Attache-moi !

Le 21/04/2009

"Les liens remplissaient leur rôle. Ils fabriquaient des formes fidèles aux images de l’homme. Pas une seule fois ils ne se coupèrent ni se relâchèrent. Mon corps était rouge un peu partout des frottements des liens. Ils n’allaient pas jusqu’à occasionner des blessures, mais les douleurs, elles, étaient bien réelles. Lancinantes, pulsatives, elles s’étendaient sous ma peau à mon corps tout entier. À l’instant où elles se fondaient en une seule, j’étais précipitée dans les abîmes de la jouissance".

Hôtel Iris, Yôko Ogawa, Actes Sud, 2000

Qui n’a jamais joué, étant enfant, à la squaw attachée à un arbre, cernée par les indiens ? Ces instincts infantiles sont les mêmes qui nous poussent à avoir envie d’attacher ou d’être attachée lors d’un acte sexuel. Et cette pulsion porte un nom : le bondage. Le Bondage est un acte de confiance, un don particulièrement sensuel et érotique de son corps à l’autre. Si l’on peut imaginer le plaisir expérimenté, l’origine de cette pratique ainsi que ses codes ne nous est pas pour autant familier. Les bondagers occidentaux et orientaux n’obéissent pas aux mêmes règles mais sont liés par un même plaisir technique, un souci esthétique commun.

Le B du BDSM

BDSM est l’acronyme usuel de Bondage-Discipline, Domination-Soumission et Sado-Masochisme. Ce terme regroupant un ensemble de pratiques considérées comme marginales. Elles sont souvent qualifiées de « jeux d’échange et de pouvoir ». Le B pour Bondage (de l’anglais bond = lien, engagement) consiste à entraver à l’aide de liens le corps de son/sa partenaire (bras, poitrine, jambes..). Le bondage se différencie des autres pratiques BDSM, elle est la seule pratiquée dans un but érotico-esthétique. Elle est également plus fréquemment opérée sur des sujets féminins. Le bondage est l’héritier du Shibari ou Kinbaku, pratique japonaise d’origine médiévale, utilisant différents nœuds et techniques. Au XVe siècle, il est pratiqué par des spécialistes sur les prisonniers et se nomme hojo-jutsu. Le hojo-jutsu est régi par des codes spécifiques liés à l’origine des capturés. Les règles du hojo-jutsu sont les suivantes : d’abord, le prisonnier ne doit pas pouvoir se détacher. Ensuite, il doit être attaché sans que cela entraîne de dommages physiques ou mentaux. Enfin la technique avec laquelle il est attaché doit rester secrète : pas de témoin ! Quatrième règle : le ligotage doit apporter une véritable satisfaction esthétique. (1) La pratique se ritualise sous le règne Edo (1543-1867), les nœuds sont exécutés de manière à créer des points de compression parfois mortels, le ligotage devient torture. Les méthodes diffèrent selon les régions. Les policiers japonais portent toujours, aujourd’hui, un morceau de corde à la ceinture.

D/S : Domination et Soumission

Le Bondage implique qu’il y ait un dominant et un dominé. Le dominé est bien souvent la femme, par tradition. Le Bondage occidental issu du Shibari japonais est finalement la déclinaison d’une pratique essentiellement masculine, ce qui expliquerait que les sources iconographiques présentent des femmes ligotées et non des hommes. Mais devant la multiplication des maîtresses femmes, la tendance tend à s’uniformiser. Mais restons dans le schéma classique. Le dominant ressent une excitation sexuelle intense à voir sa partenaire entravée, immobilisée et lui offrant son corps. C’est un jeu cérébral qui lui indique que « tout est possible ». Et même si finalement, la relation sexuelle se déroulera comme d’habitude, ce « tout est possible » a changé la donne considérablement. Dans l’esprit de la dominée, elle est dorénavant un simple objet au service de son partenaire, livré à son bon plaisir. Elle lui offre son corps. Elle est dans l’abandon absolu et ne contrôle plus rien. Elle tire justement son plaisir de son lâcher-prise, de sa propension à se laisser faire. Avoir confiance et se laisser guider. Elle est elle-même, tout en ne l’étant plus tout à fait , car elle appartient à l’autre, au désir de l’autre. Au-delà des belles encordées très esthétisantes, le bondage peut commencer dans une chambre à coucher avec des bas, des rubans, des foulards, qui servent de liens. Les cordes peuvent venir ensuite si on prend goût à cette pratique et qu’on désire un plus grand raffinement, des nœuds plus savants,… Mais la démarche première est la même.

Sweet Gwendoline : une héroïne des plus attachantes

Sweet Gwendoline, jolie blonde naïve, apparaît pour la première fois en 1949 dans la revue bondage Wink en écho aux revues japonaises. Son créateur, John Willie (1902-1952), pornographe averti, avait appris l’art des nœuds lors de son bref passage dans la marine marchande. En 1958 l’album Sweet Gwendoline est finalement publié, il reprendra les dessins parus dans Wink de 1946 à 1949 et prolongés dans la revue Bizarre de 1949 à 1958. Gwendoline est une nouvelle Justine se retrouvant, malgré elle, entraînée dans des aventures érotico-rocambolesques. Ligotée, fouettée par une armada de brunes amazones à talons aiguilles. L’icône de la BD BDSM se présente donc sous une forme à la fois sexy et humoristique, décomplexant ainsi l’image plus sombre du bondage japonais. Eliminant l’historique lié à la torture omniprésente dans l’imagerie hojo-jutsu originelle. Il s’agit bien plus, ici, de plaisir que de souffrance.

Les suspensions

La suspension est l’une des catégories bondage les plus risquées mais aussi les plus spectaculaires. La suspension fait appel à toute la technique et le raffinement des maîtres de la corde. Cette pratique suppose un véritable pacte de confiance passé entre l’encordée et l’encordeur. Il existe trois types de suspensions : verticale, horizontale et inversée (tête en bas). Elles peuvent être partielles ou complètes. Une suspension partielle laisse au moins une jambe reposer sur le sol conservant un point d’appui. La suspension complète dépend entièrement de l’endurance du sujet et du savoir faire technique de son partenaire. La suspension crée les conditions d’une dépendance sexuelle forte à son partenaire, d’une vulnérabilité exacerbée. Il est impossible de s’échapper, les risques de chute augmentent l’excitation et la soumission est totale. Les suspensions sont souvent pratiquées dans le cadre de performances BDSM, de conventions, de foires ou de soirées thématiques fétichistes. La performance est hautement érotisante pour les spectateurs qui ressentent la vulnérabilité de la personne ainsi ligotée sous leurs yeux. La plus singulière des suspensions étant la suspension verticale, tête renversée. Le sang affluant vers le cerveau elle est aussi dangereuse et ne peut être pratiquée très longtemps.

Premier de cordée : Araki

L’iconographie bondage a été véhiculée au cœur de l’art contemporain par le biais de l’œuvre du photographe japonais, Nobuyoshi Araki, né en 1940 à Tokyo. Fortement inspiré par l’œuvre de Tanizaki ou Mishima, maîtres absolus de la tradition littéraire érotique, Araki déploie une œuvre étrange imprégnée de pudeur et de technicité pornographiée. Ses photographies sont souvent couplées à des textes proposés sur un mode auto-fictif. En 2004, Travis Klose, fasciné par le travail du photographe, réalise Arakimentari : Dans un kimono rouge, ses bras fermement liés, elle regarde l’objectif avec une expression vide. Derrière l’appareil un curieux petit bonhomme est entrain de marmonner et de prendre des photos avec cinq appareils différents, trempé et excité comme le diable. Il s’agit de Nobuyoshi Araki, le plus controversé et le plus célébré des artistes japonais du monde. (2) Un autre artiste, moins connu en occident, Denki Akechi, a fortement marqué l’histoire contemporaine du Shibari. Classé n°1 au top cinquante des nawashi (artistes de la corde), Denki Akechi est un dandy de soixante-six ans, courtisé par des dizaines d’adolescentes ne rêvant que d’une seule chose : se faire attacher par lui. Il a apporté sa participation au cyber porno I.K.U. (2003) de Shu Lea Shung, performé par la vénéneuseTokyo Rose, en concevant une vaste toile arachnoïde rose fluo parsemée de sex toys et autres godemichés. En ce qui concerne le territoire littéraire, Hana to hebi, roman écrit au début des années 70 par Oniroku Dan, auteur de romans SM japonais, est célèbre pour son adaptation cinématographique : Flower and snake, réalisée par Ishii Takashi en 2004 (éditions KubiK Vidéo). Sa diffusion en occident à largement participé à l’éclosion de vocations chez les nouveaux bondagers.

Les belles encordées : art-bondage version occident

Le bondage occidental est moins torturé plus esthétisant, relevé d’un décorum plus ostentatoire que le bondage japonais. Les représentants français phares sont notamment : Shadow (maîtresse de Shibari), Philippe Boxis et Patrick Vich. "J’ai dû voir les premières images de bondage sur lesquelles j’ai flashé il y a 30 ans et j’ai commencé à attacher des filles il y a vingt ans. Mais le déclic s’est produit plus récemment, lors de mon premier voyage au Japon... "(Présentation sur le site de Patrick Boxis). Le romancier et photographe, Romain Slocombe, auteur de La Japonaise de st John’s Wood (éditions Zulma, 2004) est lui aussi tombé sous le charme du bondage japonais. Ce roman-photo présente les destins croisés d’un vétéran du Vietnam et celui d’une étudiante éprise de bondage. "J’ai vu mes premiers films érotiques lors de mon premier voyage au Japon, en 1977. Il s’agissait de romans pornos de la Nikkatsu, Je me souviens d’un assez bon film de Tanaka (NDLR : Hakkinbon Bijin Ranbu yori : Semeru !), qui n’est jamais sorti en France : c’est une histoire en scope couleur, qui raconte la vie de Ito Seiyu, un artiste photographe et peintre obsédé par le Bondage. Ça se passe au début du siècle, et le personnage principal est un artiste qui photographie sa maîtresse dans la neige avec les chambres photographiques de l’époque". (4) Les bondagers français sont le plus souvent marqué par la pratique japonaise avant de s’y consacrer à leur tour, le choc culturel opérant énergiquement.

Le Bondage est actuellement une pratique répandue en occident, elle est d’ailleurs largement récupérée par la publicité ou le cinéma : Gradiva de Robbe-Grillet exhibait en 2007 une affiche provocante ; un close-up sur une cheville entravée par une corde de chanvre. Il existe aujourd’hui des clubs de bondage, des cours dispensés par des professionnels ou des performers célèbres de la scène BDSM.

L’art s’est emparé de cette pratique sexuelle ancestrale pour des raisons esthétisantes. Ces cordes s’incrustant dans les chairs des femmes, faisant ressortir leurs seins, leurs fesses, constituent un flash visuel incontestable et mémorable. Mais qu’en est-il du bondage privé ? Celui qu’on ne voit pas, qui se pratique entre couples légitimes ou non, dès que les portes sont fermées. Qui ne se pratique pas forcément avec de belles cordes blanches, mais avec tout lien de fortune qui est à portée de main… Immobiliser l’autre et prendre son contrôle, ou se faire immobiliser et perdre tout contrôle, est une pulsion humaine qui ne se manifeste pas forcément dans la sphère privée, mais également dans un contexte professionnel. Regardez autour de vous et demandez-vous si vous êtes dans l’un ou l’autre des cas de figure… La seule différence, c’est qu’au cours du jeu sexuel, c’est vous qui choisirez votre rôle et c’est votre propre plaisir qui s’en trouvera décuplé. C’est le moment de vérifier vos attaches…

Saskia Farber

Notes :

(1) An Illustrated Encyclopedia for Historical Studies : Constable’s tools, Yumio Nawa, 1985 (2) Entretien avec Romain Slocombe réalisé par Caroline Maufroid et Frédéric Maffre le 8 mai 2006 à la Galerie Hors Sol

Sources :

http://www.arakinobuyoshi.com/ http://www.i-k-u.com/ http://eigagogo.free.fr/Personnes/R... http://www.french-shibari.com/photo... http://www.pat-vich.com/donjon/accu...