Foot-Fetish : du désir jusqu’à la pointe des orteils

Le 21/04/2009

« La blancheur du pied s’irisait de rose aux extrémités des orteils bordés de rouge pâle. Cela me rappelait les desserts de l’été, les fraises au lait, la couleur du fruit fondant dans le liquide blanc ; c’est cette couleur-là qui coulait le long de la courbure des pieds d’O-Fumi-san. »

Le pied de Fumiko de Junichirô Tanizaki

Vous êtes vous déjà demandé pourquoi la vue de vos chevilles, de vos pieds dénudés pouvait affoler les hommes ? Ce phénomène porte un nom : le fétichisme du pied… Sa force de suggestion est incontestablement ancrée dans l’imaginaire social et pénètre tous les champs artistiques ; des performances burlesques, à la littérature en passant par le cinéma. L’extension de cette passion raffinée nous conduit de la revue Bizarre (années 40-50) commise par le provocant John Willie (dessinateur et photographe fétichiste) aux spectacles burlesques très fashion de la sulfureuse Dita von Teese, l’effeuilleuse rétro-chic (sœur siamoise de Bettie Page version 2000), en passant par le travail d’artistes précurseurs comme Pierre Molinier (1950), qui inspire aujourd’hui encore fortement de jeunes artistes à l’instar de Madeleine Berkhemer. Laissez filer votre regard le long des jambes qui s’avancent. Focus sur le pied…

Fétichisme : petit flash-back historique

« Tout le monde est plus ou moins fétichiste en amour et il y a une dose constante de fétichisme dans l’amour le plus régulier. » Alfred Binet, Le fétichisme dans l’amour

En ethnologie, le fétichisme désigne l’adoration des objets liée à une pratique mystico-religieuse. Au tournant des IXe et XXe siècles, le terme opère une mutation sémantique désignant une perversion. La crainte des gris-gris cède place à l’attrait démesuré des frous-frous. Alfred Binet (1857-1911, psychologue et pédagogue français) est le premier à utiliser ce terme de fétichisme, ou culte des objets corporels, connecté à la sexologie en s’appuyant sur les recherches de Charcot (1825-1893, clinicien et neurologue français). Freud définit, dans le prolongement des recherches de Binet, le fétichisme comme substitution d’un objet aux organes sexuels dans la recherche du plaisir : « Dans l’instauration d’un fétiche, il semble bien plus que l’on a affaire à un processus qui rappelle la halte du souvenir dans l’amnésie traumatique. Ici aussi l’intérêt demeure comme laissé en chemin ; la dernière impression de l’inquiétant du traumatisant en quelque sorte sera retenue comme fétiche. Ainsi si le pied ou la chaussure ou une partie de ceux-ci sont les fétiches préférés, ils le doivent au fait que dans sa curiosité le garçon a épié l’organe génital de la femme à partir des jambes. »

Le bandage des pieds, pratique répandue dans la Chine médiévale jusqu’au début du XXe siècle est ainsi perçu par Freud comme une forme de fétichisme, étant pratiqué sur les petites filles pour des raisons esthétiques. Le fétichisme en tant que pathologie est référencé dans Psychopathia-sexualis (1886) du Dr Richard Freiherr von Krafft-Ebing (1840-1902, psychiatre austro-hongrois) comme déviance sexuelle. Il existe diverses formes de fétichisme : fétichisme corporel (main, pied, cheveux, jambes), fétichisme tactile (linge, tabliers, jupons, soie, satin, latex, cuir, caoutchouc), rétifisme (fétichisme de la chaussure), hiérophilie (objet religieux), doraphilie (fétichisme du poil animal), hoplophilie (fétichisme des armes à feu)... Si les diverses formes de fétichisme touchent indifféremment les deux sexes, le fétichisme des pieds est essentiellement masculin.

Le fétichiste cet inconnu

« L’amour normal nous paraît comme une symphonie qui se compose de toutes sortes de notes. Il en résulte les excitations les plus diverses. Il est pour ainsi dire polythéiste. Le fétichisme ne connaît que la note d’un seul instrument ; il est la résultante d’une seule excitation déterminée : il est monothéiste. » de Krafft-Ebbing

Le fétichiste est prêt à tout pour humer, caresser et lécher des pieds. Ses caresses ne sont pas des préliminaires, mais constituent l’acte même. La vue de pieds nus aux ongles recouverts de vernis bien plantés dans des nus-pieds peut le rendre fou. Si les seins ou les fesses sont des zones érotiques admises, le fonctionnement est le même en ce qui concerne les pieds. L’acte sexuel est déplacé sur cette zone recueillant toutes les attentions du fétichiste. Se faire caresser par des pieds peut l’amener à l’orgasme le plus intense.

De Bizarre au Leg Show : extensions textuelles

Cette « Passion enfin irradiant un érotisme à la fois déconcertant dans la cartographie réductrice d’un corps vendu habituellement en occident sous d’autres morceaux et évident dans un imaginaire où mythologie et expériences infantiles conduisent à une assomption du pied pulvérisant l’habituel mépris qui lui est attaché » Irène Omélianenko, Paroles de podophiles, donne naissance sous l’impulsion de son fantasque créateur, John Willie, à la revue Bizarre (de 1946 à 1959). Son succès est immédiat. Ses créations, mettant en scène des jeunes femmes sexuellement libérées aux formes généreuses et aguicheuses, s’exposant aux regards gourmands des lecteurs. Si l’esprit SM de ses dessins le place dans la lignée d’un marquis de Sade, sa production est plus jouissive, plus ludique. Dian Hanson reprend le flambeau avec Leg Show (US), en 1987, magazine réservé exclusivement aux fétichistes du pied, atteignant les 200 000 exemplaires vendus à chaque parution. Elle constate que de nombreux hommes fétichisent les pieds, les admirent, aiment les caresser, éjaculer dessus. Or il n’existe pas de presse spécialisée s’intéressant à leurs fantasmes. Cette pratique est beaucoup plus répandue que ce que l’on imagine, Leg Show est d’abord là pour rassurer les hommes et les aider à accepter leurs désirs (cf ITW Dian Hanson par Second Sexe).

Varietease : présences iconiques

Hugh Hefner désigne Betty Page, plantureuse brune à l’allure dominatrice, comme playmate du mois de janvier 1955 dans le tout jeune magazine Playboy, elle demeure depuis la reine incontestée des pin-up et des pieds les plus prisés des fétichistes de tous pays. Elle posera pour de nombreux magazines dont le fameux Wink dans lequel intervient John Willie. Irving Klaw la révéla dans des mises en scènes très osées pour l’époque, réalisant également des films burlesques dans lesquels joue Page, les plus connus demeurent : Striporama (1953), Varietease (1954) & Teaserama (1955). Aujourd’hui encore elle influence de jeunes performeuses burlesques à l’instar de l’ex-épouse de Marilyn Manson : Dita Von Teese. Âgée de 19 ans, alors qu’elle dansait dans un bar, un client fixa ses chaussures, lui demanda de venir près de lui afin d’examiner ses pieds. Il les lui a ensuite massés pendant une heure, puis l’a payée, ajoutant : « Si ma femme savait ce que je viens de faire, elle serait plus en colère que si nous avions fait l’amour. » Dita dès lors pris conscience de la puissance du fétichisme et commença à l’exploiter. Sa passion pour le sexe-rétro remet au goût du jour la mode fétichisme/bondage comme divertissement unanimement salué par la critique artistique.

Pierre Molinier & Madeleine Berkhemer

Une face un peu plus sombre du fétichisme est exploitée par un artiste connu pour ses tableaux érotiques et ses photomontages podophiles : Pierre Molinier (1900-1976). Fortement soutenu par André Breton, il influencera de nombreux artistes européens et américains issus du Body Art. Il se met en scène corseté, ganté, en bas et guêpière dans diverses positions et pratique des opérations de découpe et collage sur les clichés, réalisant des montages auto-érotisants. Il influencera entre autres l’artiste contemporaine Madeleine Berkhemer, d’origine hollandaise, née en 1973. Madeleine Berkhemer déploie un univers sensuel érotique et extensible secondée par ses alter-ego : Milly, Molly & Mandy (qu’elle interprète chacune avec une personnalité bien distincte). Elle est fascinée par les jambes, les collants, les chaussures et tout autre accessoire lié au fétichisme du pied. Son champ d’action sculptural est très pop, très coloré et fashion contrairement au travail de Pierre Molinier même si il existe des similitudes fortes dans leurs travaux respectifs : fétichisme corporel et démultiplication auto-érotique. Au cinéma, les pieds ont parfois eu le premier rôle : en 1963, le cinéaste Luis Buñuel réalise Journal d’une femme de chambre adapté du roman d’Octave Mirbeau (1900). Célestine (Jeanne Moreau) est engagée comme femme de chambre auprès d’une famille bourgeoise. Objet de toutes les attentions, elle devient le support des fantasmes fétichistes du père du maître de maison. Il lui fait porter des bottines qu’il adore. On se souvient du collant glissant langoureusement le long de la jambe de Mrs Robinson dans Le Lauréat (1967- Mike Nichols) captivant le jeune Benjamin Braddock.

Ne sous-estimez pas le pouvoir qui est désormais entre vos… Pieds

L’étiquette peu élégante de Foot-job, catégorie phare des sites pornographiques, évince un peu rapidement la tradition fétichiste (le terme Foot-job désigne le fait de masturber un homme avec ses pieds jusqu’à ce qu’il éjacule dessus). Elle est plus fidèlement représentée dans des magazines comme Dresseuses (France), Worship (US), Bizarre (US), Leg Show (US) ou Eve (Japon). Dans le sommaire de la revue Bizarre n°16 on retrouve des sujets connexes : Les entretiens conséquents recèlent des perles, Maîtresse Aves raconte comment elle faisait adorer ses pieds par son premier amant, témoignant d’un toujours très vif intérêt pour le fétichisme des pieds. Cette pratique raffinée est avant tout issue d’une filiation très respectable. Alors allongez bien vos jambes, exposez vos chevilles et sachez parader soit pieds nus, soit en nus-pieds à talons vertigineux, qui en plus de laisser paraître vos orteils, donnera une incroyable cambrure à votre coup de pied !

[gris]Saskia Farber[/gris]

[gris]Bibliographie[/gris]

[gris]Le fétichisme dans l’amour de A. Binet, Paris, Payot & Rivages, 2001
Le fétichisme dans La vie sexuelle de S. Freud, Paris, Presses Universitaires de France, 2002
Paroles de podophiles de Irène Omélianenko, France culture émission du 11 septembre 2002
Le gros orteil de G. Bataille, Farrago, 2006[/gris]

[gris]Sources[/gris]

[gris]http://www.madeleineberkhemer.com/
http://www.thenotoriousbettiepage.com/
http://www.dita.net/
http://molinier-infos.ifrance.com/
http://www.dresseuse.com/
http://www.demonia.com/ : boutique SM & Fétichiste (Paris)[/gris]

Interview de Dian Hanson par Agnès Giard pour Second Sexe

Le vêtement incarné de F. Borel, Paris, Calmann-Lévy, 1992
Le fétichisme, histoire d’un concept de A. M. Iacono, Paris, Presses Universitaires de France, 1992
Le musée du fétichisme de R. Villeneuve, Veyrier, 1973
Traité du fétichisme à l’usage des jeunes générations de J. Streff

Remerciements à Stéphanie Heuze de Hors-circuits pour ses conseils avisés : http://www.horscircuits.com

Commentaires (2)

  • MOLINIER-INFOS

    Attention ! L’adresse du site Internet MOLINIER-INFOS vient de changer.

    Depuis 2001, MOLINIER-INFOS était hébergé par iFRANCE. Malheureusement, ces derniers mois, il est devenu impossible d’accéder à ce serveur et donc de mettre à jour le site. Il a fallu procéder à une migration vers un hébergeur plus fiable : il s’agit de VOILA, géré par France Télécom.

    La nouvelle adresse est la suivante :

    http://molinier-infos.voila.net

    Merci de bien vouloir en prendre note et corriger éventuellement les liens qui pourraient se trouver sur vos propres sites, en particulier sur la page suivante :

    http://www.secondsexe.com/magazine/...

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    A6Fr1o Wlaking in the presence of giants here. Cool thinking all around !