Chirurgie plastique, le miroir aux alouettes ?

Le 21/04/2009

Façonner le corps selon les critères esthétiques de son époque et de sa culture n’est pas nouveau en soi (corsets ici, petits pieds emmaillotés ailleurs) mais au fil des ans, les progrès des sciences et des techniques médicales ont donné naissance à des disciplines de pointe en matière de modélisation —et même préservation— du corps. Petite fille de la chirurgie, la chirurgie plastique est d’abord légitimée par les visées de reconstruction du corps suite à des traumatismes physiques. Ses spécialisations sont aujourd’hui autonomes, et le versant esthétique, une discipline en soi. Sortie de l’ombre des tabous en même temps que le corps de la femme commence à être désigné sans honte, la chirurgie de l’intime est particulièrement impressionnante et prometteuse.

Chirurgie de l’intime

La pratique des opérations plastiques intimes augmente et la demande est variée comme le sont les corps. Les visées peuvent être reconstructives, esthétiques, ou les deux. Les labioplasties traitent de l’hypertrophie et/ou de l’atrophie des lèvres, impliquant à la fois des sections et des injections, les vaginoplasties, du rajeunissement du vagin, par resserrement du plancher vaginal. La chirurgie de l’intime vise à accompagner sur-mesure la femme dans les mouvements de son corps au fil de sa vie pour qu’il reste son allié. À l’adolescence en cas de malformations congénitales, après accouchement, à la ménopause… Dans les cas extrêmes, elle peut permettre de reprendre possession de zones de soi mutilées, de faire revenir les sensations et se lever la nuit psychologique sur le plaisir. Ainsi le médecin humanitaire chirurgien urologue Pierre Foldès se consacre à la clitoridoplastie, réparation suite à l’excision. Il a formé et forme d’autres à cette pratique. Selon lui toutes les excisées sont opérables, les bénéfices de l’intervention sont esthétiques et sensoriels. Dans d’autres cas, l’opération plastique n’est pas directement liée au plaisir en tant qu’organe mais se rapporte, dans le corps, à un contexte précis, polémique, du vécu sexuel de la femme. C’est le cas de l’hyménoplastie, en cas par exemple…de risque de mariage annulé pour défaut de virginité… La restauration de l’hymen —quand en dépend un certain « avenir » matrimonial, religieux— est une question qui en contient bien d’autres, et ne sera pas réglée uniquement en passant sur le billard bien que s’y trouve, pour certaines, une partie de la solution. La chirurgie plastique offre donc de nouveaux moyens à réfléchir pour jouir de son corps, de sa sexualité, qu’il s’agisse d’harmoniser, (ré)approprier ou réparer. À la différence d’hier, les femmes (dans nos sociétés occidentales à tout le moins) ont le choix de se serrer ou pas la taille dans un corset, de gonfler ou pas leurs poitrines et leurs points G, c’est à dire qu’elles ont les ressources pour envisager leurs actes comme les servant elles-mêmes et non comme des servitudes pour se conformer à une image de la femme désirable. Profitons en pour comprendre le phénomène dans ses dimensions éthiques, marchandes et politiques, pour que les avancées ne deviennent pas des reculs et que les émancipées d’il y a peu ne deviennent pas demain des victimes du bistouri.

Mises en gardes sur le marché mondial de la chirurgie

Comme souvent lorsqu’un progrès médical rencontre une demande forte dans le creuset d’une économie mondialisée, le phénomène s’emballe avant que l’éthique n’aie le temps de dire ouf. D’où le ton inquiet de spécialistes et journalistes décrivant des « tendances » comme des traînées de poudre se répandant à l’international. Témoin, les « vacances chirurgicales », dont les destinations seraient la Thaïlande, le Brésil, la Bolivie, et près de nous, la Tunisie. Le site Beauty-travel propose des séjours en Tunisie pour opérations esthétiques à la carte, avec nuits d’hôtel et en clinique, honoraires du chirurgien… Côté intime, 1900 Euros pour une labioplastie, 800 pour une hymenoplastie, tarifs « deux à trois fois moins cher que ceux pratiqués en Europe », à « qualité égale de prestations ». Bien ? Pas bien ? L’inquiétude s’il en est procède du fait que se dresse ici le profil de structures où il ne s’agira pas de poser de questions sur le bien-fondé des actes opératoires, mais de répondre à la demande par « la programmation immédiate de l’opération sans délai d’attente aucun ». Pourtant la chirurgie plastique ne peut pas faire l’impasse sur ses précautions. Linda Cardozo, uro-gynécologue londonienne, a souhaité rappeler lors d’une conférence qu’une intervention chirurgicale, même légère sous anesthésie locale, n’est jamais anodine. Et, si les résultats esthétiques sont souvent probants, la satisfaction psychologique, de même que le fonctionnement organique heureux, ne sont pas selon elle assurés. Il ne faut pas tomber dans le panneau du plaisir à tout prix : qui dit injection d’acide hyaluronique dans le point G ne dit pas orgasme, peut-être le contraire, avec risques urinaires. D’autres s’inquiètent de la demande croissante de jeunes femmes n’ayant pas eu d’enfants, citant l’influence du porno, qui favoriserait la tendance à se faire pratiquer une labioplastie comme on demanderait une épilation ticket de métro. Mais même une opération légère peut présenter des complications et nécessiter un suivi après l’intervention. De plus, le fait que le secteur privé s’empare du « marché » donne lieu à des pratiques qui échappent au contrôle médical et à ses précautions face aux nouvelles techniques. Or, sans compter les accidents, ce qui est déclaré bon (et rentable !) tout de suite, molécule, méthode, peut se révéler néfaste des années plus tard.

New New face biochimique et grand spectacle : la plastique comme laboratoire de tendances

Après la folie des grandeurs de la chirurgie esthétique, nous assistons au développement de techniques « légères », moins « intrusives », où des molécules et des sérums étudiés pour leurs affinités avec la biochimie naturelle des corps prennent le relais des scalpels. En parallèle, c’est la re-modélisation progressive des critères de beauté. On parle aujourd’hui de la New new face, qui faisait (avec Madonna comme exemple) la couverture du New York magazine : Le nouveau visage est en forme de cœur, plus charnu, généreux, un peu « bébé ». Vont-elles toutes se procurer le visage en vogue comme elles se ruent sur le dernier It-Bag ? Les techniques sont moins « invasives » mais l’ « invasion » de clones menace-t-elle comme au premier jour ? L’heure n’est plus à l’ablation des côtes pour se faire une taille de guêpe cinématographique, mais cela n’empêche pas la profession d’avoir son star-system, ses chirurgiens cotés (le même New York magazine publie régulièrement les listes de chirurgiens les plus en vue de la grosse pomme), ni de verser dans le spectaculaire. Brigitte Nielsen qui subit une liposuccion à la télé, nous aurons tout vu ! Dans un article publié dans les débuts de la télé-réalité esthétique (X-treme Makeover et autres) et de la série Nip Tuck, un journaliste américain dénonçait le « voyeurisme sous speed », voyait là l’exutoire d’une société qui se serait trop laissée aller à la négligence et jouirait par procuration de coups de scalpels correcteurs. Ça laisse à penser… Pourquoi ce succès ? Nous pouvons parfois nous demander si la télé, ici avec la chirurgie, ne prendrait pas le relais de questions sociales négligées en une sorte d’assistanat bizarrement arrangeant. Car les prouesses chirurgicales médiatisées apportent des solutions (ou l’illusion de) à des malaises individuels en résonance avec des contextes culturels donnés. Ce qu’une société permet ou encourage vis à vis du corps en dit long sur ses autres (pré) dispositions à bien des égards pour les individus. Dans certains pays d’Orient, il sera ainsi plus facile de changer de sexe que de vivre son homosexualité. En Occident, nous pouvons assister à l’effacement de traits raciaux chez les immigrés désireux de faciliter leur intégration. Faut-il en arriver là ?

« Dites-moi ce que vous n’aimez pas chez vous »… et bien plus encore…

La chirurgie plastique avec ses innovations et ses usages offre donc une illustration intéressante de la façon dont le corps cristallise sur lui un ensemble de caractéristiques individuelles, sociales, politiques. Hormis son cachet chic et choc, c’est peut-être aussi une raison du succès de la série Nip-Tuck. La mise en scène d’un cabinet de chirurgiens plastiques permet de déployer, avec la distance de l’ironie et la (dé)-dramatisation glamour, des palettes de situations individuelles dans leur imbrication avec des questions interpersonnelles, sociales : vies de couple, ambitions professionnelles, idéologies, passions secrètes... « Ce n’est pas en te refaisant les seins qu’on va refaire notre couple ! » lançait le Docteur-Héros à sa femme, au beau milieu de leur crise conjugale… Nous voyons comment la fameuse question pré-opératoire « Dites-moi ce que vous n’aimez pas chez vous » ouvre donc la voie à un récit de soi qui exprime plus que des malaises physiques. Les problématiques personnelles apparaissent à nu, incarnées où elles peuvent faire le plus mal mais aussi le plus de bien : le corps, à double tranchant. Dans les moments les plus durs de la série, lorsque les deux chirurgiens prennent cyniquement la demande d’une patiente au mot quitte à se montrer sans pitiés, détaillant sa chair abandonnée à leur expertise à coup de bâtons de rouge, suivis d’incision au scalpel le long des pointillés, comment ne pas voir, en miroir, la cruauté que chacune risquerait d’être capable de déployer contre elle-même dans un moment d’égarement ? Cruauté posée ici comme extrême limite au recours à ces pratiques.

Long live self-respect !

D’où le retour à la question pré-opératoire, qui prend son importance et pourrait être reformulée ainsi : « Vous voulez-vous du bien et si oui comment avez-vous déjà envisagé ou envisagez-vous de vous faire du bien ? » La chirurgie plastique prendra, de là, partie, ou non, du projet, jamais dans sa totalité. Si nous l’envisageons, nous devons l’inscrire dans un tout et non nous y inscrire totalement. Et nous inspirer de la pimpante Benoîte Groult : Interrogée sur la nature de sa « grande forme », l’écrivaine de 88 ans, répond que son corps a bien tenu grâce à de multiples activités, et admet, parce que son visage la « trahissait », avoir eu recours à la chirurgie pour « réconcilier son état d’esprit avec son apparence ». Pourtant, rien de magique, le « secret de jouvence » (qui rend bluffant au passage la chirurgie), en ce qui concerne la dame, est d’être indépendante : « C’est la source de tout », dit-elle « et faire quelque chose qui passionne. » Nous sommes loin du portrait de Dorian Gray, œuvre culte d’Oscar Wilde, dans lequel le beau Dorian jalouse son propre portrait et exprime son souhait de voir le tableau vieillir à sa place « Si le tableau pouvait changer tandis que je resterais ce que je suis ! ». Le vœu exaucé, la laideur du personnage n’en finit plus de s’exprimer dans la vie tandis qu’elle s’imprime sur la peinture : ce n’est pas tant, pour le décadent vaniteux, et bien seul, un programme de réjouissances. À côté de ces horreurs associées à l’obsession de la perfection, l’imperfection a du bon, et nous pouvons nous remémorer la conclusion donnée à l’un de nos articles, dans lequel nous reprenions l’invitation du psychiatre Boris Cyrulnik à la savourer (voir notre article « Halte au culte de la performance »). Parce que l’imperfection crée des ouvertures, qu’elle est dynamique, tandis que la perfection (ou son obsession) est peu souhaitable quand elle devient hors de proportion, et risque malgré nous de déboucher sur la rigidité et le stress (car, parfaites, il faudrait le rester) la solitude (car, parfaites, nous serions entourées d’imparfaits), et au final, tristesse. Ce qui ne nous ressemble pas !!

Maxine Lerret