Christophe Bier

La bible du porno

Le 21/02/2011

Acteur, journaliste, auteur, assistant de Mocky et maintenant éditeur avec la maison qu’il a créée Serious Publishing, Christophe Bier est un passionné de cinéma bis et pornographique. Avec la rigueur d’un janséniste et le soutien du CNC il travaille depuis 10 ans sur un ambitieux dictionnaire du film pornographique et érotique qui sortira en avril 2011. Son savoir sur le sujet est immense, ses positions très affirmées et son humour savoureux. Rencontre avec un cinéphile captivant soumis à la question de la place de la femme dans le porno.

Pour ce travail de Titan (notices sur 1800 films pornos et érotiques), vous vous êtes entouré d’une équipe de 20 rédacteurs dont seulement 2 femmes, est-ce si difficile de trouver des plumes féminines sur cette thématique ?

Le constat est même pire : Il y a 22 rédacteurs et 6 « guests » intervenant sur quelques films. 28 rédacteurs donc dont 2 femmes. Entrepris il y a plus de 10 ans, j’ai longtemps peiné à les trouver d’ailleurs. On pourrait en déduire hâtivement que la pornographie n’intéresse pas les femmes. Ou bien que celle-ci commence seulement maintenant à s’intéresser à elles. Donc la pornographie « ancienne » serait un domaine réservé au public masculin… L’une des deux rédactrices, Britt Nini*, écrivait en 1975 dans la revue pionnière Sex Stars System. Elle était à l’époque l’une des rares (la seule ?) femme à écrire sur les films érotiques et pornos. Elle écrivit en 1977 dans un célèbre numéro d’Art Press intitulé « Images avilissantes de la femme » un passionnant article sur la fellation. A l’époque, beaucoup de féministes attaquaient la pornographie comme étant une expression phallocentrique. Britt, elle, plus iconoclaste, intitula son article « éloge de la fellation à l’écran ». Elle voyait dans cette image classique de pornographie une alliance fascinante du génital (phallus) et du cérébral (visage de la femme). Pour elle, la femme accédait ainsi à l’écran au rang de vedette à égalité avec le pénis. Ensuite, elle fit une thèse de doctorat à la Sorbonne sur le cinéma érotique et porno. Ce lui fut reproché. Il faut certainement beaucoup de liberté d’esprit pour une femme pour s’emparer de la question pornographique afin d’en élaborer autre chose qu’un banal (et discutable) mais ô combien admissible discours pornophobe. Je n’ai pas d’autre explication précise. Je souligne aussi avoir simplement eu beaucoup de mal à trouver des rédacteurs, hommes ou femmes, comprenant les exigences de ce dictionnaire.

Qui est la deuxième audacieuse rédactrice ?

Il s’agit de Serène Delmas dont l’intérêt se portait d’abord sur le cinéma fantastique et les films d’exploitation, toute une contre-culture qui intéresse de plus en plus les jeunes femmes et qui relie le punk, le strip-tease comme les films grindhouse remis au goût du jour par Tarantino. Ainsi, Serène écrit dans la revue de cinéma probablement la plus « mauvais genre » qui soit, Brazil.

Leur regard et leurs textes diffèrent-ils de ceux de leurs confrères hommes ?

Je crois en effet déceler un regard différent, de là à le qualifier de féminin, je n’oserais pas. Serène s’est consacrée à plusieurs pornos à petit budget, méconnus, loin des stéréotypes clinquants du porno bourgeois façon Dorcel. Elle était attentive à un certain naturalisme dans l’approche sexuelle et remarquait parfois des ambiances minimalistes proches d’un cinéma Nouvelle Vague. Peut-être est-ce un aspect intimiste qui échappe à beaucoup d’hommes ? Britt a souvent une lecture politique des films et repérait toujours les films qui militaient, même de manière involontaire, pour une libération de la femme. Elle l’a perçu par exemple dans un titre assez médiocre consacré à des strip-teaseuses. Serène comme Britt ont mis en valeur des comédiennes dont la sensualité devenait synonyme de liberté. Avec elles, les soi-disantes « femmes-objets » sont plus complexes. Et le cinéma érotique et porno en est rempli.

JPEG - 37.6 ko

Comment se présente votre dictionnaire ? Quelle est la place consacrée aux films érotiques et celle consacrée aux films pornos ?

C’est un dictionnaire des œuvres alphabétiques. Tous les films de A à Z. Chaque film fait l’objet d’une notice complète : fiche technique et distribution, résumé et critique, notes éventuelles, avis de la censure (quand ils sont intéressants), date de sortie avec les salles d’exclusivité, titres alternatifs et références vidéo. Les pornos, tournés entre 1974 et 1996, il y en a bien 1200 ou 1400, je ne les ai pas comptés. Pour le cinéma érotique, c’est plus compliqué, 400 ou 600… Nous remontons aux années 20 et jusqu’aux années 60 qui virent l’éclosion d’un véritable courant érotique, c’est la subjectivité qui entre en jeu. Ce qui était érotique dans les années 30 ne l’est plus aujourd’hui. Mais puisque ce dictionnaire est historique, nous avons essayé de tenir compte de l’époque.

JPEG - 125.1 ko
Ah les belles bacchantes

Par exemple Ah les belles bacchantes avec les Branquignol et des girls dénudées, et De Funès, fut interdit aux moins de 16 ans en 1954. Aujourd’hui il passe à la TV l’après-midi. Mais il est dans le dictionnaire comme film érotique. Et puis, il y a aussi des films qui ne sont ni érotiques ni porno, mais entretiennent des liens avec l’un ou l’autre, ou avec la sexualité. Plusieurs films de femmes d’ailleurs dans cette catégorie : Simone Barbès ou la vertu de Marie-Claude Treilhou, tourné dans un cinéma porno, des films de Catherine Breillat, Baise-moi de Despentes et Coralie, Félicité de Christine Pascal.

En vous concentrant sur les films pornos tournés en pellicule 16 et 35 mm (de 75 à 96) vous n’abordez donc pas les récents films réalisés par des femmes. Trouve-t-on malgré tout des femmes réalisatrices dans votre dictionnaire ou peut-être scénaristes ?

Il me fallait absolument faire un choix. Il m’a semblé que le passage à la vidéo marquait un tournant dans l’image pornographique. Tous les films tournés en vidéo et aujourd’hui en numérique nécessiteraient un autre livre. Mais dans le 35 mm aussi, il y a eu des femmes. Peu. Je citerai une personnalité très étonnante, marginale, productrice des pornos les plus anémiques qui soient, Anne-Marie Tensi. Elle en réalisa de nombreux, sous le pseudo de « Job Blough », parmi lesquels de nombreux pornos gays car elle dirigeait aussi une des rares salles gays de Paris. C’est la seule réalisatrice du genre. Sinon, il faut souligner l’étonnant travail en couple d’un cinéaste comme Claude Pierson et de sa femme Huguette Boisvert qui était à l’écriture. Ensemble, ils ont produit d’étonnants pornos qui mériteraient d’être redécouverts, comme Esclave pour couple et Viens j’ai pas de culotte qui est une remarquable variation sur le Don Giovanni de Mozart, ni plus ni moins. Huguette Boisvert intervenait aussi beaucoup en post-production, notamment à la post-synchro, poussant souvent les comédiens à plus de crudité. Mais dans le cinéma porno, il peut aussi arriver que le réalisateur disparaisse, quand la personnalité d’une comédienne écrase tout. Certains films, sans aucun scénario, sont transcendés par une performance. A ce stade quasi expérimental, c’est la comédienne qui « réalise ». On peut l’affirmer pour Catherine Ringer, toujours époustouflante, quel que soit le réalisateur, ou encore Christine de B, vedette éblouissante de La Comtesse est une pute. C’est d’ailleurs un aspect passionnant du cinéma porno : la notion d’auteur peut s’y dissoudre et laisser le champ libre à des émotions qui défient l’analyse.

Après avoir balayé 3 décennies de production pornographique, vous avez certainement noté des évolutions marquantes concernant la représentation de la femme dans les films porno, tant sur le plan esthétique que sur le plan comportemental ?

Mince, quelle question difficile ! Je me demande d’ailleurs si j’ai assez de recul actuellement pour vraiment y répondre… Je peux au moins vous dire que par rapport à aujourd’hui, la grande force du porno des années 70/80 c’est la diversité. Celle des physiques, des âges, des caractères. Je dirais donc une représentation plus riche de la femme, donc moins caricaturale. Il n’y avait pas vraiment de « bimbos » sur talons aiguilles ou plate-forme avec des faux ongles dont on craint toujours qu’elles s’éborgnent avec. Des physiques naturels aussi. C’est le réalisme de ces femmes qui amplifiait les fantasmes.

JPEG - 60.3 ko
Marilyn Jess dans Gamines en chaleur

Aujourd’hui, les actrices semblent incarner des idées de fantasmes, pour coller aux couvertures glacées des magazines masculins. Avant, elles ne se pliaient pas à ces diktats physiques. Aujourd’hui, nous vivons l’ère du porno jeuniste, à quelques exceptions près heureusement. Donc de 1975 aux années 90, insensiblement, les femmes ont perdu de leur diversité et de leur personnalité. Conséquence, les films ont abandonné certains scénarios érotiques qu’il n’était plus possible de filmer, faute de comédiennes. Dans les pornos standards aujourd’hui, impossible de raconter une histoire d’amour avec une différence d’âge de 20 ans entre un jeune homme et une femme de 50 ans. Et en plus, je suis certain que Canal+, qui se pique de défendre l’image de la femme en imposant aux producteurs porno une sournoise auto-censure, refuserait un tel scénario. En 1975, il y avait une insouciance, la période était aux mains de pionniers, d’aventurières qui se fichaient pas mal d’être un jour interviewées sur un prime time télévisé.

Et la représentation des hommes, elle aussi, a évolué ?

Aujourd’hui, ils sont jeunes et rasés, comme les femmes. Très bien membrés aussi, il me semble. Avant, il y avait aussi plus de diversité. Cela enrichissait les scénarios.

Connaissez-vous et appréciez-vous des réalisatrices comme Erika Lust, Ovidie, Maria Beatty, Emilie Jouvet, Mia Engberg ?

A ma grande honte, je ne connais ni Emilie Jouvet ni Mia Engberg. Mais les trois autres oui. Je reconnais à Erika Lust une approche peu démonstrative, attentive au plaisir féminin, évitant les artifices classiques du porno et la surenchère pour faire émerger ce qu’elle appelle parfois du « porno maison ». Elle s’essaie au réalisme intime, à travers une pornographie simple et quotidienne. Elle fait du porno urbain, à Barcelone, et le sexe chez elle n’est pas une performance de cirque. Elle s’amuse aussi de la pornographie standard, mais elle reste prisonnière de la sacro-sainte éjaculation externe. Quelle femme osera donc un jour filmer une éjaculation interne ? Elle a aussi la sagesse de choisir le format court qui est peut-être le plus adapté en fait à la pornographie. Ovidie, je la connais bien. Figurez-vous que j’ai même joué dans son dernier film, Adultère mode d’emploi, si c’est le titre qu’elle retient. J’avais aimé l’un de ses premiers pornos, tournés pour Dorcel, Orgies en noir, hommage à une vieille série Z américaine avec des strip-teaseuses et des zombies. Et puis j’ai beaucoup apprécié Histoires de sexe(s) qu’elle a coréalisé avec Jack Tyler, autre porno du quotidien, avec un réel plaisir dans la direction d’acteur. C’est parfaitement scandaleux que ce film, qu’elle souhaitait sortir en salles, fut menacé d’un classement X. Maria Beatty, je suis fan, mais pas de tout. Les pornos fétichistes trop léchés m’ennuient très souvent. Je préfère ses tout premiers courts métrages quand elle se mettait en scène en soumise, dans des situations quasi improvisées avec des dominas. Je me souviens d’un film où elle joue une écolière récalcitrante punie par la maîtresse, c’était drôlement rigolo, car cela ne se prenait pas au sérieux, très ludique, aux antipodes du SM cérémonial et parfois pompeux, d’une gravité risible. J’ai aussi beaucoup aimé l’un de ses derniers longs métrages, Post Apocalyptic Cowgirls, confrontation lesbienne plutôt trash, dans un décor désertique post-Mad Max.

Votre dictionnaire démarre avec A bout de sexe et s’achève avec Zob, zob, zob, entre les deux on découvre quelques 1800 autres titres. Parmi eux on trouvera des titres qui pris littéralement sont plutôt misogynes, l’inverse existe-t-il ?
 

Des titres pourront choquer comme les couvertures, à mon avis férocement drôles, des Hara Kiri des seventies peuvent choquer aujourd’hui. Plus que de misogynie, ne faut-il pas plutôt parler de misanthropie ? L’inverse existe-t-il ? Des titres misandres… C’est plutôt rare. La pornographie, excepté le porno gay évidemment, met plutôt la femme en avant, et avant tout dans les titres. Nous avons un Chevauchées, pénétrées, ruisselantes, film très mauvais d’ailleurs, mais pas de Chevauchés, pénétrés, ruisselants. Ce dernier aurait d’ailleurs automatiquement été compris dans les années 80 comme un porno gay. De plus, Chevauchées, pénétrées, ruisselantes, succession d’adjectifs, simple constat, est-ce vraiment un titre misogyne ? « Salope » ou « vicieuse », souvent utilisés dans les titres pour qualifier un personnage ou un groupe de personnages féminins, expriment-ils vraiment de la misogynie ? La pornographie est obscène. Aujourd’hui à force de tout vouloir aseptiser, on finit par l’oublier. De même qu’on finit très vite par oublier que le cinéma porno est d’abord du cinéma, du fantasme. Cela dit, ce n’est pas la misogynie, supposée ou réelle, de beaucoup de pornos qui me gêne le plus, c’est le manque d’imagination ou d’audace. J’aurais trouvé assez amusant de pouvoir vous citer un titre comme Défonce-moi chérie plutôt que Défonce-moi chéri qui lui, bien sûr, existe vraiment, ou encore Monsieur Trouduc plutôt que Miss Trouduc ou encore Le précepteur a des grosses couilles plutôt que La doctoresse a des gros seins qui, au passage, est un excellent film. Mais les exploitants, c’est bien connu, n’ont guère de fantaisie.  

Même s’il y a de plus en plus de féministes pro-sexe aujourd’hui, d’autres continuent de militer contre l’image, qu’elles jugent dégradante, de la femme dans le porno. Ce discours vous agace ou vous laisse-t-il de marbre ?

Je suis consterné par les pornophobes. En fait, je devrais rester de marbre devant leur bêtise ou l’hypocrisie de leurs arguments. Néanmoins, je perçois – mais j’espère me tromper – un danger. La preuve, la menace de classement X du film d’Ovidie afin de la priver d’une sortie en salles avec une interdiction aux moins de 18 ans comme ce fut le cas pour Short bus. La preuve, le discours schizophrène de Canal+ qui considère que l’intromission d’objets dits « non sexuels » dans le vagin, et encore plus dans l’anus, avilit l’image de la femme. Il faudra m’expliquer ! Je suis surtout choqué par la malhonnêteté intellectuelle de la plupart des pornophobes. Ils parlent généralement d’une chose qu’ils ne connaissent absolument pas. Ils ne connaissent rien au cinéma porno. Tout en eux respire l’ignorance de ce cinéma. Imaginerait-on quelqu’un osant parler de western sans jamais avoir vu un film de John Ford ou de Clint Eastwood, élaborer un discours critique sans jamais citer le moindre titre ? On crierait au scandale, non ? Eh bien, c’est toujours ce qu’il se passe avec le porno. Tout le monde s’arroge le droit d’en parler en connaisseur, prouvant de manière éclatante le mépris profond qu’ils en ont. Quand on a vu un porno, on les a tous vus, pensent-ils. Je suggère sans provocation à tous ces militants anti-porno de laisser le porno tranquille et de mener des combats autrement plus sérieux pour la dignité de la femme : salaire égal avec l’homme, retraites, discrimination au travail, violences… Il semble que pour certains le spectacle de la pornographie soit plus intolérable que le constat d’une femme broyée par notre système inégalitaire. Autrement dit, on s’intéresserait plus au statut d’une femme de fiction (le personnage porno) qu’à celui d’une femme réelle (la chômeuse en fin de droit, l’employée harcelée au bureau, la femme violée, etc.). Il en va de même avec l’argument fallacieux selon lequel le cinéma porno porterait atteinte aux enfants. Que je sache, ce n’est pas fait pour eux. Les enfants me semblent exposés à des problèmes autrement plus graves pour leur développement comme le manque d’éducation, le goût pour le profit, la présence d’adultes violents, etc.

Qu’il s’agisse de films érotiques ou pornographiques, la mise en scène de prostituées femmes est assez fréquente, avez-vous déniché des histoires de gigolo ou plus largement d’homme-objet ?

Bien sûr ! Le cinéma porno aime jouer avec les stéréotypes et parfois les renverser. Cela donne d’ailleurs de bons films. Gérard Kikoïne avait réalisé un excellent Maison de plaisir qui montrait la vie au quotidien d’hommes-objets prostitués dans un bordel pour femmes. Dans Esclaves sexuelles sur catalogues, le célèbre hardeur Richard Allan, après avoir découvert que des femmes se mettaient en vente aux enchères, décidait de faire la même chose et finissait le film comme valet de chambre sexuel d’une femme qui l’avait acheté en lot avec un autre mâle. Du même réalisateur, Burd Tranbaree, il y a aussi Hommes de joie pour femmes en chaleur qui montrait comment une femme rabattait des hommes pour les placer chez une maquerelle. Celle-ci avait cette remarque en découvrant l’une de ses prises : « C’est un très bel objet que vous m’avez apporté ». Le cinéma porno français de cette période est beaucoup plus surprenant qu’on l’imagine. Et en érotisme, le thème de l’homme-objet est aussi développé, mais avouons aussi que le sujet reste parfois traité en surface.

Les non amateurs et amatrices de films pornos ont énormément de clichés sur le sujet, « c’est toujours pareil » « c’est fait que pour les mecs », « y’a pas d’histoire », « c’est tourné avec trois francs, six sous »…vous avez certainement des dizaines d’exemples pour tordre le coup à ces idées reçues. Scénarios étonnants, décors somptueux, cadrages soignés, aller épatez-nous.

Deux films en 1975 sont remarquables et ont comme point commun la mort. Des pornos d’une certaine gravité, passionnants. Mes nuits avec Alice, Pénélope, Arnold, Maud et Richard de Michel Barny reprend l’idée de La Grande Bouffe de Ferreri, mais cette fois il s’agit de femmes qui décident de se suicider par le sexe et non par la bouffe. La mise en scène est maîtrisée, attentive aux acteurs, privilégie l’onirisme, le fantastique, n’évite pas une certaine violence. Ce film va à fond dans son propos, quelque peu désespéré. Comme quoi, la pornographie n’est pas toujours de la gaudriole. Même remarque pour L’Essayeuse de Serge Korber, celui-ci même qui avait fait Sur un arbre perché avec De Funès. En fait sa carrière porno est plus passionnante et L’Essayeuse son chef-d’œuvre, filmant une quête sexuelle plutôt angoissante, avec l’image récurrente d’une vieille femme qui surgit dans une scène de sauna, au milieu d’une partouze, seulement vue par l’héroïne. Serait-ce la mort elle-même ?

JPEG - 87.6 ko
Tournage L’essayeuse

Ce dictionnaire permettra aussi d’exhumer un grand cinéaste du genre, Claude Pierson, que plusieurs rédacteurs, sans se concerter, encensent. Pierson pouvait passer d’un porno onirique au mélodrame le plus noir. Il fut quasiment le seul à mettre la figure de l’enfant au cœur de certains scénarios. Francis Leroi aussi a réalisé des films remarquables dont Les Petites Filles, porno très culotté qui donne le rôle principal à un acteur qui n’a rien d’un Apollon. Employé modeste dans un ministère, il déserte son travail pour enfin vivre pleinement le sexe, avoir toutes sortes d’aventures. Il y a souvent un fond anarchiste chez Leroi et ici c’était très net. Il fut aussi l’un des rares à s’essayer au porno en costumes avec Petites Filles au bordel situé au début du XXe siècle. Très curieusement, des pornos entiers sont construits sur l’impuissance du personnage masculin principal et cela donne des résultats étonnants comme Maléfices pornos, unique cas de porno « underground » au sens littéral du terme, car tourné dans une grotte où l’impuissant, à l’aide de son épouse en cuissardes, torturait hommes et femmes pour se redonner vigueur. C’est un porno grand guignol qui ne ressemble à aucun autre, une plongée fascinante dans l’inconscient d’un homme qui dort, une sorte de cauchemar halluciné, très peu de dialogues, beaucoup de cris et des rires, au bord de la folie. Mais attention, le scénario n’est pas la panacée. Un grand porno peut aussi s’en passer allègrement. Alain Payet ne fut jamais aussi bon que lorsqu’il se « contentait » d’enregistrer les performances sexuelles de ses comédiennes, renouant avec les premiers pas du cinéma primitif. De lui, je citerai Nadia la jouisseuse ou La Comtesse est une pute transcendée par Christine de B, d’un exhibitionnisme total, éructant face caméra, prête à dévorer le spectateur.

S’il vous plaît, pour une fois, donnez-nous des exemples de films où c’est la sensualité masculine qui est mise en avant.

Il m’est facile de répondre par quelques pornos gays. Je pense surtout au Beau Mec et à des films de Jacques Scandélari. Ou encore Et dieu créa les hommes de Jean Estienne. Exemple de porno hétéro, Change pas de main de Vecchiali nous a révélé Jean-Christophe Bouvet en 1975, d’une sensualité assez sauvage. Le rôle l’exigeait. Sinon, un cinéaste comme José Benazeraf a su parfois filmer une sensualité proche de la mythologie du mauvais garçon : Jean-Pierre Kalfon, torse nu en 1962 dans La Drogue du vice, le flamboyant et fragile Gérard Blain dans Joe Caligula en chef de gang amoureux de sa sœur. Et puis, comment ne pas citer le seul court métrage qui figure dans le dictionnaire, que j’ai décidé de mettre pour son importance et sa beauté : Un chant d’amour de Jean Genet.

JPEG - 55.5 ko
Jean-Pierre Kalfon dans La Drogue du vice

Votre dictionnaire ne sera pas illustré, en dehors des raisons économiques, y a-t-il d’autres motifs à l’origine de ce choix ?

Sans aucune illustration, l’ouvrage fait plus de 1200 pages. Je voulais un seul ouvrage. Je trouve aussi très séduisant de parler de tous ces films sans aucune illustration. Une manière radicale de renvoyer dans les filets tous ceux qui nous attaqueraient de frivolité. Certes, l’absence d’images ne garantit pas le sérieux des textes. Mais tout de même ! J’ai même renoncé à l’idée d’un ou plusieurs cahiers photos. Ce dictionnaire a vraiment été conçu pour être lu, en fait. Et j’aime assez les partis-pris radicaux comme celui-ci. Je confesse aussi une certaine provocation : offrir un travail quasi janséniste sur le cinéma érotique et porno m’amuse. S’il n’y a pas d’images, il y a les titres, en caractère gras, qui sauteront encore mieux au visage de certains. Pour peu que Serious Publishing se décide à distribuer le livre dans de grands circuits, l’absence d’images nous permettra de le vendre sans film plastique. Il pourra être feuilleté par tous, non ?

[gris]Propos recueillis par Nathalie Olivier[/gris]

Pour acheter le dictionnaire avant sa sortie et recevoir un DVD inédit et hors commerce c’est ici

Le blog de Christophe Bier c’est par là

*Britt Nini est également connue en tant que Martine Boyer. C’est sous ce nom que Plon publia en 1990 un texte remanié de sa thèse : L’Ecran de l’amour.

Commentaires (4)

  • Juno

    Epatant ce monsieur. On en ferait bien une copine.

  • Melanie

    oui c’est assez incroyable cette vie

    Melanie
    http://www.yeswetoys.com

  • Anzufassen

    Je suis consternée par son prix. Heureusement que ce sera vendu sans film plastique, j’irai le consulter à la librairie !

  • christophe B

    Le prix a été calculé au plus juste et selon évidemment le coût de fabrication. Le tirage est limité à 1500 exemplaires, vous pensez donc que cet ouvrage de plus de 1000 pages est coûteux pour l’éditeur. C’est aussi la raison pour laquelle nous avions lancés une souscription, qui a d’ailleurs bien fonctionnée, preuve que le prix proposé n’a pas trop consterné. Quant à aller le consulter en librairie, je doute que cela soit aisé : il ne sera pas diffusé dans les grands groupes de diffusion classique, mais chez une poignée de libraires indépendants et sur internet. Il faut bien avoir conscience que c’est un ouvrage indépendant et que l’indépendance coûte un peu plus cher. La seule solution pour Anzufassen sera les bibilothèques qui, je l’espère, achèteront le livre.