III- La nouvelle femme sexuelle n’aurait pas quitté l’ancienne

Le 07/09/2007

Un clivage hommes / femmes qui persiste… Ou comment « la femme » garde son « rôle de femme ».

Certes, les positions des femmes en matière de sexualité se sont rapprochées de celles des hommes. Effet de surface qui nous fait un belle jambe ? Car au fond, les femmes resteraient très « comme ci », les hommes très « comme ça », chacun figés dans le rôle attribué à son sexe. La femme : maternelle, exclusive, sensible. Qu’elle choisisse de procréer ou non, elle aimerait toujours aujourd’hui comme un utérus se doit d’aimer. Quant à l’homme, ce chasseur, il séparerait de plus en plus affectivité et sexualité, puisqu’il est fait pour inséminer un maximum de femelles et étendre son règne. Cette dichotomie persistante pourrait se lire dans les faits suivants : pour la majorité des femmes, le premier partenaire sexuel est ou devient un conjoint par la suite, ce qui ne concerne qu’une minorité d’hommes. Sexualité = conjugalité. Surprise, elles restent beaucoup moins nombreuses que les hommes à considérer que l’on peut « avoir des rapports sexuels avec quelqu’un sans l’aimer ». Et tandis que la fréquentation de prostituées ne diminue pas chez les hommes, l’idée d’un équivalent pour les femmes demeure absente. L’argument biologique sur lesquels s’étayent ces représentations était au cœur du discours de l’Église avant d’être repris par la médecine actuelle. Que son contenu soit pertinent n’est pas la question. Ce type d’argument participe au maintien d’un ordre sexuel figé malgré les mutations idéologiques, laissant de côté la construction sociale émanant de la vie en communauté, celle que nous devons justement inventer. Pris au mot, un argument biologique est sans appel. Il attribue des rôles aux sexes, justifie des peurs, des exclusions. C’est lui qui permettait que l’on craigne les femmes seules, suspectées d’être défectueuses par nature. Des peurs de ce type sont vivantes aujourd’hui, bien qu’elles n’aient plus besoin des médecins pour les soutenir. Les « cautions scientifiques » sont-elles ancrées dans la tête de tout le monde, des femmes elles-mêmes, entravant la liberté sexuelle sans qu’on en aie conscience ?

Les exceptions sont (encore et toujours) dangereuses

Puisque nous en sommes à parler de rôles, il y a des étiquettes qui collent à la peau des années. Une femme qui s’écarte de la représentation maternelle précédemment décrite risque fort de se faire tamponnée « DANGER ». Il est des modes d’être implicitement (ou explicitement !) refusés aux femmes, des libertés taxées d’extravagances que nous payons cher, encore aujourd’hui. Gonzague de Sallmard revient dans son essai Femme=Danger ?(9) sur le fait que les femmes exceptionnelles ont de tout temps été bridées par les pires arguments imaginables. Furie féministe « moche, mal baisée », célibataire « sûrement folle, hystérique », veuve « mangeuse d’homme », femme active « voleuse d’emploi », le mythe n’a cessé de muter. Aujourd’hui, on ne brûle plus de sorcières, mais on flippe toujours devant certaines filles extra ordinaires. Dernière idée sournoise en date, la femme serait « une louve pour la femme », plus impitoyable que les hommes avec ses semblables pour accéder au pouvoir. Que les femmes craignent donc les femmes affranchies ! Pendant ce temps, les hommes continuent de stresser et médire trois figures d’exceptions principales : l’ « androgyne », la « castratrice », et enfin —la plus dangereuse peut-être— la « rebelle », cette femme éprise de liberté, pour qui l’humanité n’est pas « sexuellement hiérarchisée ». Pas très drôle de jouer à la liberté (pour perdre) dans ces conditions…

« Filles à talons contre garçons à moustaches »

Être libérée sexuellement impliquerait d’avoir aussi trouver une liberté de jeu entre les rôles attribués naguère à tel ou tel sexe. Pourtant, 76% de femmes interrogées récemment affirmaient que c’est à leur partenaire que revient le plus souvent « l’initiative du rapport sexuel » (10). Le scénario sexuel « filles à talons contre garçons à moustaches » n’aurait pas évolué. Pour la journaliste Cécile Daumas, auteur de Qui a peur du deuxième sexe ? (11) nous vivons toujours dans un monde résolument hétérosexuel, « un monde où », dit-elle, « les garçons draguent les filles, les vaches sont bien gardées ». Quelques questions s’imposent : comment envisager que la femme, si l’on ne parle que d’elle, puisse être libérée sexuellement quand subsiste sa soumission à l’ancien ordre dans tous les autres domaines de sa vie, en dépit des acquis qui jalonnent son émancipation ? Comment la femme peut-elle vivre une libération sexuelle autre que celle du « kama sutra à la fiche cuisine » quand 80% des tâches ménagères sont toujours effectuées par elle ? Comment peut-elle véritablement détacher sa sexualité de sa fonction de mère, sans se priver de la maternité, quand la complicité des soi-disant « nouveaux pères » se limite en réalité à une « paternité du samedi » ?

Le corset invisible

Plusieurs voix se sont élevées récemment contre l’idée même que la femme bénéficie aujourd’hui d’une grande liberté, à tel point qu’omnipotente, elle aurait même pris le pouvoir sur les hommes. Sornettes, s’insurge Cécile Daumas dans son essai, où elle dresse un constat sans concession de la condition féminine actuelle. Disparités persistantes au travail, à la maison, devant la sexualité, les faits sont peu réjouissants. Il semble que l’émancipation de la femme se soit accompagnée d’une somme considérable de nouvelles contraintes. Loin d’avoir laissé derrière elle sa condition, la femme doit aujourd’hui tout combiner pour préserver ses acquis : sexualité épanouie, corps sublime, carrière professionnelle, maternité heureuse. La formule magique de cette réussite multiple est la terrible « conciliation ». Comme si la femme pouvait tout faire en même temps et encore en rire, quand en réalité elle n’accède à rien totalement et consomme pour être bien un peu plus de psychotropes qu’il n’en faudrait… Pire, avancent Éliette Abecassis et Caroline Bongrand, l’armature de plus en plus ciselée de la servitude féminine aurait pris un tour autrement plus pervers. Les femmes d’aujourd’hui seraient prises dans un « corset invisible » (12). Ravissants objets maintenus à leur place au lit comme au boulot, elles seraient esclaves d’injonctions sociales toujours plus insidieuses et souvent contradictoires. Un corps qui se pèse chaque matin, certes de son plein gré, pour rentrer dans des tenues qui le placeront haut sur le marché des corps est-il vraiment si libre ?

La nouvelle femme sexuelle : Une femme « pas trop » ?

À travers toutes les contradictions qui entourent l’émancipation de la femme, se dresse le portrait d’une féminité aujourd’hui paradoxale, « croisement parfait entre la bimbo, l’intello, la pétasse et la femme libérée », nous dit Cécile Daumas. Sa sexualité, libérée de certaines contraintes mais toujours subordonnée au «  rêve du prince charmant », s’exprime dans une demie mesure. La femme d’aujourd’hui se livrerait constamment à des réglages précis de sa personnalité. Elle a marqué des points dans ce monde de mâles et souhaite qu’aucune porte nouvellement ouverte ne se referme sur elle, elle s’applique à ne jamais en faire « trop ». Logique, si l’on pense aux conséquences personnelles négatives d’une étiquette Danger. La nouvelle femme est donc active, sexy, ambitieuse, intelligente, drôle « mais pas trop ». Il lui faut pour cela beaucoup d’énergie et un certain « talent ». La même chose vaut pour les hommes, qui sont encouragés aujourd’hui à exprimer leur féminité, « mais pas trop ». Ces tendances témoignent-elles d’un rétrécissement des possibles des deux sexes, ou au contraire d’une ouverture ? L’identité sexuelle est elle une prison dernière génération, ou bien ces réglages de personnalité attestent-il d’un début de jeu souple au sein de l’ordre hétérosexuel ? Le « pas trop » serait-il une phase transitoire avant d’évoluer ensemble vers une plus grande liberté de mouvement ?

[9] Femme=Danger ? Pour en finir avec le mythe de la femme dangereuse, Gonzague de Sallmard, Éditions Homnisphères, 2007 [10] Sondage IFOP pour Elle, Mai 2006 [11] Qui a peur du deuxième sexe ? Cécile Daumas, Hachette Littératures, 2007 [12] Le Corset Invisible, Éliette Abecassis et Caroline Bongrand, Éditions Albin Michel, 2007

Maxine Lerret

Sources privilégiées pour cet article

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