Mobilier des corps hâtifs
Soignons notre intérieurLe 07/01/2011
A l’occasion de la vente aux enchères de la reconstitution du mobilier interdit de la tsarine Catherine II (1), Second Sexe a voulu creuser la piste du mobilier sexuel.
Considérons que le sexe est une activité plutôt domestique se pratiquant généralement sous un toit, avec l’appui du mobilier environnant, du lit à la commode en passant par la table de cuisine. Quelle place a la libido dans l’imagination des menuisiers et autres designers ? Comment faire de notre 2 pièces cuisine un nid sensuel sans le transformer en lupanar ringard ? Réponses et alternatives aux glory hole, balançoires et autres miroirs aux plafonds, qui pour être efficaces, n’en sont pas moins difficiles à assumer en famille…
Rappel des faits : Catherine II de Russie, princesse allemande devenue tsarine de 1762 à 1796, était une despote éclairée, mécène de Diderot et de Rousseau, mais aussi une insatiable libertine, collectionneuse d’ « objets augmentés »... Des récits nous rapportent la description de ses trésors érotiques parmi lesquels sa chambre à coucher. Du sol au plafond, les représentations explicites sont autant d’invites à la luxure. La manufacture Henryot a décidé de répliquer des éléments de ce cabinet secret à partir de rares photographies datant de la Seconde Guerre. Bois de noyer, feuille d’or et velours président à la reconstitution de ce mobilier orné de phallus et de vulves sculptés, de faunes et de nymphes emboîtés autour des pieds de table ou en extase sur les accoudoirs d’un fauteuil.
De l’inspiration à la suggestion : le mobilier « des corps hâtifs »
Aussi loin que remontent les archéologues, les hommes ont toujours immiscé le sexe dans la création. C’est ce qu’a voulu montrer Sandra Le Bretton qui a ouvert fin 2010 un site web retraçant l’influence du sexe dans l’art et le design, sexartanddesign.com « Certes, ce mariage sent parfois le souffre, quitte à être jugé vulgaire ou pour le moins sans intérêt. Il reflète néanmoins l’intuition de nos sens à être guidés vers l’amour, envers et contre toute forme de restriction. » Cette boutique en ligne recense ainsi tous les objets et mobiliers qui puisent leur inspiration dans l’éros, que ce soit de manière très littérale telles ces chaises moulées sur des fesses féminines ou masculines, ou cette table invitant à se faire du pied.
Certains créateurs optent aussi pour le clin d’œil grivois, à l’instar du Hollandais Karel Goudsblom qui a trouvé l’idée de sa très culottée poubelle FILL BILL dans ses nombreux essais de reproduction du corps humain.
D’autres proposent des éléments de mobilier moins réalistes avec des créations plus suggestives, tel le banc LAVA de Karim Rashid pour la maison Espagnole Vondom, dont les volumes et le matériau évoquent les courbes d’un corps, le moelleux d’un édredon. Et qui n’a pas l’esprit plus tourné vers la chose lorsque ces mots sont mis en présence ?! Le design froid et dur n’est plus en vogue, en témoigne l’élection de Konstantin Grcic au titre de designer de l’année par la foire Design Miami, qui privilégie le sensible, le confort, l’émotion.
Pour autant, si évocateurs soient-ils, ces meubles misent davantage sur l’imaginaire et l’esthétique que sur le pratique. Sont-ils faits pour les collectionneurs ou pour les fornicateurs ?
« Aujourd’hui il est rare de trouver des pièces à la fois belles et fonctionnelles », le confesse Sandra. Autant dire que si la chaise fessue nous donne des idées, ce n’est pas forcément elle qui nous permettra de les mettre en action.
De l’évocation à l’action : le mobilier performant
Il y a quelques années, le même Karim Rashid avait signé une banquette proposant des assises et des appuis variés et adaptés à telle ou telle position sexuelle, le Karim Sutra, et Philippe Starck créait la ligne Privé pour Cassina (2008), canapés et autres éléments munis de parties mobiles - accoudoirs qui pivotent, basculent - et symboliques - petites sangles aux coussins. Judicieusement déclinée en version jour et nuit, cette gamme est « capable de recevoir sa belle-mère pour le thé le dimanche après-midi et permet de commencer les galipettes, une fois qu’elle est partie ». Certainement plus discret que le lit de volupté d’Edouard VII, fabriqué spécialement pour lui à l’époque où celui qui allait devenir Roi fréquentait la maison close Le Chabanais à Paris.
Mais au fond, tant de créativité est-elle bien justifiée ? A la question « Un lit ne fait-il pas mieux l’affaire que ces productions sophistiquées ? », Alexandra Willi, créatrice du blog Bien être et sexualité répond : « Le lit est parfait pour se reposer et dormir. Mais un matelas manque de relief pour soutenir et soulager certaines parties du corps pendant les préliminaires et dans les différentes positions sexuelles, avoir accès à plus de parties du corps, ne pas subir le poids de son partenaire, bref bouger, exprimer, choisir, vivre ses besoins et vivre son plaisir ! Quel couple, dans un souci de bien-être, n’a pas attrapé un coussin ou roulé en boule sa couette pour être mieux installé dans un plaisir partagé ? Ce seront ces couples qui ont déjà cherché ce type de solution qui achèteront en premier du mobilier sexuel. » Et justement, sur son blog, Alexandra traque les moyens d’améliorer notre confort sexuel. « J’ai remarqué et ressenti dès mes premières expériences sexuelles que les contractions ou tensions musculaires sont les pires ennemis de la détente, de l’abandon et du plaisir. (…) Varier les lieux et les positions dans l’appartement ou dans la nature se révèle être parfois un parcours du combattant. Personnellement, il m’est quasiment impossible de m’abandonner, de me détendre et de prendre du plaisir sur une table par exemple. Alertée constamment par la douleur de mon coude planté dans la matière dure, le coccyx écrasé, le bassin bloqué entre le poids du corps de mon partenaire et la matière de la table, les abdos contractés etc. Être bien installée c’est aussi mettre en valeur son corps, ses formes, ses courbes. Exprimer sa féminité, sa sensualité, son désir, son ressenti. »
Voilà donc cette jeune trentenaire partie en quête du mobilier ad hoc, des cabinets de kiné (le métier de sa mère) aux salons de design contemporain. En 2006, elle découvre l’existence des sociétés Liberator et Tantra Chair ; nées aux États-Unis, pays où le confort est un crédo et le surpoids un fléau, ces marques sont leaders sur le marché du mobilier sexuel. « L’approche de la sexualité est beaucoup plus pragmatique chez les Américains. J’ai un besoin, il me faut une solution, j’achète sur Internet. »
Liberator propose par exemple des coussins en forme de cales de densités différentes qui soutiennent les corps et permettent une meilleure mobilité dans les rapports sexuels… et qui sont vendus en pharmacie ! Rien de très explicite dans leur apparence, qui ne proscrit d’ailleurs pas d’autres activités comme la lecture ou le yoga.
Comme son nom l’indique, Tantra Chair mise sur la sexualité tantrique à travers cette méridienne très entreprenante mais capable de passer inaperçue et de se fondre dans votre décor, couleurs et matériaux au choix. En bonus, photos et vidéos montrent l’étendue des positions possibles entre ces courbes rebondies qui permettent à chacun de contrôler l’angle et la profondeur de la pénétration.
Dans tous les cas, l’abandon est enfin possible, surtout pour les femmes, qui selon Alexandra, « sont souvent décisionnaires dans l’achat d’un coussin ou d’un mobilier sexuel. Dans 70% des positions, les femmes se situent sous leurs partenaires ou contre un autre support et peuvent à peine bouger leur bassin, ne leur permettant pas de localiser ainsi les points d’excitation ni de se laisser aller à leurs fantasmes. Dotées d’une capacité musculaire inégale, certaines femmes se refusent certaines positions car trop difficiles, trop douloureuses. Quel dommage ! C’est le mobilier qui est remis en cause, pas le partenaire. »
Jamais mieux servi que par elle ou lui-même : le mobilier vivant
Enfin, il n’est pas inutile de rappeler à tous ceux qui n’envisagent pas d’investir dans un meuble dessiné pour notre plaisir, qu’une autre solution existe : transformer son corps ou un autre en table, chaise ou portemanteau, comme le titre de cette œuvre d’Allen Jones dans laquelle des femmes sont transformées en meubles (1969).
Cet artiste britannique, membre de la Royal Academy illustre ce phénomène entre le fétichisme et le SM, où le corps entravé devient mobilier, et support de tous les fantasmes. Mais de crainte de nous égarer, nous consacrerons peut-être plus tard un sujet entier à cette pratique et à cet art qui peut également transformer de vrais hommes en meuble.
En attendant, à l’heure où le sexe est partout, hormis là où l’on est supposé le faire le plus, encourageons les grandes enseignes dédiées à l’habitat à rendre nos intérieurs moins prudes, peut-être un brin provocants, et surtout plus concernés par nos genoux écorchés…
[gris]Aurélie Galois[/gris]
(1) Fin janvier 2011 à l’Opéra Garnier
Le dessin noir et blanc en illustration du dossier provient d’un roman SM des années 30 intitulé A genoux esclave.
A lire également notre dossier Le design sensuel
Commentaires (5)
j’adore ...ca me plairait serir de "meuble"
Moi je voudrais surtout les meubles de Catherine II, ça à l’air tout à fait exceptionnel et je suis grisée de savoir quel avait un bel appétit sexuel et beaucoup de gout aussi.
Franco...
Moi, étant maso...et valet domestique... aux FEMMES Gynarchiques...j’aimerais bien être
à la place de la dame qui soutient la table ronde avec ses mains. (Voir la première illustration).
C’est exceptionnel..comme situation
J’invite toutes les FEMMES..a communiquer avec son valet..
Mobilier des corps hatifs.. Bully :)
Je suis ceartine du contraire déjà que la plupart ne comprend pas qu’on puisse ne plus vouloir vivre en France !