Assise à une certaine hauteur du sol
Le 26/01/2010
Je suis assise. A une certaine hauteur du sol. Sur une chaise. La chaise a été placée sur une table. Et mon corps est sur la chaise. Il m’a aidée à grimper là. Ses doigts épais, autour de mes poignets, guidaient mon ascension en aveugle. Il a fait ça d’une main de maître. Comme on accompagne une équilibriste.
Arrivée à ce que j’imagine être le centre de la table, sa main m’a intimé de ne plus bouger et après quelques secondes, il a tiré le bras qu’il tenait vers le bas. Vers l’arrière. Précisément. Mes jambes ont fléchi, tout mon corps a suivi et j’ai cru un moment que j’allais rencontrer le vide, ou un mur, ou un meuble. En déséquilibre, j’attendais la chute, le choc, la douleur. Mais mes fesses se sont posées avec exactitude sur cette chaise et il a caressé la saignée de mon poignet avec son pouce un peu râpeux. J’ai su que tout allait bien et je suis restée assise à attendre la suite.
Il a passé le premier de mes bras derrière le dossier de la chaise, puis le second. Il les a liés l’un à l’autre sans cesser de caresser l’intérieur de mon poignet. Ses gestes étaient précis, assurés, doux , fermes jusqu’au dernier nœud. Je l’ai entendu reculer de quelques pas. Dans le silence, il a souri, je le sais, puis il a contourné la table, s’est approché de moi et a saisi mes hanches. Ses mains ont pressé de plus en plus fort. Je sais qu’il peut me briser quand il fait ça. M’éclater comme une coquille de noix. Mais je ne dis rien parce que j’aime être si peu entre ses mains, comme des mâchoires sur mes os.
A mes genoux, son souffle régulier. Il a pris le temps de sentir l’espace que j’occupais entre ses doigts et il a relâché juste assez l’étreinte pour glisser jusqu’à l’élastique de mon slip. J’ai soulevé les fesses pour qu’il me l’ôte. Rumeur du tissu sur ma peau qui est allé mourir dans un coin de la pièce. Alors il a écarté mes genoux et a saisi l’une après l’autre mes chevilles pour les attacher aux pieds de la chaise. Boucles savantes, morsure envoutante de la corde dans ma chair. J’ai entendu la porte s’ouvrir et se refermer.
Depuis j’attends. Je suis assise. A une certaine hauteur du sol, jambes écartées, sexe contre le bois tiède, seule, aveugle, parfaitement immobile. Dehors, la pluie vient gifler les fenêtres. L’odeur du feu de bois arrive jusqu’à moi. Derrière le bandeau noir qui couvre mes paupières, je sens que le jour humide décline tranquillement et je pense à la nuit qui va prendre sa place quand la porte s’ouvre. Il plante ses pas feutrés dans le bois du parquet qui grince. Il est face à moi et je sais qu’il regarde mon visage sans regard. Il écarte mes jambes et glisse sa main sous ma jupe. Sur ses doigts, le marécage de mon désir. Il goûte, lèche ses phalanges, et revient chercher le miel qu’il a laissé couler le temps de son absence. Il s’enfonce dans le pourpre, m’écarte, s’enfonce encore, suce ses doigts, cherche les palpitations.
Je suis le prolongement. Je prends vie à l’extrémité de son bras. Quand il en est tout à fait certain, il relève ma jupe sur le haut de mes cuisses et contemple ma chatte luisante. Ses paumes sèches épousent mes genoux qu’il écarte un peu plus encore. Chacune de ses mains me maintient ainsi. Longtemps. Il ne bouge pas. Alors je sens un doigt qui parcourt ma fente. Surprise, je tente de refermer les jambes, mais il les tient fermement ouvertes et à l’intérieur la caresse de ses pouces qui apaise alors que les mains inconnues déboutonnent ma veste, libèrent mes seins et les malaxent, pressent la chair prête à éclater. Je me sens trahie, honteuse de ce sexe exposé, de cette poitrine écrasée, de cette confiance ridicule. Je pense à me débattre et je réalise.
Savamment liée, je suis assise. A une certaine hauteur du sol. Offerte. Et malgré moi, je sens l’excitation prendre corps. Ses mains tiennent toujours mes genoux. Et l’autre se sert. Il fait glisser mes fesses jusqu’au bord de la chaise et il renifle ma chatte. Il m’écarte, me fouille, me lèche à grands coups de langue. Je ne sais pas si j’ai peur. Je ne crois pas. Mais je sais que je commence à couler et qu’il se régale. Son visage s’enfouit, il se gorge. Ses doigts se faufilent, toujours plus nombreux. Il bouge peu, mais avance, centimètre par centimètre à l’intérieur de moi, attendant que je m’écarte pour aller plus avant. Il continue de laper. Mon sang bat autour de sa main.
A un autre moment, c’est son nez qui me pénètre, son menton, sa langue. Il est affamé. Son front, ses joues glissent entre mes lèvres trempées. Il se noie. Il respire difficilement mais reste là, à me bouffer, me boire. Et, quand son visage, dont je ne connais rien, se détache enfin de moi, plus personne ne me tient. Je bats comme un cœur. Je n’en peux plus. Je sais qu’ils me regardent, qu’ils se regardent, que tout ça parle de moi, mais je suis impuissante. Je veux juste leur demander la jouissance comme on demande à son bourreau d’être achevé. J’ouvre la bouche mais sa paume vient la fermer d’un geste précis, assuré, doux et ferme.
Il savait donc que j’allais rompre le pacte et parler. Demander. Supplier qu’on m’aide à exploser. Je me tais. Au supplice. Et, après un moment interminable, je ne sais pas lequel des deux introduit en moi une chose lisse et froide alors que l’autre écarte et lèche mes lèvres. Je me laisse faire. Une autre main caresse mes cheveux et joue avec mes boucles. A l’intérieur de moi, la chose prend appuie sur les parois et s’écarte lentement. Je pense à cette drôle de chose que mon gynéco utilise et qui lui permet d’aller lire dans mon ventre ce qui s’y passe, alors que je ne le sais pas moi-même. Oui, ce premier contact glacial, ce mouvement de doigts qui vissent, mon corps qui s’ouvre, l’air qui chemine là. Ce ne peut-être que ça. Et là, dans mon corps béant, dégoulinant, vont et viennent des doigts, des langues, des mains, qui n’ont plus de propriétaire. Je perds pieds. Je chavire.
Je jouis ouverte. Assise. A une certaine hauteur du sol, mon corps fou traversé de spasmes. Je suis liquide. Je frôle des mondes magiques et effrayants. Quelque chose de rauque et d’animal monte du fond de moi et je romps le silence. Longtemps, mes muscles restent tendus. Puis, quand le relâchement s’empare de moi, on sort tous les trésors encore enfouis à l’intérieur. Avec précaution. Douceur. On embrasse mes pieds, mes cuisses. A la saignée de mes poignets : un pouce caresse. Les nœuds sont desserrés. Les liens glissent sur la table. Sur ma nuque des lèvres font naître un frisson. Et un sanglot monte, inattendu. Imprévisible. Je suis assise à une certaine hauteur du sol et je pleure. Le sourire aux lèvres.
[gris]Armel Labbé[/gris]
Commentaires (9)
Fin, très fin, ça se consomme sans faim.
Doux rexte,très esthétique,délicat et tendre.La fin est cependant éludée,nous laissant sur notre faim...
Excellent ! Et Dieu sait que l’écriture érotique est un exercice extrêmement difficile... On tombe si vite dans le convenu (con-venu ?) du genre "je sentis son sexe turgescent effleurer mes parois intimes et telle une vague mon plaisir afflua" (ouaaaarf !).
Bravo, pour la situation décrite et la finesse tant du vocabulaire que des émotions !
Subtil et sensuel, délicat, ...écrire l’érotisme suppose de l’élégance, du vocabulaire, de l’imagination. Cet auteur n’en manque pas, ça sonne juste, on est dans la pièce, on est assis sur cette chaise, on sent les caresses, un bon moment, merci Armel
....rarement lu un texte érotique aussi excellent.....vraiment une belle découverte, quelle précision subtile dans l’évocation.....
Heureuse d’en avoir emporté certain(e)s.
Merci pour ces réactions.
Armel.
assise,
à vous lire,
j’ai eu le vertige. merci
De la littérature érotique... Enfin. Merci
Quelle femme ne voudrait pas connaître une telle situation ? vivre tant de jouissance ! j’en rêve !