Marie Nimier : La Nouvelle Pornographie (extrait 3)
Le 19/06/2009
Deux ans de garantie, pensai-je, c’est renversant. On peut laver beaucoup de choses en deux ans, repasser beaucoup de corsages — comme si nous avions des tronches à porter des corsages —, disons trois par semaine, ce qui nous fait (...) si j’ai bien compté, et autant de corps à corps, autant de jupes retroussées, de lèvres embrassées et de porte-monnaie essorés par la société Jolicœur. Le directeur n’avait toujours pas raccroché, je commençais à avoir mal aux lèvres ; demain j’aurais des gerçures et surtout des courbatures dans les joues. Comme le directeur évoquait maintenant ses prochaines vacances en famille, je décidai d’aller prendre un bain.
Aussitôt que ma bouche eut quitté son sexe, le directeur expédia sa femme et se rua à ma poursuite, renversant au passage la pile des magazines d’Aline. Je n’eus pas le temps de régler la température de l’eau, ni de fermer la porte à clef. Il avait l’air furieux que je l’aie (...), serrait mes poignets, me tirait vers le sol, je perdis l’équilibre et me retrouvai allongée sur le tapis à bouclettes made in Taïwan, la tête contre la baignoire, avec l’eau chaude qui coulait à flots, les bras en croix, le directeur sur moi (...), disait-il, me laisser tomber comme une vieille chaussette, tu t’en mordras les doigts. Je vais te la fourrer jusqu’à ce que tu demandes pardon, je vais te foutre, oui, t’inonder de foutre, je détestais cet homme, ce qu’il était, ce qu’il représentait, et pourtant mon bassin se levait en cadence, je l’aspirais, je l’enconnais, et c’est lui qui croyait me baiser.
Il m’étranglait à présent, le bras en travers de la gorge, puis, affinant sa prise, le pouce et l’index de part et d’autre de la trachée, je sentais la peau qui faisait le lien entre son pouce et son index, cette peau ferme et tendre pressée comme une lame contre mon cou, un fil à couper le beurre, il s’excitait et je me répétais du beurre, comme dans du beurre, où était Aline, j’avais du mal à déglutir et les images défilaient, je l’écrasais entre mes seins comme la femme obèse du coin de la rue, la grosse femme au petit chien, je lui pressais son jus et il allait payer ; quatre cents balles la branlette et six le repas complet, il allait cracher le directeur, il en redemanderait, il reviendrait tous les jours mouiller sa liquette, suppliant, l’œil hagard, et je louerais un appartement digne de ce nom, avec des provisions dans le placard et un bureau immense pour écrire de belles histoires à la main, de grandes histoires romantiques en buvant du champagne ou des infusions issues de l’agriculture biologique. J’entendis un bruit dans le couloir. Aline nous observait par miroir interposé, prête à intervenir. Sa présence me rassura, elle me donna la force de (...)
Le directeur se mit à crier entre ses dents, un cri qui ne faisait pas de bruit, tu vas me le payer, répétait-il en me claquant du plat de la main, tu vas me le payer ; mon cœur battait, mon ventre battait, la baignoire allait déborder, ma tête butait sur le carrelage et je me cramponnais à lui comme à une bouée, je lui devais mon salut, je lui volais ma jouissance, c’était ma seule façon de m’en sortir, ma seule façon de ne pas être sa victime. D’un coup de genou, il m’obligea à me soulever, je sentis quelque chose qui voulait pénétrer par-derrière, je reconnus l’odeur douceâtre du savon, ce savon en forme d’ogive que l’on trouve dans les vestiaires, avec un trou pour l’accrocher, un boulon pour le retenir, je serrais mes muscles, je serrais les poings, le directeur insistait, tu vas lâcher, disait-il, tu vas me le donner ton petit cul, et plus je serrais, plus je sentais mon sexe se nouer autour de son sexe jusqu’à ne plus savoir à qui était lequel, j’avais envie de l’anéantir, de m’anéantir en lui, je sentais le plaisir monter, le plaisir et la douleur du plaisir dans un même râle, le directeur s’effondra sur mon ventre, son corps tremblait, il jouissait comme aucune femme ne l’avait jamais fait jouir, il jouissait contre lui- même, à son insu, il pleurait maintenant et recommençait à me vouvoyer.
Mais que disait-il, que trouvait-il à dire encore après tous ces mots ? Un peu de silence, je soupirai, un peu de silence, et je me retrouvai dans la cuisine, mon ordinateur en état de veille et mes notes éparpillées sur la table. Quelqu’un me regardait. J’avais mal au dos et à la nuque, surtout à la nuque. Aline était debout derrière moi, elle venait de se réveiller. « Tu n’as toujours pas fini ta nouvelle ? demanda-t-elle en se frottant les yeux. » « Je ne sais pas. On verra. Je n’ai pas le courage de la relire, je vais la donner comme ça à l’éditeur. » Ses gestes étaient lents, chargés de rêves. Une certaine mollesse dans la lèvre inférieure, une moue, une nonchalance laissaient à penser qu’elle avait envie de faire l’amour. Elle dormait avec un vieux T-shirt de mon frère. Je me sentais vide et sale. Lorsqu’elle se dressa sur la pointe des pieds pour prendre les tasses, je vis sa touffe noire se dessiner en transparence. Elle tenait le bas du T-shirt coincé entre les jambes, et c’était douloureux, ce tissu prêt à lâcher — j’avais tellement besoin de tendresse. Bientôt s’élèverait l’odeur du café.
[gris]Marie Nimier[/gris]
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Commentaires (1)
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