I- La libération sexuelle ne s’est pas faite en un jour

Histoire

Le 09/04/2009

Pour l’ouverture du site, il nous est apparu indispensable de commencer par un point sur le statut de la femme qui, depuis le début du XXe siècle, est en mutation constante. A sujet exceptionnel, dossier exceptionnel en 4 parties.

Liberté quand tu nous tient

Ce que nous avons de plus personnel —nos corps— et ce que nous avons de plus débridé —notre plaisir— ont toujours été sous contrôle. Avoir un corps de femme ou d’homme implique jusqu’à aujourd’hui de faire un certain usage de sa sexualité. Avant, il valait mieux pour une femme sauvegarder son pucelage jusqu’au mariage, faire des enfants, les élever, ne pas trop se préoccuper de jouir, s’abstenir un certain temps en cas de mort du mari... Après la libération sexuelle, avoir un corps de femme veut dire jouir et/ou faire des enfants, les élever si on veut, travailler, pour certaines d’entre nous « comme un homme », gagner des médailles en natation, planter son coach, son mari ou son patron si le cœur nous emmène ailleurs. Bref, une vie sexuelle —et du même coup, sociale— nettement différente.

D’une certaine façon, à une période de temps donnée, on pratique la sexualité dans son pays comme on maintient un ordre social, conformément aux idéaux et injonctions distillées par les institutions. Un crucifix, un article de loi, une ordonnance médicale, un manuel de bien-être, il y a toujours une part d’autorité dans notre intimité. Ce que nous appelons liberté sexuelle ne serait en définitive que la grande maîtresse d’un jeu, arbitre entre les normes et volontés individuelles. Un écart de conduite, un orgasme hors du tapis, et hop, au poulailler ! Celles et ceux qui s’adonnent à des galipettes hors normes s’exposent, et parfois leur descendance (pauvres bâtards !) à une panoplie de sanctions variables en fonction de la gravité de leurs actes, établie par les principes de leur époque et de leur pays.

Aujourd’hui en Occident, les règles du jeu sexuel sont nettement plus souples. Plus souples qu’avant dans nos pays, plus souples qu’en ce moment dans d’autres. Chez nous, « notre corps est à nous ». À tel point que lorsque nous prenons un amant ou un vibromasseur pour nous envoyer en l’air entre deux jobs, nous ne nous posons pas la question de savoir si cette conduite est mauvaise, une maladie, un crime ou un délit. Nous ne risquons ni la prison ni les pierres, nous nous remettons vite d’une petite tache à l’honneur. Nous jouissons, donc c’est bon. Nous nous faisons du bien et pas de mal à l’autre (qui est majeur et consentant) donc, c’est bon. Quand nos ébats sèment le désordre dans notre vie, nous nous disons que, peut-être, nous avons un peu abusé. Comme pour les sucreries, nous décidons de faire plus attention la prochaine fois. Ce climat de relative clémence sexuelle ne s’est pas construit en un jour. Merci quoi ? Merci qui ?

Sexuellement tout est possible…L’important est le principe

Donc, hormis des nouveautés scientifiques nous permettant de faire l’amour sans tomber enceinte, d’aider notre homme à bander ou de tripler notre tour de poitrine, ce ne sont pas nos corps qui ont changé depuis les années 50, mais les idées et les lois autour de l’usage que nous en faisons. Du point de vue physique, toutes les pratiques sexuelles sont possibles depuis la nuit des temps. Il suffit d’ouvrir le Dictionnaire des Fantasmes, Perversions et autres Pratiques de l’Amour des Editions Blanche pour avoir un aperçu de leur diversité et de leur histoire. Nous pourrions même dire que, depuis que l’être humain possède un anus, la sodomie est possible.

Donc, hormis des nouveautés scientifiques nous permettant de faire l’amour sans tomber enceinte, d’aider notre homme à bander ou de tripler notre tour de poitrine, ce ne sont pas nos corps qui ont changé depuis les années 50, mais les idées et les lois autour de l’usage que nous en faisons. La libération sexuelle n’a pas inventé la diversité de pratiques vieilles comme le monde, elle n’a peut-être même pas contribué à rendre certains délices corporels plus répandus. Elle les a rendus plus visibles, plus acceptables pour un grand nombre, et nous a, c’est déjà énorme, donné du jeu dans la sexualité. La liste des pratiques « socialement acceptables », « légales », s’est allongée. Cela, nous le devons à la pénétration de nouveaux principes relatifs à la sexualité en Occident au cours du siècle dernier : la liberté de dire Oui ou Non, selon laquelle le « bon sexe » est celui pour lequel deux individus majeurs consentent, et la liberté de ne pas procréer, selon laquelle le « bon sexe » n’est pas seulement celui qui nous donne des enfants.

Ces idées, portées tant par des mouvements révolutionnaires des années 60/70 que par des avancées scientifiques dans le domaine de la santé et de la procréation, sont entérinées au cours du vingtième siècle par des réformes du droit. Notre « révolution des mœurs » est une « révolution des lois », une « révolution des idées » et une « révolution scientifique », débouchant ensemble sur une liberté sexuelle sans précédent.

« Mon corps est à moi » en quelques dates

Puisque désormais l’important est le consentement, le mariage perd son monopole de la sexualité légitime. On arrive progressivement à l’idée qu’il n’y a pas que le « coït hétérosexuel procréateur béni » dans la vie. Pourquoi continuer à punir les jouisseurs qui s’ébattent hors de l’alcôve ? L’adultère et l’homosexualité sont dépénalisés. Les victimes collatérales des coïts illégitimes ­—les enfants bâtards— acquièrent les mêmes droits que les enfants issus du mariage. L’égalité « passe aussi par le crime », on révise la définition du viol : sera punie toute pratique sexuelle imposée de force à toute personne quel que soit son sexe. Enfin, choisir avec qui on jouit devient aussi bientôt choisir avec qui on décide de former un couple ou non, la « procédure matrimoniale » se simplifie. Le divorce par consentement mutuel est autorisé en France en 1975 et en 1999 on crée le PACS, contrat d’union light pour couples toutes catégories —un petit pas de plus vers l’égalité de toutes les sexualités ? Quant à notre « liberté de ne pas procréer », cadeau de la Science, l’idée soutenue par des associations de femmes, des médecins, des personnalités intellectuelles, affronte de nombreuses résistances avant de s’imposer. Les premiers plannings familiaux ouvrent clandestinement dans les années 60 pour assister les femmes au contrôle des naissances et éviter à un maximum d’entre elles de risquer leur santé dans les mains d’une « faiseuse d’anges ». La pilule, d’abord en provenance illégale des Etats-Unis, est autorisée en 1967, l’avortement en 1975 avec la loi Veil. Mais la liberté de ne pas procréer n’est pas que pilule et avortement : avec l’accouchement sous X, la femme peut porter un enfant et malgré tout renoncer à sa fonction de mère, quand, grâce à la fécondation in vitro, il est possible de procréer sans coucher. De quoi entraîner un sérieux méli-mélo des rôles…

La Guerre des sexes

Quittons le domaine des contraintes biologiques pour entrer dans la sphère plus subjective du désir. Lui aussi est soumis à des pressions sociales, quand il n’est pas carrément modelé ou étouffé par elles. Bien avant les remous soixante-huitards, en 1949, Simone de Beauvoir lance un pavé sur la marre gelée de la sexualité féminine avec Le Deuxième Sexe, essai dans lequel elle dénonce le désir masculin comme la norme de tout désir. La femme, explique-t-elle, est un objet éduqué pour le satisfaire. Procréatrice sans autre perspective d’avenir qu’un fil à linge bardé de langes, notre sexe est bien faible aux yeux de l’intellectuelle amante de Sartre. La guerre des sexes est déclarée. Une génération de féministes s’emploie à libérer les femmes de la domination des hommes, elles veulent vivre sans eux, conquérir leurs positions ou simplement rester critiques. En 1971, au plus fort des bouleversements de mœurs, le MLF publie un texte intitulé Votre révolution sexuelle n’est pas la nôtre : attention, préviennent ces féministes, l’ « amour libre » est un ultime outil de domination, la meilleure idée que les hommes aient eu pour pouvoir jouir de nous « sans entraves »… Vu comme ça, c’est sûr que nous ne sommes pas prêtes de sortir de l’auberge.

« Je jouis donc je suis », l’arrivée des « sexpertes »

Un collectif de Boston publie Our bodies, Ourselves, livre sur la santé et la sexualité féminine qui devient un manifeste mondial. Elles prônent l’autonomie dans le plaisir à travers une meilleure connaissance de son corps et la pratique de la masturbation. Quelques années plus tard, en 1976, le Rapport Hite expose les résultats d’une longue enquête menée par la sexologue Shere Hite auprès de 3000 femmes. Breaking news : nos missionnaires ne nous font pas tellement jouir, la pénétration obtient un mauvais score comparée à la stimulation clitoridienne.

Pendant que les féministes option « guerre des sexes » balancent des seaux de sang en criant « j’ai avorté », des Américaines proposent une émancipation féminine plus « près du corps ». Un collectif de Boston publie Our bodies, Ourselves, livre sur la santé et la sexualité féminine qui devient un manifeste mondial. Elles prônent l’autonomie dans le plaisir à travers une meilleure connaissance de son corps et la pratique de la masturbation. Quelques années plus tard, en 1976, le Rapport Hite expose les résultats d’une longue enquête menée par la sexologue Shere Hite auprès de 3000 femmes. Breaking news : nos missionnaires ne nous font pas tellement jouir, la pénétration obtient un mauvais score comparée à la stimulation clitoridienne. On célèbre une sexualité féminine spécifique, riche, et le pénis en prend pour son grade. Les éducatrices du sexe entrent en scène dans la foulée pour libérer la jouissance féminine.

Emblématique, la californienne Annie Sprinkle[1], ex-prostituée devenue sexologue, se dévoue au plaisir féminin à travers des films, des workshops, des performances voluptueuses et éducatives. On ne compte plus aujourd’hui les stars du développement personnel sexuel, Tracy Cox et autres « sexpertes », dont la vocation est de nous aider à parvenir au big O libérateur… Tout en exploitant un bon filon ? Les changements de mœurs s’inscrivent évidemment dans le quotidien via les aménagements de la société de consommation, rapide à s’adapter… Sex-shops « nouvelle génération », best-sellers sexy, magazines… Pour certains à l’époque, il était d’ailleurs évident que la liberté sexuelle devait passer par une forme de commercialisation. Dans son histoire des sex-shops français, le sociologue Baptiste Coulmont cite à ce propos le créateur d’une revue pornographique des années 70 : « Dans un monde où tous les moyens d’expression sont des marchandises , ce qui refuse la commercialisation ne s’exprime pas »[2]…

[1] http://www.anniesprinkle.org/

[2] Sex-shops, une histoire française, Baptiste Coulmont, Éditions Dilecta, 2007

Maxine Lerret

 [1]