Théophile Gautier : Lettre à la Présidente (extrait)
Le 12/04/2009
Présidente de mon cœur,
Cette lettre ordurière, destinée à remplacer les saloperies dominicales, s’est bien fait attendre ; mais c’est la faute de l’ordure et non celle de l’auteur. La pudicité règne en ces lieux solennels mais antiques, et j’ai le grand regret de ne pouvoir vous envoyer que des cochonneries breneuses et peu spermatiques. Je vais procéder par ordre de route.
À Genève, le gouvernement vous recommande, à la porte de la ville, de voir « ci-derrière » ; ce qui est beaucoup, dans une ville protestante, où, pour humilier les catholiques et leur montrer qu’ils ne sont que des païens sensuels, les femmes se rabottent le cul et les tétons avec la varlope de la modestie, selon la méthode américaine. Nous avons fait tous nos efforts pour voir ces douze fesses prescrites par l’autorité, et nous n’en avons vu que quatre, sur la corde raide, séparées par un périnée plafonnant, et formant, sous la jupe de deux jeunes saltimbanques allemandes, deux culs rebondis, qui ne devaient pas être désagréables dans le tête-à-tête. Ne sachant pas l’allemand, il nous a été impossible de prendre langue avec ces derrières, dont l’un était digne de la Mignon de Goethe, parce qu’il ne l’était pas, mignon.
Oh ! que volontiers, céleste cul, qui m’apparus entre quatre chandelles, j’aurais déployé en ta faveur une des quatorze redingotes, objets de l’inquiétude de Louis qui les change de place à chaque instant ! La nuit suivante, Dom Jacquemart de Bandeliroide, préoccupé de ce cul blanc voltigeant sur le bleu du ciel, me fit rêver que j’étais Brindeau, du Théâtre-Français, et qu’avec l’habileté au bilboquet qui caractérise ce pédéraste grassouillard, je recevais, sur une pine en buis, la petite danseuse, attachée par la ceinture à une ficelle. La fausse-couche marécageuse et géographique, qui devait résulter de ces fantasmagories nocturnes, n’eut pas lieu, parce que le vilebrequin d’amour me terebrait le nombril avec tant de force que l’angoisse m’éveilla, mon rêve m’ayant transformé en planche à bouteilles, sur l’établi d’un menuisier. Louis plaqua lâchement un foutre épais et jaune, et la chambrière, en faisant son lit, aurait pu découvrir l’Amérique dans ses draps. Voilà pour Genève, la patrie de M. Crépin et de M. Jabot, dont le gouvernement emprunte le style. Du reste, pas un vit sur les murs, ils sont sans doute dans le con des femmes, si l’on peut appeler con cette machine à faire des horlogers que les protestantes trimballent entre leurs cuisses décharnées, sous un maigre bouquet de poils à qui les flueurs blanches font faire pinceau.
Dans le Valais, nous avons rencontré ma chimère, c’est-à-dire la femme à trois tétons ; mais le troisième était un goître et c’était le seul dur. Je n’ai pas été tenté de demander à cette Isis suisse si elle avait le con en travers, fantaisie chinoise qui m’affriole. Dans l’auberge du « Simplon », dont le papier représente les Anglais en Chine, comme un roman de Méry, un parapilla ailé et monstrueux s’introduit dans la bouche de lady Bentinck, qui s’écrie : « Very delicious ! » Les canons sont transformés en membres qui déchargent, les roues forment les couilles, les canons, la pine, et la fumée simule la mousse éjaculatoire : ces embellissements priapiques sont dus au crayon libidineux de jeunes rapins français. À « Domo d’Ossola », les lieux, que quinze heures de route nous faisaient un devoir de visiter pieusement pour y déposer nos libations, présentaient un aspect enchanteur et féerique ; ils étaient peints à fresque et représentaient des bouquets de roses qui s’épanouissaient comme des trous du cul de blondes, avec une touche de pourpre au milieu. Il est fort agréable de s’accroupir, ayant l’œil sur ces anus fleuris, ou sur ces fleurs anales, dépliant leurs pétales : les fronçures d’un sphincter prêt à boire une pine ou à vomir un étron.
Une chose me jeta dans une grande perplexité, c’était une petite bouteille d’huile, où trempait une plume, posée sur une planchette ; je demandai au garçon quel était l’usage de cette huile et de cette plume ; il se troubla, rougit, balbutia et s’enfuit. Je pensai d’abord que son usage était de faciliter les opérations stercorales aux anus garnis d’hémorroïdes qui voyagent sur des ronds Rattier et Guibal. Mais il paraît que cette huile servait à lubrifier le derrière de ce joli garçon, fort recherché des Anglais qui vont en Italie satisfaire leur goût de pédérastie, punie de la corde dans leur aimable île ; attention touchante du gouvernement, qui procure ainsi quelques vieux coups aux Anglaises, qui ne seraient jamais baisées sans cela. Figurez-vous, ô Présidente, dans cette latrine ornée de roses, lieu ordinaire des rendez-vous, un lord passant gravement la plume au cul de ce jeune fumiste, mal torché, mais étroit : lord Brougham ou lord Palmerston, ou tout autre personnage vénérable, couleur de pralines, avec des favoris et des sourcils blancs. Le soir, on nous a donné un spectacle de marionnettes ; l’homme et la femme, très jeunes tous les deux, et récemment mariés, prêtaient leurs voix aux petits personnages. La femme, armée d’un clitoris qui faisait relever sa robe, comme un bout d’épée ou une pine en érection, avait un organe trombonnant, un contralto poilu, genre Crapobiska, dans le goût d’Ernesta, et le mari une voix flûtée, genre Abailard après l’opération ; ce qui ne l’empêchait pas de foutre et de branler sa femme pendant les monologues des héros en butte aux rigueurs du sort et de l’amour ; divertissement qui faisait trembler la toile, marquer les genoux de la femme au milieu de la décoration, et traîner les jambes des marionnettes au moment de la pâmoison.
Théophile Gautier