Portrait d’artiste : Carole Schneemann
Le 27/04/2009
Carole Schneemann, nue et complètement barbouillée de peinture, déclame à haute voix un texte écrit sur une bandelette qu’elle extirpe de son vagin comme un cordon ombilical. Cette performance a eu lieu en 1975, et se nomme Interior Scroll (Rouleau intérieur). Cette photo est sans cesse reproduite dans les livres d’art contemporain sur le féminisme, voire la révolution de 1968 et l’histoire de la performance. L’image marque les esprits, féminins et masculins ! Ce geste à la résonance archaïque sonnait comme une nouvelle table de loi accouchée du sexe de la femme. Cette performance s’inscrivait comme une provocation féministe à l’idée patriarcale selon laquelle les femmes peuvent être lues et interprétées. Il s’agissait pour Carole Schneemann de reprendre possession de son corps, de changer le statut, le regard porté sur les femmes en différenciant corps masculins et corps féminins.
Une période de mutation
Il faut rappeler que les années soixante ont vu le début d’une véritable mutation dans les pratiques de l’art visuel en Europe et aux États-Unis. Cette mutation coïncide avec les changements radicaux de la conscience populaire, un moment de révolte contre les fondements sociaux et politiques. La peinture et la sculpture qui jusqu’à maintenant régnaient en maîtres sont devenues suspectes… Carole Schneemann utilise son corps de manière provocatrice,à travers plusieurs supports : performance, danse, films, peinture, dessin, photo, vidéo. Née en 1939 à Fox Chase, une petite ville du Kentucky, elle s’est vite installée à New York où elle réside toujours. Sa première exposition eut lieu en 1972 au Musée de la faculté de Berkeley, en Californie en pleine vague hippie… Et dès 1979, elle expose en Europe, à Amsterdam. Quand elle débarque à New York, elle s’intéresse plus particulièrement à la NY School of painting et à ses recherches visant à repousser les limites du tableau et de la peinture traditionnelle. Ses premières œuvres utilisent de nombreux matériaux et elle s’inspire des fameuses boîtes de Joseph Cornell.
Libérer le corps féminin ?
Entre 1962 et 1964, elle travaille exclusivement sur le corps féminin, plus particulièrement sur le regard masculin… Elle sera également chorégraphe et danseuse au Judson Church Theatre, haut lieu de l’underground créé tout d’abord en Californie par un groupe de danseurs (Simone Forti, Trisha Brown), de musiciens (Terry Riley, La Monte Young...) de plasticiens (Robert Morris). Ces artistes rassemblés autour d’Anna Halprin se retrouveront ensuite à New York. Elle participera également à des performances d’autres plasticiens et non des moindres comme Claes Oldenburg, Bob Rauschenberg et Robert Morris. La conscience féministe encourage les artistes femmes à reconquérir leur propre image et à découvrir de nouvelles stratégies de représentation et de pratiques artistiques susceptibles de sauver la femme et son image de son avilissante position issue du système patriarcal.
Celle par qui le scandale arrive
Avec Eye Body (1963), elle peint son corps et se couvre de serpents, son atelier devient une scène de jeu de miroirs, de cordes, de bâches, de colle... Son corps n’est qu’un matériau parmi tant d’autres. Dans Up to and Including her Limits en 1976, elle propose une nouvelle approche de la peinture : accrochée à un harnais, le corps suspendu, en gravitation, elle expérimente l’espace pictural aux limites de son corps ainsi contraint. « Quand le corps est dans l’oeil, les sensations visuelles s’emparent de la totalité de l’organisme ». Elle expose son sang de menstruation sur des étoffes, dans Blood Work Diary, 1972. Mais son œuvre dérange, et surtout les publics féministes : dans son film, une partouze filmée, Meat Joy (Joie de la Chair, 1964), les acteurs nus jouent avec des aliments pour animaux et l’artiste tient le rôle d’une nymphomane. Elle le montre dans un festival de cinéma de femmes à Chicago. Le public est scandalisé par ce qui est perçu comme un film porno classique. Une hostilité féminine du même type accueille son autre film Fuses (Fusibles) en 1967, dans lequel elle filme le compositeur James Tenney en train de faire l’amour. Et sa fameuse performance Interior Scroll avait provoqué de nombreuses indignations féministes ! Toujours active, dans les années 80-90, elle rendra hommage à Ana Mandieta, une des premières artistes féminines née à Cuba en 1948 et décédée à New York en 1985. Elle lancera également, le Vulvic space, un concept d’espace en forme de vulve et exposera des dizaines de vulves en tableau de 28x22cm, Vulvas’s Morphia, 1995.
Elle influencera de nombreuses avant-gardistes féministes comme Kathy Acker, Lyndia Lunch, Diamanda Galas, mais aussi des théoriciennes féministes comme Judith Butler, voire des artistes masculins comme Mathew Barney. Ses livres sont aussi importants tant dans le domaine de l’art que du féminisme ! Avec More than Meat Joy paru en 1979, elle théorise la performance. Avec Naked Action Lecture (1968), un livre sur les limites académiques de l’histoire de l’art, elle pose la question : « Une femme nue peut-elle acquérir une autorité intellectuelle ? ». Limites qu’elle repoussera encore un peu plus avec Cézanne : She was a great Painter en 1976. Oui ! Cézanne : elle était un grand peintre !
[gris]Patrick Rémy[/gris]