondage IFOP pour Elle, mai 2006
Oral sex link to throat cancer, article BBC World News, mai 2007

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Commentaires (3)

  • nEtRICk

    Dans la langue de ma femme, le Finnois, le clitoris s’appelle "la petite langue" et vous pouvez vous imaginer
    toutes les variations que nous faisons sur les relations entre les les trois paires de lèvres et les trois langues, dans les deux langues Finnoise et Française. Un exercice de haute (et basse !) linguistique.

  • Anonyme

    > ma femme est frigide...

    > tu es mauvaise langue !

  • aSIvlSZPqrkMAp

    EVvwUo You’ve hit the ball out the park ! Incrdieble !