L’érotisme dans la peau

Le 21/04/2009

Le tatouage, le piercing et les scarifications ont un dénominateur commun : la peau, comme terrain d’exploration esthétique et sensorielle. La peau attire ou dégoûte, appelle la caresse et craint les coups. Par sa texture et son odeur, sa couleur, la peau « est » notre relation avec l’extérieur ; elle ne peut pas échapper au regard comme une pensée. Et c’est sur ce canevas de chair que des hommes et des femmes choisissent de livrer un peu de leur âme comme dans un livre illustré à la portée des passants. Une peau tatouée et percée c’est un journal intime ineffaçable qui heurte ou séduit mais laisse rarement indifférent. Alors forcément, quand le propos de l’ouvrage est érotique…

Les nouveaux petits bijoux de la reine…

Prenons comme exemple le cas des piercings. D’origine, « percer » le corps est un rituel important dans une vie. Être percé c’est être plus beau, plus fort, plus désirable que le voisin. Les tatouages et les vêtements dans les sociétés riches tenaient ce rôle un peu partout dans le monde : mais un tatouage ne se voit pas sur les peaux ébène, et le désert est pauvre en étoffes. Certains bijoux en pierre, bois voire métal sont créés de manière à faire corps avec celui ou celle qui le porte et qui ne s’en séparera plus. D’autres sont incrustés sur la peau, là où ils se voient le plus, sur le visage, et le torse, et participent aux rituels de passage. Ces bijoux sont comme cousus à même la peau, comme des médailles ou des distinctions au revers de nos vestes ! En Europe, le piercing s’est longtemps cantonné aux oreilles et au port des boucles d’oreilles. Rien de réellement impressionnant sauf les carats que l’on y accrochait. Mais les piercings ont peu à peu glissé vers des zones moins anodines du corps. Et aujourd’hui on plante ces bijoux sur la langue, les mamelons et le capuchon du clitoris, territoires ô combien plus orgasmiques qu’un lobe (fut-il celui d’un pirate à anneau d’or) et s’émoustillant bien mieux d’un frottement de perles. Voilà qui est très concret. Et à quoi peuvent servir ces anneaux qui peuvent très vite ressembler à des maillons… Izumi, jeune femme adepte du BDSM et soumise de Master Machiavel précise : « J’ai très envie de porter des piercings aux tétons, pour une raison simplement esthétique, mais aussi pour parfaire ma soumission. Je sentirais la présence de l’anneau tout le temps, mon Master pourra y accrocher des chaînes, m’attacher lors de nos jeux… La forme du piercing est importante à mes yeux : je ne porte que des anneaux en hommage à histoire d’O. » Judicieusement placé, le piercing décuple le plaisir, devenu un symbole il renforce le fantasme.

Piqûres, mouches et autres images pas sages

La confusion entre piercing du clitoris et piercing du capuchon du clitoris est courante. En fait la première est excessivement rare car trop risquée. Pour la deuxième il existe une variante importante : si le bijou type Barbells (barre d’environ 1,8 mm terminée de petites têtes rondes ou en relief), Banane (identiques aux Barbells mais courbés) ou encore en Anneau parfois relevé d’un pendentif, est inséré verticalement, il frotte directement avec le clitoris. A l’horizontal, le contact est moins certain et ce type de piercing se révèle plus décoratif que totalement jouissif. Contrairement au piercing du Triangle qui, fixé sous la hampe du clitoris, permet de « poser » une boule au meilleur endroit… Tout aussi sensuels et bien plus répandus, et « chastement » piqués sur le visage, les labrets sont les mouches modernes des coquettes contemporaines… L’Effrontée (sur le nez), l’Assasine (près de l’œil) et la Discrète (au bord de la lèvre inférieure) ne sont plus en velours noir mais en diamant et acier. Cette alliance entre le passé et la contemporanéité est incarnée par des jeunes femmes comme les Suicide Girls aux US et LZA en France. Cheveux colorés, corps tatoués, percés et scarifiés, elles mettent leur créativité au service d’une nouvelle érotisation d’elle même à travers différentes performances artistiques et sont devenues les pin-ups mi-vintage mi-virtuelle de nos écrans.

De gros bobos pour soigner les bleus à l’âme ?

Encore marginales, les scarifications posent quelques problèmes dans nos sociétés occidentales : elles sont considérées comme des (auto)mutilations, donc inacceptables, dangereuses et du ressort de la psychanalyse. Vues à travers nos mentalités cette pratique est extrêmement choquante. Si l’on quitte notre continent l’angle change. Dans les tribus africaines du Soudan, de l’Ethiopie, et des régions d’Afrique Equatoriale, procéder à des scarifications participent à l’apprentissage de la vie. Chaque étape correspond à une nouvelle scarification, celui qui la reçoit gagne ainsi en force et en charisme. En signes de reconnaissance, les grands lutteurs, intrépides chasseurs et grands guerriers rencontrent les femmes les plus fertiles, les mieux dotées, d’une valeur supérieure à celles qui présentent une peau lisse. Essaimées sur le torse, les jambes et même le visage, les cicatrices de toutes formes augmentent vraiment la séduction. Nos mentalités peinent à s’y adapter et pour le moment seuls les plus marginaux y recourent. Ceux ci s’inscrivent plutôt dans une quête philosophique et artistique. C’est une décoration douloureuse mais gratifiante qui fait sens dans sa perception de lui même. Renforce-t-il sa séduction ? Vues de l’extérieur les incisions profondes, les brûlures et écorchements ressemblent à s’y méprendre à de terribles cicatrices indélébiles. Selon ceux qui les font, leur esthétique promeut leur individualité. Le message n’est pas tant d’aimer la douleur mais que de la confronter puisqu’elle existe. Un message inacceptable pour certains mais fortement connoté d’érotisme pour d’autres, car en révélant force et volonté, une source d’excitation jaillit. Les femmes scarifiées veulent réintégrer leur corps en s’affranchissant des normes… Quant à savoir s’il faut forcément en passer par là pour y parvenir, le choix est personnel.

Cachez ce dessin que je ne saurais voir

Le tatouage est une autre modification, un autre « art-corps » à forte teneur érotique sur plusieurs niveaux. Longtemps considérée comme l’expression d’une vie dissolue (associée aux marins, prostituées, taulards etc.) il n’a pas complètement perdu son aspect sulfureux. Bien qu’ayant été victime d’un véritable phénomène de mode ces dernières années, le tatouage sait rester hors normes. La réaction négative la plus courante qu’il provoque est une forme de rejet surtout si le tattoo est visible. C’est en Asie, là où les tatouages recouvrent parfois la quasi intégralité du corps, que l’habitude fut prise de délimiter le dessin à un justaucorps pour échapper à l’opprobre publique, ou pire, la peine de mort. Pour des populations de l’hémisphère sud (Polynésie, Nouvelle-Zélande) aucune partie n’est exemptée de tatouage dont le visage. Un masque indélébile qui fascine comme une injure faite au « corps » : les images imprimées sur la peau ne seraient acceptables que dissimulées ? Des amateurs l’ayant localisé autour de leur sexe sont aussi amplement critiqués. Impossible d’en appeler à l’impudeur, à l’exhibitionnisme ou la violence contre soi : généralement les diatribes se confondent avec des leçons d’hygiène. Les tatouages et autres perçages intimes deviennent vecteurs d’infections graves, symboles d’une porno-attitude, bref, on trouve toujours… Comme quoi il ne suffit pas de vivre caché pour vivre heureux…

Araignée, fleur et petite chatte symboliques

Le tatouage peut souligner la joliesse d’un nombril, la finesse d’une cheville, attirer le regard sur le creux des reins : il joue avec le jeu immémorial du « voilé dévoilé ». Il traduit aussi un peu de son âme avec la figure choisie, qu’elle soit floral, animale ou symbolique. Mais son érotisme séculaire se situe aussi ailleurs… La réalisation d’un large tatouage couvrant peut prendre plusieurs mois voire un ou deux ans. Régulièrement aux mains du tatoueur, la femme se livre passivement à la douleur lancinante de l’aiguille et aux mains expertes de l’artiste. A la fin elle sera une autre. L’histoire de Seikichi et la jeune fille de Tanizaki Jun’Ichiro en témoigne. Dans « Le Tatouage », Seikichi, tatoueur cruel et excentrique cherche celle qui recevra son œuvre ultime. Tombé fou amoureux d’une jeune inconnue, il parvient à profiter d’un sommeil qu’il a lui-même provoqué, pour dessiner une tarentule géante dans le dos. Au Japon, l’araignée est symbole de prostitution et la jeune Geisha s’en trouvera changée à jamais, révélée à elle-même : «  Un moment encore les deux silhouettes demeurèrent ainsi complètement immobiles. Et puis très faible, un peu rauque, une voix vibra, incertaine, entre les quatre murs de la chambre : Pour faire de toi une femme vraiment belle, c’est toute mon âme que je t’ai instillée avec mes encres. Désormais, dans tout le Japon, aucune femme ne te surpassera. Te voilà délivrée de ce qu’il y avait de pusillanime en toi. Tous les hommes, oui tous, seront ta riche pâture… » A commencer par Sheikichi lui-même vidé de sa substance après cette « nuit d’amour parfaite » puisque « toute sa vie avait passé dans ce tatouage, et maintenant qu’il avait achevé son travail, il se sentait dans l’âme un vide immense. » Avant d’en arriver là, pensez surtout à verifier que votre tatoueur stérilise correctement ses outils avant de travailler.

Peau de chagrin et jeux coquins

Il est évident qu’en plus des figures dont elle va se recouvrir, celle qui décide de modifier son corps vit souvent une relation personnelle et forte avec lui au delà de l’aspect purement physique. Des « psy » pensent même qu’il s’agit de réparer un affront passé et se réapproprier son intégrité. Une explication d’analyste, une intellectualisation d’une pratique déjà symbolique qui n’a pas forcément besoin d’être saupoudré d’inconscient et de traumatisme de la petite enfance. Le fait est que depuis la nuit des temps, l’Homme a perçu son corps comme une parenthèse entre nature et culture. C’est par lui que l’une et l’autre s’expriment il en est la jonction. C’est une façon de se considérer au centre d’un mouvement perpétuel, plus fort que l’inné, maître de l’acquis. Et l’esprit ludique n’est jamais très loin. Garant d’une souffrance diffuse pour un résultat parfois poétique et charmant, le tatouage a aussi motivé des jeux, particulièrement dans le monde BDSM. Tatouées à l’encre blanche et donc relevées d’une parure invisible à l’œil nu, les fesses de quelques soumis ont révélé des surprises lors de flagellation : le rougeoiment de la peau sous les coups faisant apparaître le tatouage. Ou encore, comme l’explique Izumi : « il existe une forme de soumission qui consiste à faire croire au sujet qu’il est tatoué : on lui bande les yeux et l’installe sur une table de tatouage, le tatoueur utilise des aiguilles qui ne contiennent pas d’encre. » On ne peut plus raffiné…

Un théorème de Charme

On voit que l’insaisissable rapport au corps, le mystérieux désir de l’autre et l’inaccessible amour de soi se définissent avec ambiguïté. Si l’on détourne la célèbre relation de Chasles, soit la formule algébrique « AB + BC = AC », cela donnerait quelque chose comme : « S’il faut souffrir pour être belle et être belle pour être aimée alors il est raisonnable de penser qu’il faut souffrir pour être aimée » D’algébrique, cette formule deviendrait érotique, de cet érotisme cru, manifeste et irréversible que sont les modifications corporelles. « Souffrir pour être belle », ça, les femmes en ont depuis longtemps accepté le principe. Renforcer son pouvoir érotique et en tirer plus de plaisir, subir une douleur passagère sans la rechercher forcément, tout cela est consenti. Car se façonner à son image, c’est être son propre Créateur. Un peu de mystique tout autour sans doute, mais pas mal d’ondes de plaisirs aussi à venir…

Fannette Duclair

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