Butins et cætera - chapitre 7
Matin martialLe 30/07/2009
En laissant distraitement traîner, au réveil, son majeur sur ses nymphes, Angélina s’avisa, ce 8 mai, de séduire l’ancien combattant. Ça ne tombait pas mal. C’était un jour pionnier du calendrier, l’an I de la mise en service d’une journée souvenir toute à la gloire des vieux guerriers de la République. La Nation avait rassemblé les souvenirs, et concentré les morts. Députés et sénateurs avaient voté, unanimes, la fusion des dates anniversaires des armistices, capitulation, arrêt des hostilités des deux Grandes Guerres mondiales, des conflits d’Indochine et d’Algérie, dans un souci de « gain d’efficacité mémorielle ». Le 11 novembre avait perdu beaucoup de son sens dès lors qu’Otto Taker demeurait le seul poilu vivant et vaillant. « Autant se souvenir bien une fois des couci-couça deux millions de morts pour la grande France plutôt que faire de mesquines scissions et commémorer plusieurs fois petitement ». C’était l’argument, associé à celui de « la France qui travaille, c’est la patrie qui gagne », qui avaient permis de lever les réticences d’arrière-gardes des associations porte-drapeaux-et-breloques. La succession, l’éloignement et la mort diluaient le souvenir. Et puis c’était beaucoup mieux de faire ça au printemps. Novembre et mars encore traînent trop en eux leur triste tristesse.
Angélina compulsa avec frénésie les pages « société » de la feuille de chou du coin et dégota l’heure de la cérémonie. Le rendez-vous était fixé à 11 h. Fallait pas lambiner. Mais ce dont Angélina ne se doutait pas dans l’instant, c’est que son caprice martial et matinal, allait la conduire, derechef, dans les bras d’experts en cérémonies et en bourbiers. Elle ne savait point non plus, l’ingénue, si, pour ce genre de petite réception, il lui fallait jouer le coquelicot à l’orée du champ de blé, ou enfiler une rigoureuse tenue de rigueur. La deuze ! Elle camoufla son divin corps dans un body kaki, discrète et judicieuse concession à l’étiquette des armées, qui laissait en lisière les premiers contreforts de ses piges, passa pull et jupe-au-dessus-des-genoux.
À l’autre bout d’une autre pièce, Mic, les méninges occupées à de prosaïques préoccupations, chopa, en emprunt, dans la commode d’orme un petit ensemble en nid d’abeilles, culotte et bas roses. « Si tu veux, mon avis mon amour, ton aventure là pue la guêpière à plein nez », avait-elle pouffé, une main glissant de droite et de gauche sur le bas de son bidon gainé, alors qu’Angélina lui indiquait sa destination. Elle, devait rentrer, et c’est ainsi, avec la prémonition que l’incursion pouvait tourner catastrophe, qu’elle pris bien soin de dire à Angélina, le sein encore bouillant : « Méf’ à tes fesses et, devant ces olibrius, ne baisse jamais ta barde ». Leur partie endiablée de la nuit était une expérience à recommencer « dès ce soir si tu peux ». C’est que de son côté, Mic avait à honorer, voyez-vous, un rencard commercial. Depuis la crise structurelle de recrutement des gens d’Église, et la mise au placard du repos dominical, le commerce avait, d’une façon générale, relégué les jours fériés dans les limbes calendaires et, dans le droit fil de ces traditions qui foutent le camp, pris logiquement le pas sur le souvenir stérile des vieux croûtons belliqueux.
Sitôt son salut de départ lancé, Mic bondit, on eut dit Bianca Li, dans le bus numéroté 23, composta et gagna une place mitoyenne. Elle n’avait pas plus tôt assis son popotin que son livre des transports en commun, dégainé fougueusement de son sac à main, crocha dans une culotte qui chut sur les g’noux de sa voisine de voyage, dont la gourmette d’argent ornant son poignet gauche indiquait qu’elle se prénommait Bertolde.
« Quézako ? Oh, mille pardons ! » s’excusa la dame Mic dans l’embarras, se demandant à l’avenant pour quelle bonne raison l’étoffe évoluait loin de ses attaches et pourquoi, diablotin, ne l’avait-elle donc pas enfilée ? Ce dont, soit dit en passant, elle était intimement persuadée ! Puis, toc-toc la caboche, la mémoire éclaira sa lumière. La « bonne raison » était qu’Angélina, lors que Mic s’habillait, filocha du regard ce lambeau de tissu en train de s’engouffrer, fuir en ligne, disparaître pour enfin rejaillir, placé comme il se devait, quelques centimètres plus loin. Et les doigts, d’Angélina aimantés, suivirent le même chemin, naviguèrent entre chair et nippe, pour prendre fait et cause pour le regard. Les doigts des deux femmes entrechoquèrent, s’entremêlèrent avant de s’unir à la croisée de la voie périnéenne, en route pour aller conquérir, tel Hannibal Teuton ballotté de bon matin dans les eaux tumultueuses du détroit de Gibraltar, le mont Calpé en vue, un clito aux abois.
« Oh la, ah hi ! » soupira soudain Marie-Christine.
L’expédition, à mi-chemin, devait rebrousser.
« C’est que j’ai pas trop, asteure, de temps pour la bagatelle ! » avait-elle alors vaguement protesté un pincement au cœur.
Angélina n’insista point, fit pédale douce tout en affalant la toile rosée dans un mouvement ondulatoire, certifiant à Mic qu’elle pouvait « très bien faire sans », que s’en était « diaboliquement vivifiant pour une toison de cet acabit ». Mic se soumit. La p’tite culotte franchit sans anicroches les escarpins dorés. Et c’est ainsi que dans l’autocar urbain, Marie-Christine se retrouva sur la Brecht. Tant pis, trop tard, le mal était fait.
« En garde ! » s’emporta sans mise en garde la voyageuse culottée tout comme il fallait, elle ! d’un panty d’organdi inscrit, depuis 2005, au patrimoine de l’humanité, au même titre que le reste des ruines de Kounya-Ourguentch (Turkménistan), ancienne capitale des Khârazm-Shahs, dévastée, en 1220 par Gengis khan le Mongol. C’était un sacré malheureux coup du sort de l’histoire qui bégaie. Mais c’était aussi l’image d’une baroudeuse urbaine foutrement vexée d’une telle irruption dans son champ lexical, fichtrement courroucée d’être contrainte de renoncer à la lecture d’une traite et de haut en bas du dazibao in-octavo qui accaparait son esprit sain jusqu’alors.
« J’évolue, balança-t-elle, depuis plus de vingt ans, dans une institution scolaire qui a gravé au frontispice de son Q.G. son engagement pour l’enseignement de la vertu. »
La passagère vexée avait extirpé, rapide comme Concorde, un godemiché de son sac à main, s’était levée de son siège et reculée de trois pas. « En garde ! » réitéra la lectrice affligée. « De Diou, la valdingue ! » Marie-Christine en fut confinée ferme sur son petit cul. Brièvement ceci dit. Comprenez bien qu’elle ne refusait en aucun cas lâchement le duel, mais elle voyait plus loin que le bout de son nez, car c’était presque matière à flagellation fétichiste si jamais une complication l’obligeait à louper sa visite hebdomadaire de minoucure de 10 à 12 le mercredi. C’est exactement là en ce lieu que devait la mener l’autobus. Et c’est exactement là que se profilait le contretemps. Ajoutons que le latex n’était pas sa tasse de thé. Et Mic avait, elle aussi, un beau bagage d’éducation. Par respect pour son adversaire, Mic dégaina galement le gode trainaillant d’habitude dans un compartiment de son cabas. Tchac, tchac, tchac ! Botte, fente, parade. Tchic, tchic, tchic ! Une-deux-trois, arrêt, assaut, flèche.
La voisine avait du métier. Elle allongea le gourdin qu’alla riper sur le téton dextre de dame Marie-Christine. Le nid d’abeille manquait de maintien. La guêpe mettait à mal son équilibre. Les miches de Mic ballottaient. Flûte ! V’là du handicap ! Les autres passagers avaient pris soin de ne pas s’mêler de c’qui n’était pas leurs z’oignons, et s’étaient poliment écartés derrière devant. Le chauffeur, un œil sur le compteur et l’autre sur la pendule, fonçait sans arrêt, pour rattraper l’retard et coller à l’horaire officiel, garantie de palper, à la fin du mois, la « gratification de ponctualité ». Les escrimeuses s’escrimaient. Marie-Christine esquivait plutôt pas mal. Tchuc, tchoc, tchuc, tchuc… Ses ripostes, par contre, faisaient flop. Le gode de Dieu marquait des points. Tchuc, tchoc, tchuc, tchuc, tchiquitchic, tsoin, tsoin, Mic était au tapis.
« Oh la branlée, entonnèrent les passagers sur l’air de Ça ira, ça ira ! Pourquoi déployer tant de haine entre les peuples ? La vaincue, l’a les quatre fesses en l’air ! »
« J’ai tout vu, j’ai tout vu. Je peux apporter mes concours et témoignage à la manifestation de la vérité. J’ai inscrit, au Bic, mes nom et numéro de téléphone au revers de votre frêle culotte que voici. Louis, tél. 02 40 12 34 56. »
« Au moins un numéro fastoche à graver en mémoire », soupira une Mic défaite.
Et Marie-Christine fourra le pense-bête dans son cabas. Savait jamais ! Le bus stoppa au terminus. La foule s’éparpilla. La dame la victoire se fit acclamer bras levés en V. sur le marchepied. Marie-Christine serait, en tout cas, pile à l’heure chez son épileuse.
[gris] Camomille Belleplante[/gris]
Commentaires (1)
That’s the best anwesr of all time ! JMHO