Louise Feuillère

Le 21/04/2009

Nous avons été conquises par les sublimes créations de Louise Feuillère et nous avons voulu la rencontrer. Décorée « Meilleur ouvrier de France » pour sa guêpière "chef-d’oeuvre" en octobre 2007, sa technique n’a d’égale que la noblesse des matières qu’elle choisit et l’élégance des modèles qu’elle dessine. Sous ce nom de créatrice très « vieille France » que l’on croirait sorti de l’univers de Falbalas, se cache une jolie brunette pétillante de trente-cinq ans dont les rêves sont devenus réalité pour sublimer nos corps de femmes.

On naît créatrice de lingerie haute-couture ou on le devient ?

J’ai été initiée à la couture par ma grand-mère. Dès 4-5 ans, elle m’offrait de petits kits à broder. J’aimais déjà tout ce qui était mignon, féminin, coquet. Mon arrière-grand-mère faisait des doublures de manteau et du côté de mon père, ils étaient fabricants de chaussures. Il y avait donc un véritable atavisme de l’aiguille.

C’était un rêve d’enfant d’habiller les femmes ?

J’ai acquis une véritable habileté à l’aiguille mais je n’osais pas spécialement en faire mon métier. C’était plus un « à côté ». J’ai d’ailleurs passé un bac économique, même si je faisais quelques vêtements à côté. Mes parents voulaient que je fasse de la comptabilité et moi ça me plaisait. Je voulais être une « fée expert comptable ». J’aimais les chiffres, la rigueur qu’ils demandent. Puis, je suis allée aux portes ouvertes de l’école de comptabilité où je voulais m’inscrire. Il y avait sur le même trottoir une école de stylisme/modélisme, qui m’a attiré l’œil. Résultat : je suis restée 5 minutes dans l’école de comptabilité et 2 heures dans l’école de stylisme.

Vous vous y êtes donc mis immédiatement ?

Je voulais travailler dans le stylisme mais je ne savais pas encore si je voulais être actrice de ce métier ou spectatrice. Je me suis donc inscrite pendant un an en histoire de l’art pour y réfléchir. Je me suis alors rendue compte qu’étudier la création, de l’extérieur, ce n’était pas pour moi et qu’il fallait que je sois dans la réalisation-même. J’ai donc fait l’école Esmod en stylisme/modélisme et ma spécialité de 3ème année en modélisme/lingerie.

Pourquoi avoir choisi le corset ?

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En première année, notre professeur nous avait dit que quand on savait faire du corset, après on pouvait tout faire. C’est un métier très technique qui demande une vraie expertise de la géométrie. D’ailleurs, j’ai retrouvé mon goût pour les chiffres, même si ce n’était pas de la comptabilité. Le modélisme demande des mesures très mathématiques. J’aime créer mais les chiffres me donnent un cadre. J’ai acquis la maîtrise et le goût du corset en me concentrant dessus. C’est comme un défi que je me suis lancé à moi-même en choisissant cette spécialité. Je me souviens très bien de mon premier corset : c’était un coquillage japonais qu’on trouve dans des eaux très profondes…

Aujourd’hui, « Meilleur ouvrier de France », vous avez été reconnue reine du corset en France ?

En vingt ans, il n’y avait eu que deux meilleurs ouvriers de France en corsetterie. Je l’ai obtenu en octobre 2007 en réalisant une guêpière. Soit, certaines années, personne ne s’était présenté, soit les jurés du concours avait considéré que le niveau n’était pas assez haut pour décerner la médaille. J’ai une marraine de travail, Madame Mogenet, qui était costumière au cinéma, au théâtre, et à l’Opéra. Elle a 80 ans, 60 ans de métier, et elle travaille d’une tout autre manière que moi. Ce n’est pas comme en confection, le travail à la main du sur mesure est différent. Il y a plusieurs techniques. Je suis donc toujours en formation continue avec elle. Elle m’apprend constamment des choses. Avec elle, je perpétue les techniques anciennes et de mon côté je développe les techniques modernes. Donc j’ai le pied gauche dans le passé et le pied droit dans l’avenir.

Vous travaillez avec une équipe ?

Non, je travaille toute seule. J’aime la liberté dans l’artisanat. Je ne pointe pas, je me sens libre. C’est une façon de vivre. J’ai une assistante depuis peu qui a un rythme qui s’accorde au mien. C’est très important pour la création car on ne sait pas quand tombe l’inspiration. Quand elle vient, il faut la saisir tout de suite, je ne peux pas faire autre chose à côté. Ma mère m’aide de temps en temps pour les finitions, mais en général, je me débrouille toute seule pour mieux contrôler la qualité.

De grands groupes de lingerie ont-ils essayé de vous récupérer ?

On m’a fait des avances mais ça ne m’intéresse pas dans leur forme actuelle. J’ai été invitée à un salon aux Etat-Unis. J’ai trouvé le marché immense mais très mal exploité. Il n’y a rien de vraiment très luxe, très beau. Les modes et les envies sont également très différentes d’un pays à l’autre. Ce qui m’a surprise, c’est que les Américain(e)s n’aiment pas voir le mamelon. Certaines femmes veulent de la mousse dans le soutien-gorge pour cacher le mamelon qui pointe. D’où la mode des nippies (bout de seins des strip-teaseuses que l’on fixe sur le mamelon) qui viennent de là-bas. C’est un pays plein de contradictions car contre toute attente, ils sont plutôt pudiques.

Sur quoi repose votre imaginaire pour des créations si sensuelles ?

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Il y a deux choses : la lingerie classique et la lingerie intime (mon terme pour ce que certains appellent lingerie coquine). La lingerie classique se rattache plus aux sentiments qu’au sexe pur. Certain(e)s n’achètent pas de lingerie intime mais cela fait marcher leur imaginaire d’en être entouré. Personnellement, je ne suis pas pour cette mode des dessous portés sur les vêtements. J’ai envie de créer pour que la femme se dévoile peu à peu et que ses dessous apparaissent enfin, après avoir été devinés. La femme doit garder la lingerie pour elle et son partenaire, et ne pas l’exposer aux regards de tous. Pour créer, je dois sûrement scénariser des scènes dans ma tête à base de fantasmes avec mon propre imaginaire érotique. Je ne m’en rends pas bien compte. Ca vient tout seul. Mais ce qui est sûr, c’est que c’est dans ma création que je vais oser le plus. Je fonctionne sur un inconscient collectif de l’érotisme et je me situe plus du côté du désir de l’homme.

Quelle est votre façon de travailler ?

Techniquement, bien faire mon métier, c’est allier le pratique à l’esthétique. Car si j’ai appris une chose des femmes, c’est que le côté pratique est essentiel. Il faut qu’elles se sentent bien dans la lingerie pour l’acheter. Ca vient même avant l’esthétisme. Pour moi l’esthétisme est aussi un respect de l’autre. On touche à l’intimité de la femme mais on touche aussi son partenaire. Je pars de la matière et je mélange les fournitures. Avec l’expérience, il n’y a plus d’innovation de forme au niveau du corps. On connaît les coupes qui magnifient et subliment le corps. Je fais également du sur-mesure, tout en sachant que le sur-mesure est un nid à problèmes ou une demande de solutions. C’est normal, les femmes qui viennent chercher du sur-mesure ont forcément un physique hors-norme, ne trouvent pas ce qui leur convient ou ne savent pas qu’elles couleurs choisir. C’est beaucoup plus technique pour moi. Mais je veux continuer à les aider pour apporter une réponse à chaque problème spécifique.

Quelle est la première réaction des femmes quand elles essayent vos créations ?

Les jeunes femmes de 25 ans, qui font des essayages chez moi, confient plus facilement leurs impressions que les plus âgées. Elles disent se sentir belles et devenir un objet de désir. Elles se sentent maintenues, enserrées, structurées et ont un port de reine. La lingerie est un dynamiseur de désir et surtout un corset ou un serre-taille : ils sont des appels du désir. C’est moins le cas avec une culotte et un soutien-gorge. La lingerie a une valeur qui lui est propre et c’est très important pour l’estime de soi. Il y a un langage de la lingerie. Mettre une parure (soutien-gorge et culotte assortis) veut dire quelque chose. Que c’est important pour vous. Que c’est un reflet de votre séduction. Si vous mettez un serre-taille, ça veut aussi dire quelque chose, c’est plus incandescent, plus chargé de tension sexuelle.

Puisqu’elles sont vos principales sources d’inspiration, comment voyez-vous les femmes aujourd’hui ?

Internet a changé la société très vite. Mais il ne faut pas que les hommes deviennent des femmes. On lit des petites phrases à droite à gauche dans les médias « Elle peint et bricole comme un homme ». Pourquoi comme un homme ? Chaque genre doit rester à sa place avec ses caractéristiques naturelles. Je trouve qu’il n’y a pas de reconnaissance du corps de la femme. Il faut la déculpabiliser. Pour autant, je ne veux pas tomber dans la meute des Chiennes de Garde car je ne me reconnais pas dans un combat agressif, mais je reste vigilante. Ca fait 16 ans que je suis dans le métier. Les femmes savent ce qu’elles veulent, les formes qui leur vont, et dans lesquelles elles se sentent bien. J’ai appris beaucoup de mes clientes à leur contact. Je retransmets une information d’une femme à une autre femme. Je suis un relais entre elles. Un relais de questions de femmes.

Constance de Médina

Commentaires (1)

  • adrien

    Je suis amoureux de lingerie féminine et j’en offre beaucoup à mes amies qui adorent. Avez vous un catalogue ?

    Merci d’avance