Le bel âge
Le 24/04/2011
Je me promène dans la campagne. Dans ma poche, un petit machin plat relié à des écouteurs enfoncés dans mes oreilles diffuse de la musique directement dans ma tête. Barbara chante une chanson intitulée « le bel âge ». Est-ce mon errance, sa musique ou sa voix étranges ? Je me souviens d’une histoire qui m’est arrivée il y a quelques années.
Il avait vingt cinq ans. Moi, je traînais mes quarante pleins de désillusion sur le déclin de mes charmes. Par le biais d’amis plus jeunes que moi, ayant eux-mêmes des amis plus jeunes qu’eux, je me retrouvai dans une soirée pleine de gamins avec ce grand jeune homme, mince et beau comme un loup, ou comme un jeune cerf, selon que l’on se place du côté de la proie ou du prédateur. Il me contemplait de ses grands yeux de fille si détonants sur son visage déjà très masculin, et me parlait d’une voix douce et grave, bougeant avec un peu de gaucherie ses mains fines aux ongles encore rongés.
J’étais heureuse dans ma vie. Mariée et mère de famille, sans que cela constitue pour moi une quelconque aliénation. J’aimais mon mari, j’adorais mes gosses, mon boulot me satisfaisait. Aucun nuage à l’horizon. Je contemplais les ébats de la jeunesse avec l’air amusé de celle qui avait vécu, et c’était vrai, j’avais déjà vécu cela, et je n’en éprouvais aucune nostalgie. Juste une pointe d’amertume en regardant les photos de celle que je n’étais plus.
Les groupes se font et se défont au cours de ces soirées, si bien que je me retrouvai bientôt seule à siroter un énième mojito avec le jeune homme. J’avais appris que les jeunes aimaient les mojitos. Je n’en étais pas une inconditionnelle (et je ne le suis toujours pas), mais je m’étais décidée à m’adapter. Nous fîmes connaissance, et au fur et à mesure qu’il me racontait ses virées entre potes, ses projets d’avenir, la longue litanie de ses groupes de musique préférés et inconnus de moi, je me surpris à creuser un immense fossé mental entre lui et moi.
En l’écoutant, je mesurais l’ampleur de ce que j’avais perdu : l’insouciance et la confiance dans l’avenir, la soif d’absolu, le refus des compromis… Ou peut-être était-ce à lui que manquaient l’inquiétude, la renonciation, les regrets. J’étais étonnée de son intérêt pour moi et des regards appuyés et sans nuance qu’il me lançait. Je supposai que c’était un jeu, un jeu cruel consistant à éveiller mon désir pour mieux me faire entrevoir la douceur des paradis auxquels je ne pouvais plus prétendre.
Mais je me trompais, car en sortant tard dans la nuit (ou tôt le matin), dans le froid glacial, il passa un bras autour de mon épaule et me serra contre lui. L’alcool, la folie, ou je ne sais quoi, fit que je me retournai vers lui et l’embrassai. Il me rendit mon baiser et je sentis sur sa langue le goût de la menthe et du rhum. Nous nous rendîmes chez lui sans plus échanger un seul mot, serrés l’un contre l’autre, les joues rougies par le vent et l’alcool.
Je comprenais enfin que je lui plaisais. Non pas malgré mon âge, mais bien à cause de lui. Probablement nourrissait-il je-ne-sais-quel fantasme sur les femmes soi-disant d’expérience. Un cliché, sans doute, mais je me décidai à relever le défi et à faire honneur à celles de mon rang. Je le déshabillai lentement, ôtant son pull trop large et son tee-shirt trop étroit pour promener mes mains sur son torse glabre et le long de ses bras musclés et déliés. Puis j’ôtai son jean et son boxer alors qu’il arrivait tant bien que mal à se débarrasser de ses chaussures. Je descendis lentement ma bouche le long de son torse, m’attardai sur son nombril, puis plus bas. Il bandait déjà fort, mais le contraire eût été surprenant, à cet âge. Je glissai ma langue le plus loin possible dans son entrejambe puis remontai lentement, laissant une trace brillante sur son sexe érigé comme une colonne antique en lui arrachant un gémissement de plaisir. Après m’être amusée à parcourir avec ma langue les endroits que je savais les plus sensibles, je le pris dans ma bouche, l’enfonçant loin en moi, à lui en faire perdre le souffle. Je passai doucement une main dans la raie de ses fesses et commençai à caresser son anus que je sentis se contracter. Le jeu est nouveau pour toi, mais tu l’as voulu, mon chéri. Au bout d’un moment il se détendit et je pus y introduire délicatement un doigt tout en continuant à le sucer, ce qui déclencha chez lui une jouissance brutale.
Cela n’a duré qu’une nuit, au cours de laquelle j’eus l’occasion de me rappeler qu’il ne fallait pas longtemps à cet âge pour être disposé à recommencer. Je me retrouvai successivement culbutée sans ménagement sur la table de la cuisine au milieu des chips et des canettes de bière, et empalée à califourchon sur lui sur une petite chaise en pin. Puis, à plat ventre sur le petit frigo, je lui offris mon cul, aidée en cela par un petit flacon d’huile d’olive posé à côté. Encore une nouveauté pour lui, mais il eut l’air d’apprécier et ne se fit pas prier pour me le prouver, pendant que je serrais les dents sous la violence du choc. Le matin se leva enfin et nous trouva couverts de salive, de sueur et de foutre, puants et épuisés.
Je ne l’ai jamais revu. Quelques mois plus tard, il m’a envoyé un texto me disant qu’il était amoureux, lui qui auparavant était incapable d’aucune relation sérieuse. La photo de l’être aimé accompagnait le texte. Une jolie jeune fille, blonde et rose et douce. L’exact opposé de moi. Dans un style inimitable et une orthographe incertaine, il me disait que c’était un peu grâce à moi que cette aventure était possible, parce qu’il se sentait enfin lui-même. Je lui ai répondu que c’était juste la vie, les rencontres, qui nous changent pour mieux nous faire découvrir qui nous sommes.
[gris]Fairy Tale[/gris]
Commentaires (2)
J’aime beaucoup, pour moi le bon mélange de tendresse et de crudité, je trouve ça vrai et bien écrit. Peut-être aussi qu’à 39 ans, je me sens un peu concernée... Cé
Je le relis et le seul regret que je trouve à formuler -tout de même - est la sensation au travers de l’écrit qu’avancer dans le temps fais perdre ("l’insouciance et la confiance dans l’avenir, la soif d’absolu, le refus des compromis…") plus que gagner ; ou gagner du peu enviable (" l’inquiétude, la renonciation, les regrets").
Pourtant, l’âge a ses apports heureux. Les convictions fougueuses peuvent devenir des rages profondes, les renoncements sont souvent la condition pour avancer (comme vider un sac trop lourd au fur et à mesure d’un voyage), et si on a la chance de ne pas s’être trop trompé de route, les grand-écarts entre soi et soi peuvent s’apaiser, ouvrant des possibles... Cé