Peut-on être féministe avec une libido frétillante ?
Le 09/02/2018
Je suis féministe - en cela que je pense que les femmes ont autant de droits et de désirs que les hommes et qu’elles doivent pouvoir agir et s’exprimer en conséquence - et pourtant je ne me reconnais pas dans les propos des voix féministes qu’on entend à l’heure actuelle. Elles critiquent à juste titre les pulsions libidinales des hommes qui se font de force et à leurs dépends. Mais ce faisant, elles passent sous silence leur libido. Elles disent ce qu’elles ne veulent pas - elles ont bien raison - mais pourquoi ne disent-elles à aucun moment ce qu’elles veulent sexuellement ?
J’ai l’impression désagréable d’une libido toute avalée par le monde impitoyable de la consommation.
Dans les années 60 et 70, nos mères et grands-mères combattantes brûlaient leurs soutien-gorges, revendiquaient une sexualité libre et suivaient en cela les féministes anglaises du début du XXe siècle qui faisaient fi des bonnes manières et pratiquaient joyeusement le Jiu Jitsu (entrainées par Edith Garrud, l’une des premières instructrices d’arts martiaux en Europe), ou les Américaines, comme Margaret Sanger, dont la vie entière a été vouée à libérer les femmes des grossesses non désirées (du planning familial au stérilet et à la pilule, tout est passé par elle). Il me semble qu’elles dégageaient toutes une formidable énergie positive, une force et une vitalité impressionnante à vouloir s’imposer ainsi. Bref, dans l’énergie de leurs combats il me semble que l’on peut deviner une libido active, en pleine ébullition, chez de nombreuses féministes du XXe siècle.
Que s’est-il passé pour que les voix audibles du féminisme actuel laissent penser que la sexualité des femmes est, dans le meilleur des cas, d’être clitoridienne (oui, le clitoris et politique, oui il y a longtemps eu une excision psychique en Europe qu’il est juste de combattre, mais que devient le vagin dans tout ça ? C’est fromage OU Dessert ?), et dans le pire des cas un acte passif, oscillant entre la possibilité de dire oui et celle de dire non ? Il me semble que les affaires DSK et Weinstein y sont pour beaucoup. Notre société est redevenue puritaine, drivée par l’idée que les femmes étaient des victimes et les hommes des bourreaux, et qu’il fallait combattre cette violence, comme je l’ai déjà dit ailleurs. On veut nous faire croire qu’une femme qui se défendrait (réponse verbale très crue ou arts martiaux) serait une femme contrainte à se masculiniser. Mais qu’est-ce qu’une femme ? Qu’est-ce que la féminité ? Le contraire du masculin ? Vraiment ? A-t-on remplacé le devoir d’enfanter par l’enfermement dans un nouveau stéréotype de genre ?
Dois-je rappeler que les squelettes des femmes du Néolithique (environ 6/8.000 ans), avaient des corpulences supérieures à celles des femmes athlètes d’aujourd’hui*, dont on conteste parfois la féminité tant elles seraient « masculines » ?
Dois-je rappeler que les femmes qui ont accédé au pouvoir politique était des guerriers comme les autres (la reine Boudicca, qui a défendu les anglais des attaques de l’Empire Romain, Zenobia, qui a agrandi l’Empire Syrien, l’Impératrice Théodora qui a autorisé les femmes au divorce 500 ans avant JC, Rani de Jhansi qui a défendu l’Inde contre les Anglais, ou l’impératrice Cixi, qui a préparé la Chine au monde moderne ….) et que celles qui ont régné de façon exemplaire en ayant une libido débordante et publique, comme Catherine II de Russie ou Cléopâtre, n’ont été retenues que pour leur « singularité » sexuelle ?
J’en viens à me demander si les recommandations de Simone de Beauvoir de la nécessité d’une émancipation économique suivie par la gestion du désir féminin ne devraient pas être dans un ordre inversé ?
Il me semble maintenant incontestable qu’une femme qui affiche d’abord sa libido DEVIENT une femme puissante. Je cite souvent les femmes qui règnent sur la pop music. Madonna a d’abord affiché son appétit sexuel, puis elle a conquis le monde. Les rappeuses américaines ont pris le pouvoir en retournant la misogynie des rappeurs contre eux : leurs paroles plus explicites encore que celles de leurs homologues masculins ont été l’outil de leur émancipation, de leur empowerment. Khia, Foxy Brown, Lil Kim, Nicki Minaj, Tiffany Foxx, Tommy Genesis, Cardi B., Young Ma, Jungle Pussy, Gizzle, et beaucoup d’autres ont pris le pouvoir en racontant en détails leurs aventures sexuelles, donnant à leur public une nouvelle approche de leur féminité et de leur sexualité, et formant ainsi - avec des artistes pop comme Rihanna et Beyoncé - une nouvelle vague du féminisme aux États-Unis.
Les hommes ont regardé ces rappeuses différemment : elles utilisaient les mêmes codes qu’eux. Ceux d’entre eux qui étaient enfermés dans une virilité construite sur des stéréotypes usés (voitures puissantes et femmes nues) ont laissé la place à une nouvelle génération plus à l’aise avec sa part féminine, d’autres ont fait leur coming-out, ce qui semblait impossible dans un cet univers autrefois si phallocrate. Rihanna, scandant “I may be bad, but I’m perfectly good at it.” (Je suis peut-être mauvaise, mais j’excelle à cela) directement inspirée par l’actrice Mae West qui dans les années 30 disait « Quand je suis bonne, je suis très bonne, mais quand je suis mauvaise je suis meilleure » rappelle à quel point les femmes sont à l’égal des hommes lorsqu’elles qu’elles se montrent tout aussi prédatrices, toutes aussi désirantes, toutes aussi débordantes de cette énergie vitale qu’apporte l’appétit sexuel. Puissantes et libres, elles ont des comportements similaires à ceux des hommes, préférant souvent des partenaires plus jeunes qu’elles pour satisfaire leur sexualité (Madonna, Demi More, Jennifer Lopez, Mariah Carey, Tina Turner, etc, ont toutes des boyfriends nettement plus jeunes qu’elles). Elles montrent, qu’à bien des égards, nous ne sommes pas si différentes des hommes.
Si les historiens ont effacé le nombre très important de femmes qui ont contribué à changer la face du monde (scientifiques, politiques, etc.), pour ne retenir - au mieux - que leur sexualité en la raillant, c’est peut-être que c’est précisément là qu’il faut creuser si nous voulons faire avancer les choses. Si elle inquiète, c’est qu’elle est puissante.
Des historiennes américaines comme Gerda Lerner, Mary Ritter Beard et Elisabeth Fox-Genovese ont été impressionnées par le nombre de femmes soustraites de l’histoire de l’humanité. Vouloir faire la démonstration du nombre pour avoir des modèles inspirants est bien, mais cela ne suffira pas. Il faut maintenant convaincre les femmes que leur puissance passe précisément par leur sexualité. Dans les années 80 est née l’idée d’un féminisme pro-sexe, centré sur l’idée que la liberté sexuelle est un composant essentiel de la liberté des femmes. Il faut maintenant insister sur la sexualité et le pouvoir, qui sont un couple indissociable pour les femmes aussi.
On doit combattre la culture du viol, elle est inacceptable. Mais on ne peut pas, dans le même temps, taire le désir sexuel des femmes. Nous risquerions alors de renforcer l’idée si erronée de femmes désirées versus hommes désirants, le risque serait de ne jamais pouvoir pleinement nous imposer dans toutes les sphères du pouvoir (public, privé, professionnel), faute de ne pouvoir démontrer la force de nos moteurs.
La libido frétillante, voilà le moteur du féminisme que je revendique.
*Alison Macintosh, chercheuse en anthropologie à l’Université de Cambridge, Royaume-uni.