Pourquoi (pas) le porno ?

Le 18/06/2010

En marge du Paris porn fest, était organisée une journée d’étude sur les pornographies et post-pornographies contemporaines. Un panel d’intervenantes(1) étaient conviées à parler sur le thème "Je suis féministe et je fais du porno. Pourquoi pas vous ?" Compte-rendu et analyse.



Porno féminin, porno féministe

Porno féminin, porno féministe, la nuance est ténue. Comme le fait remarquer Marie-Hélène Bourcier, organisatrice du festival, « Il y a finalement peu de divergences. Beaucoup de personnes se retrouvent dans un féminisme non-essentialiste. Avant, le débat était plus marqué. » Ainsi, les distinctions se troublent, et si les pratiques pornographiques tendent à se diversifier, voire diverger, le consensus pro-sexe semble s’installer durablement dans le paysage intellectuel et artistique français.

Dans le porno féminin, le flacon fait ivresse. Face à un marché pornographique détenu à 95% par des hommes, le désir féminin s’impose comme une forme renouvelée de représentations sexuelles explicites. Loin des stéréotypes du porno mainstream (fellation - pénétration vaginale puis anale - éjaculation faciale), Caroline Loeb, réalisatrice de Vous désirez ?, revendique « une pornographie pudique, esthétique et élégante » où ce qui est montré ne doit pas être nécessairement la totalité de l’acte, mais « ce qui fait vibrer ». Car, ne l’oublions pas, la finalité première du porno féminin, à l’instar de son homologue masculin, demeure celle de l’excitation, voire de la masturbation. Et c’est précisément en quoi la pornographie féminine s’inscrit dans une démarche féministe : souvent détourné à des fins consuméristes, l’éros féminin est sacrifié, oublié, délaissé et la frustration, tant sexuelle qu’économique et sociale, peut opérer.

« Comment, alors, faire en sorte que la femme passe du statut d’objet du désir à sujet de son propre désir ? » s’interroge Mia Enberg. La réalisatrice suédoise affirme que « le porno ne doit pas montrer la réalité de la sexualité mais doit montrer ce que l’on ressent. » Dans ce cas précis, les interdictions, les règles et l’auto-censure ne peuvent mener qu’à un résultat médiocre et tronqué. Partisane de la diversité des représentations sexuelles, Mia Engberg voit dans les Dirty Diairies l’expression d’une pornographie non centrée sur un genre particulier. Cette société transgenre ou post-genre trouverait son expression la plus symbolique dans le seul organe qu’hommes et femmes, hétéros, homos et lesbiennes, nous possédons en commun : le « trou du cul ». Illustrée dans le court-métrage Fruitcake, cette idée trouble volontairement les limites du genre pornographique.

Cependant, si l’on connait l’excitation de certaines femmes face à la pornographie gay, les hommes (hétérosexuels ou homosexuels), ont une capacité moindre à s’identifier à des pornographies différentes des normes sexuelles auxquelles ils se référent. Serions-nous donc condamner à voir s’affronter, comme deux frères ennemis, une pornographie mainstream, hétéro-masculine et souvent axée sur la domination symbolique, et d’autre part, une pornographie féminine, queer valorisant les différentes formes de sexualités ? « Non », vous répondrait Judy Minx. L’actrice X et performeuse qui tourne dans des films tout autant mainstream que queer affirme que l’un est l’autre peuvent coexister, voire s’enrichir mutuellement. Et loin du formatage idéalisé et diabolisé du porno masculin, il n’est pas rare – et là, elle nous parle de son expérience personnelle sur des tournages – qu’une actrice prenne un godemiché pour sodomiser son partenaire.


C’est quoi le post-porn ?

Dans les années 80, l’actrice X américaine Annie Sprinkle forgeait le concept de post-porn avec sa performance The Public Cervix Announcement au cours de laquelle les spectateurs étaient invités à visiter son vagin à l’aide d’un spéculum. Politique et conceptuel, le post-porn s’est alors imposé comme la pornographie du futur, dont les contours restent à définir.

Le post-porn peut-être considéré comme une notion englobant toute forme de renouveau de la pornographie, principalement à travers les figures de la pornographie féminine et féministe radicale. Pour Maria Llopiz, auteur de El post-porno era eso, le post-porn est un moyen pour explorer les limites de la sexualité, mais aussi la vie dans son ensemble. Autant intellectuelle qu’artistique, la démarche de production post-pornographique n’a pas de sexe ni de sexualité attitrée : son principal marqueur est les pratiques dites extrêmes, l’humour, la provocation face aux codes établis. Refusant l’anatomisme et le mécanisme des pornos traditionnels et hétérocentristes, il se construit comme un outil critique des sociétés patriarcales modernes, sans constituer un genre formel à part entière, d’où parfois une impression pour le spectateur d’avoir à faire à une étiquette fourre-tout.

La post-pornographie recouvre, en effet, des réalités bien différentes, non seulement par leurs formes mais aussi par leur finalité. L’aspect masturbatoire du post-porno s’efface peu à peu au profit d’une réflexion plus poussée sur les relations qu’entretiennent la représentation de la sexualité et la société politique. C’est dans cette perspective que le collectif Urban porn multiplie les happenings et autres performances de rues. Dans une volonté d’interroger les normes du genre et la dichotomie « hétérocentrée et hypocrite » qui sépare sphère privé et espace public, le collectif « trans’ pédé gouines » use de la post-pornographie comme d’un outil critique de déconstruction des dispositifs hétérosexuels ; principalement dans l’espace urbain. Pratique à la fois de réappropriation et de mise en visibilité des contre-cultures sexuelles, le post-porn devient un outil idéologique révolutionnaire. Ainsi, au moment du débat sur l’identité nationale, le collectif s’est décidé à récupérer à son compte une statue de Jeanne d’Arc à Lille, transformée en icône queer, godemiché fushia, porte-jarretelles et écu God save the Queers.(2)

Le post-porn se veut donc une réappropriation pleine d’humour de l’imaginaire collectif pornographique, à l’instar de Lezzieflick de Nana Swiczinsky présenté à la soirée Queerrrissimaaa du festival côté court. L’humour, le refus du misérabilisme invoqué par les abolitionnistes, tels Andrea Dworkin ou Catharine MacKinnon, la représentation de sexualités extrêmes ou le mélange des genres seraient donc l’avenir du porno, un porno intelligent, qui attiserait autant les sens que la réflexion. Un projet utopiste ? Certains de ces outils, notamment l’humour distancié, étaient déjà utilisés dans la pornographie mainstream, de Gorge profonde à des productions plus contemporaines. En mettant l’emphase sur l’aspect politique et intellectuel de la pornographie moderne, les artistes et autres personnes engagées dans l’industrie post-pornographiques n’en oublieraient-ils pas l’essence même, la finalité première des vidéos pornographiques, c’est à dire l’acte masturbatoire, comme le définit Tiffany Hopkins ?(3)


Finding an excuse

Détourner les codes, sans jamais rien montrer de sexuel, tel est le credo de beaucoup d’adeptes du post-porn. Comme l’a fait remarqué Judy Minx, le post-porn ne serait-il pas une façon de se « trouver des excuses » pour ne pas faire du porno ? Jouer avec des sex-toys, mimer l’acte sexuel, cela peut s’avérer ludique, sans aucun doute, politique, parfois, mais où se situe l’excitation dans tout cela ? À force de critiquer, même dans la joie, la pornographie « hétérocentriste », « hétéronormée », et tous les adjectifs parfois outranciers ou employés à torts et à travers des gender studies, l’outil déconstructionniste peut devenir un prétexte à la haine du porno, une façon de cacher ses tendances abolitionnistes, sans paraître pour autant « coincé », « réactionnaire » ou tout simplement « prude ». Si la vision féministe de la pornographie est de ne pas faire de porno du tout, que devient l’enseignement d’Annie Sprinkle, qui affirmait : « La réponse à la mauvaise pornographie, ce n’est pas "pas de porno du tout" c’est de faire du meilleur porno. » ? Nul besoin pour cela de s’enfermer dans de nouvelles catégories, de nouvelles étiquettes.

Par conséquent, le binarisme « porno féminin vs. porno féministe » se serait déplacé pour opposer plus volontairement (post) pornographies politiques et pornographies érotiques. Pour les premières, le sexe serait fondamentalement politique, politique qui est toujours vecteur d’inégalités. En transformant par la pornographie réflexive nos comportements et nos identités de genre, la post-pornographie espère (secrètement) faire disparaître le porno mainstream, celui des « gros hétéros »(4) (sic !) et changer ainsi la politique. De l’autre côté du miroir, il existe une pornographie féminine réformiste, qui renverse les termes du problème : la politique est érotique. Selon Sophie Bramly, en effet, « L’Eros gouverne nos vies, du lever au coucher, et même au delà. » Libérer la femme moyenne de la frustration par une pornographie différente, voici le défi futur de la lutte féministe pro-sexe contre les inégalités. Non pas contre les hommes, mais avec eux, avec la sensualité et la sexualité qui leur est propre.


[gris]Loraine Gautier[/gris]


(1) Étaient présentes : Sophie Bramly, fondatrice du site secondsexe.com et productrice du projet X-Femmes pour Canal + ; Caroline Loeb, réalisatrice du court-métrage X-plicit Vous désirez ? ; Mia Engberg, réalisatrice et initiatrice des Dirty Diaries ; Maria Llopis, écrivaine, réalisatrice et actrice de post-pornographie ; Judy Minx, actrice X, performeuse queer et éducatrice sexuelle et le collectif Urban Porn.

(2) www.urbanporn.org

(3) Interview de Tiffany Hopkins : « J’arrête le X », 30 avril 2007, Technikart.

(4) Propos tenu par une des membres du collectif Urban porn au sujet des films lesbiens réalisés par des hommes hétérosexuels.

Photo : Senor B sur flickr.fr

Commentaires (2)

  • paolo

    de tres belles reflexions et textes. un sit original, sympa et decomplexé ! à faire connaitre de toute urgence !!

    une bise en passant !
    paolo le bresilien ...

  • nina da silva

    Je suis d’accord, j’avais moi même remarqué, dans mon coin, que certaines realisatrices porno "médiatisées" nous cachaient une forme de puritanisme, c’est gênant pour celles qui veulent faire ou attendent la venue d’un porno jouissif, decomplexé, audacieux, subversif et esthétique pour tous.
    Nina.