Homme à louer : Episode 9

Le 05/05/2009

« Un contrôle fiscal ! » En apprenant la nouvelle Héléna avait failli avoir une attaque. Malgré deux somnifères, elle n’arriva pas à dormir. A six heures du matin elle s’activait déjà à remplir des cartons.

« Anita ! hurla-t-elle. »

Qu’est-ce qu’elle fichait celle-là ? Depuis qu’elle se délurait il n’y avait plus rien à en tirer ! Anita apparut dans l’embrasure de la porte du salon :

« Vite, aidez-moi ! »

La Brésilienne semblait n’avoir que peu dormi. Elle avait les yeux cernés. « Vous, vous m’avez encore piqué un roman cochon… l’interrogea aussitôt sa patronne en lui présentant des bacs de rangement. » La jeune fille nia comme si on l’accusait du crime le plus odieux. Héléna savait pourtant parfaitement que son employée dévorait en cachette, depuis un mois, tous les ouvrages licencieux que contenait sa bibliothèque. N’importe, ce n’était pas le moment de la taquiner sur ce mensonge. Il y avait beaucoup plus urgent !

Car si jamais le contrôleur de Bercy débarquait dans la matinée, terminée la belle vie. Comment pourrait-elle, en effet, affirmer être sans le sou alors qu’elle vivait au milieu d’une opulence de sultane ? Rien qu’en babioles elle avait de quoi s’offrir un hôtel particulier ! Heureusement le logement qu’elle habitait était un héritage. C’était déjà ça. Mais tout le reste devait disparaître ! A quatorze heures tapantes, le vaste T5 niché au cœur du VIIIe arrondissement se trouva donc pratiquement démeublé. Après un coup de fil passé à un déménageur toutes les pièces avaient été nettoyées en un éclair par des gaillards taillés en hercule (inutile de préciser qu’Héléna s’était rinçé l’œil). Tous les objets les plus ostensiblement luxueux se trouvaient dans des camions, garés en bas d’une rue voisine. Ne restaient plus dans l’appartement que des meubles récupérés à la hâte dans une décharge.

« Beau travail ! se glorifia Héléna. » Maintenant il pouvait venir ce fameux contrôleur… Elle l’attendait de pieds fermes ! Or, ce qui devait arriver n’arriva pas dans l’après-midi, mais le lendemain matin, à huit heures. Héléna dormait tranquillement dans un lit de camp quand elle entendit sonner à l’entrée. Elle enfila un peignoir. Si l’homme s’avérait peu convaincu par ses explications elle avait prévu que, d’un geste faussement maladroit, le peignoir s’abattrait à ses pieds, dévoilerait sa nudité, et qu’elle lui sauterait au cou. Vu sa science érotique ce serait bien le diable si elle ne parvenait pas alors à le plier à ses volontés !

« Héléna B***** ? Bonjour. C’est pour un contrôle fiscal… »

Le contrôleur a environ quarante-cinq ans, des yeux bleus, une bouche pincée, un nez trop long, un menton proéminent, un front plissé, des oreilles un peu décollées, des cheveux coupés au carré, un buste cambré, des hanches épaisses, une poitrine saillante, des jambes en poteaux de but. Il porte une jupe et un chemisier noirs. Le contrôleur est une femme.

« Par ici, je vous en prie… », prononça Héléna d’une voix mielleuse. Elle jubilait intérieurement. Une femme… Et quelle femme ! C’était bien. C’était même très bien…

« Mon expert-comptable va arriver dans une demi-heure environ… En attendant, permettez-moi de vous offrir quelque chose à boire. Un jus d’orange ? »

Par réflexe Anita se précipita sur un frigo antédiluvien dont la porte fermait à peine.

« Non, non, laisse ma chérie. Ne te dérange pas. Je vais le faire… », dit Héléna. Et se tournant vers la fonctionnaire assise au milieu de la cuisine où deux pauvres chaises flanquaient une table branlante :

« C’est ma petite nièce, précisa-t-elle. La fille d’un de mes frères. Comme vous le voyez je ne suis pas riche mais j’ai le sens de la famille, de la solidarité… »

Une demi-heure après, discrètement prévenu par téléphone, Pierre faisait son entrée en scène. Il affichait une élégance feutrée de bon ton, sobre et stylée. Il tenait à la main une mallette censée lui donner l’apparence d’un pro de la comptabilité.

« Je vous laisse ensemble ! déclara Héléna. J’ai une petite course à faire avec ma nièce adorée. Nous en aurons pour une heure ou deux. De toute façon, dès lors que Pierre s’occupe de vous, je ne crois pas que ma présence soit nécessaire ? »

La fonctionnaire, attablée au milieu du salon devant un bureau composé d’une planche et de deux tréteaux, le nez dans les paperasses que Pierre lui tendaient déjà, répondit par un grognement sourd. Héléna s’éclipsa. Les documents étaient plus faux que des promesses électorales. C’en était même risible. La contrôleuse se tourna vers Pierre :

« Franchement monsieur, vous comptiez me berner avec ça ? » Elle l’interrogeait sans animosité. Un léger sourire d’ironie se dessinait sur ses lèvres.

« Pas vraiment, répondit le bel escort, en lissant sa chevelure poivre et sel. A vrai dire, je ne suis pas là pour vous berner mais pour vous faire l’amour… »

La fonctionnaire avala une grande rasade de salive. Devant elle elle ne voyait plus que deux immenses yeux gris d’une beauté infinie. « Comment ? »

« Vous m’avez très bien entendu. Je suis là pour vous faire l’amour. Et je sais, comme Héléna l’a su dès qu’elle vous a vue, que vous allez accepter. » « Mais vous êtes fou… » « Pas du tout, chère madame. Pas du tout. Je vais vous faire l’amour sur ce bureau, dans cette pièce, au milieu de cette fallacieuse nudité. Je vais vous donner du plaisir. » « Mais… » Pierre ne laissa pas à cette femme le temps de répondre. Une main passée derrière sa nuque, il la renversa sur sa chaise et l’embrassa. C’était une attaque à la hussarde assez risquée mais la fonctionnaire ne résista pas. « C’était quand la dernière fois ? », demanda-t-il. « Il y a cinq ans, murmura-t-elle, d’une voix éplorée… »

Cela se voyait. Cela s’était vu d’emblée. Héléna savait reconnaître ça. Une femme qui manque de plaisir est comme une plante qui manque d’eau. Elle se dessèche, elle se racornit. Le visage de cette contrôleuse était fané. Seule une jouissance profonde pouvait en raviver la beauté. Or Pierre était l’homme qu’il lui fallait. Il la déshabilla en la dévorant de baisers. La fonctionnaire se laissa faire.

« Comment vous appelez-vous ? » « Honorine… »

Il se mit à susurrer ce prénom au creux des oreilles dont il mâchonnait savamment les lobes. Les fesses sur la planche-bureau, Honorine défaillait déjà. Elle fermait les yeux, se pinçait les lèvres. Sa gorge émettait par moments de petits gémissements. Elle avait abandonné toute idée de résistance. Elle se serra contre le corps de Pierre. Ah, que c’était bon ! L’escort, à présent, suçait ses seins avec une habileté furieuse et elle mouillait, elle mouillait, elle mouillait ! Quand il commença à lécher sa chatte elle ne put se retenir. Elle poussa un premier cri. Les hommes qu’elle avait connus auparavant n’avaient pas cette adresse ! Quelques instants après elle était pénétrée sur la table. Elle avait l’impression d’être emportée sur une vague immense au milieu d’une mer déchaînée. Dans son ventre des sensations endormies depuis des lustres se réveillaient à nouveau. Elle revivait. Elle rajeunissait :

« Ah, oui, continuez, continuez… »

Sa voix tremblait. Elle ne pensait plus à rien. Elle était si bien ! Oui, oui, il devait continuer ainsi, la prendre ainsi éternellement… N’était-ce pas possible ? Ne pouvait-elle pas avoir toujours droit à ça ? Une vie qui ne serait qu’une longue étreinte avec un homme aimé. Car, sans même le connaître, elle aimait Pierre. Oui, elle se donnait à lui ainsi qu’elle s’était donnée aux seuls hommes qu’elle avait aimés. N’était-ce pas fou ? C’était comme ça pourtant. Elle avait tellement besoin d’amour ! Sa jouissance fut longue, intense, fiévreuse. Cette fois, elle ne cria pas. Elle ne ferma pas les yeux. Elle trembla et pleura. Puis, comme frappée de tétanie, elle se figea dans les bras de son amant. Héléna, cachée dans une pièce voisine, avait pris soin de prendre quelques photos avec son téléphone portable en entrebâillant une porte. Précaution inutile. Quand elle fit semblant de revenir de sa course, la fonctionnaire annonça que tout était en règle. Son rapport écarterait définitivement toute trace de soupçon quant à l’honnêteté de cette patronne d’agence d’escorts qui (frais de fonctionnement obligent !) déclarait ne faire aucun bénéfice :

« Je me permets de vous remettre une petite carte chère madame. Si jamais vous avez besoin de nos services, n’hésitez pas… »

Le soir même, les meubles étaient revenus dans l’appartement d’Héléna et Anita, la belle et prude Anita, put se choisir un nouveau livre érotique dans la bibliothèque de sa patronne avant d’aller se coucher…

[gris]Axelle Rose[/gris]