Virginie Despentes

“J’ai découvert des pratiques que je ne connaissais pas”

Le 12/02/2010

Avant de s’attaquer au tournage de son nouveau long métrage Bye Bye Blondie, Virginie Despentes présente son documentaire Mutantes sur Pink TV. Une incursion en terres américaines et espagnoles où les mouvements pro-sexe et post-porno queer régénèrent les théories féministes. Le documentaire de 90 minutes, tourné en deux temps, en 2005 et en 2008, se veut ainsi le complément filmé de son livre King Kong Théorie (essai autobiographique et fortement inspiré par les grandes féministes américaines). Devenue lesbienne à 35 ans, l’auteure de Baise-moi vit depuis quatre ans à Barcelone où elle a enfin trouvé des cercles où l’énergie rageuse, la punk attitude, le féminisme et le sexe vont de pair.

D’où est venu l’envie de faire Mutantes, est-ce que c’était un prolongement de King Kong Théorie ?

Ça s’est fait en même temps, c’est venu de l’écriture du livre, mais le film a été bloqué pendant quatre ans. J’avais envie d’aller voir ces Américaines dont je parle dans le livre, beaucoup n’avaient pas été traduites. Je voulais montrer que ce n’était pas juste une lubie à moi cette histoire de “sex worker”.

ll y a deux temps dans le film, à la fois dans la narration et dans le tournage. En 2005 tu pars aux États-Unis, c’est la première partie du film, on découvre les pionnières américaines des années 80 du mouvement pro-porno, qui ne sont pas forcément toutes lesbiennes, puis on arrive en Espagne, à Barcelone en 2008 où là le mouvement pro-sexe est vraiment saisi par les lesbiennes. Ça correspond à une évolution du mouvement féministe ?

Avant de partir aux États-Unis, je n’étais pas lesbienne. Mais j’ai été surprise de voir à quel point ces féministes l’étaient presque toutes, je m’en suis rendu compte au fur et à mesure du tournage. Le féminisme est vachement lié à l’histoire des lesbiennes. En Espagne, j’ai découvert surtout la culture transgenre, par Beatriz Preciado (sa compagne, ndlr). Ce sont les premières personnes que j’ai rencontrées, elles connaissaient Baise-Moi, avaient apprécié, et avaient lu King Kong Théorie. Elles s’identifiaient comme queer, féministes.

Comment s’est fait ta rencontre avec ce milieu post-porno espagnol et comment a t-il changé ta vision du sexe et ta pratique ?

Dans le documentaire j’ai choisi les images en pensant au problème de la censure. La première fois que je les ai vues en public toutes ensemble, c’était au Pays Basque, et j’ai découvert des pratiques que je ne connaissais pas. Elles sont dans le fisting, dans le SM assez punk, dans l’urologie, et cette façon de faire je ne l’avais jamais vue ailleurs. J’ai compris ce que ça changeait de regarder une sexualité différente, c’est d’abord excitant mais le fait de voir ça questionne sur comment tu peux envisager toi de le faire.

Quand on utilise le sexe de manière publique comme un moyen d’expression politique, artistique, comment construit-on la frontière avec sa sexualité privée, existe t-elle encore ?

Oui, je pense qu’elles ont une vie chez elles, elles savent quand elles font du sexe en public, et quand c’est du domaine de l’intime. C’est sûr qu’il y a une volonté consciente de casser les barrières, en se montrant en public elles critiquent la notion de couple, de l’intime réservé à l’intime. Mais elles font aussi le choix parfois d’arrêter d’être dans la performance, de se mettre en retrait.

Le film passe des États-Unis à l’Espagne, en s’attardant à peine sur la France. Il s’y passe moins de choses aujourd’hui ?

C’était surtout des questions de coût parce qu’il y a des gens que j’aurais bien filmé, notamment le mouvement des sex workers, ou Wendy Delorme. En France ce mouvement là est certainement moins punk qu’en Espagne. Et puis c’est une explosion très récente, quand j’ai fait le film avec Coralie Trinh, Emilie Jouvet n’avait pas encore fait de film, Judi Minx n’existait pas.

Est ce que Mutantes aurait pu passer sur une autre chaîne que Pink TV ?

Je ne pense pas que le coté cul soit un problème. Mais j’ai l’impression que le côté lesbien dérange plus qu’on ne le dit.

Ce documentaire va être programmé dans le cadre de la Journée de la femme, ça évoque quoi pour toi ?

Ça ne me concerne pas beaucoup. En général ce jour là il ne se passe pas forcément des trucs que j’ai envie de voir. C’est bateau, mais je trouve ça bizarre qu’il y ait une journée de la femme. A part ça, ça me semble bien qu’on montre ce documentaire dans ce cadre là.

Ton prochain long métrage est l’adaptation de ton roman Bye bye Blondie. Tu as remplacé la relation homme-femme du livre par une histoire entre Béatrice Dalle et Emmanuelle Béart. Ce n’était plus possible pour toi aujourd’hui de filmer une histoire hétéro ?

Au début je voulais vraiment suivre l’histoire du roman, avec un homme et une femme. J’avais eu tout de suite en tête Béatrice Dalle, mais je n’arrivais pas à trouver un acteur pour jouer avec elle. C’est elle qui m’a dit “ce serait plus logique de faire l’histoire avec une autre fille puisque tu vis avec une fille...” Et elle avait raison ! J’étais en pleine adaptation, ça a débloqué mon écriture, ça prenait un autre sens, ça m’intéressait beaucoup plus. Et puis depuis que je suis avec une fille, un des trucs qui m’impressionnent c’est qu’on n’en voit jamais de lesbiennes à l’écran. Ça compte les images, pour une fille de 35 ans qui devient lesbienne, voir des filles qui s’embrassent sur un écran, qui s’engueulent, qui se marrent. Même dans un cinéma plus alternatif, il n’y en a pas beaucoup. Quand j’ai fait le documentaire j’ai commencé à regarder ce qui se faisait en matière de films lesbiens et j’ai vite fait le tour, il y en a très peu.

Béatrice Dalle s’est imposée, mais pourquoi Emannuelle Béart ?

Il fallait une comédienne du même âge que Béatrice, quelqu’un qui puisse faire jeu égal. C’était un match qui m’intéressait. Ça aurait aussi pu être Jodie Foster, le plus gouine de toutes les stars d’Hollywood, mais elle n’aurait jamais accepté. Bon, Béart et Dalle, ça fait beaucoup de seins ! Mais je les trouve assez proches et puis elles n’ont jamais joué ensemble.

Avez-vous peur du battage médiatique type Baise-moi autour de Bye Bye Blondie ?

Pas du tout. Baise moi c’était il y a dix ans, c’était une autre affaire. Si ça avait été tourné avec de vraies comédiennes, ça aurait suscité d’autres réactions. Aujourd’hui si je fais un film avec des putes, il y aura toujours un problème.

Si Baise-moi ressortait aujourd’hui, ça se passerait mieux ?

Non ce serait pire. Il y a dix ans, on était dans une nouvelle phase, et depuis ça s’est vachement dégradé. Le fossé entre le X et le reste s’est creusé. Je ne vois pas en France de changement de regard sur le porno.

A quand un vrai film porno, avec le milieu pro-sexe espagnol par exemple ?

C’est un truc que j’aurais envie de faire. Mais le plus intelligent ce serait plutôt de produire ce qu’elles font, on en a vraiment envie avec Beatriz. Si je tournais avec elles j’aurais peur d’exploiter le truc, que l’écho médiatique en fasse quelque chose de différent, éloigné du projet de départ.

King Kong théorie se terminait par “Salut les filles, et meilleure route”. Cinq ans après, elle est meilleure la route pour Virginie Despentes ? Et pour les autres filles ?

Moi sur le plan personnel, ça va bien. Collectivement je ne suis pas sûre que ça avance dans le bon sens. Toute cette affaire autour du voile et de la burqa ! Je trouve ça fou que des mecs blancs en costard de 50 ans viennent encore dire aux femmes comment nous habiller et nous comporter dans la rue, je trouve ça fou qu’une fille qui ait l’air d’une pute parte en garde à vue, qu’on ne puisse pas non plus se cacher sous un voile. Tout ça juste parce qu’on est des filles et qu’on est dehors. Les barbus, eux, ne sont pas rasés sur la place publique.


[gris] Propos recueillis par Stéphanie Pichon[/gris]

(c) Carême

A voir
Le documentaire “Mutantes - Féminisme Porno Punk” sera diffusé sur Pink TV le 15 février à 22h30, le 26 février à 22h30 et le 10 mars à 22h30, dans le cadre de la journée de la femme.
A lire
King Kong Théorie, Virginie Despentes, Livre de poche, 5 euros. Bye bye Blondie, Virginie despentes, Livre de poche, 6 euros.

Commentaires (1)

  • dra.ypessoa

    C’est bien, mais elle a perdu pas mal de temps pour profiter du lesbianisme...