François Bégaudeau
Le 22/05/2009
Dans son dernier roman Vers la douceur publié aux Éditions Verticales, le critique, romancier, scénariste, acteur François Bégaudeau met en scène des trentenaires dans leurs histoires d’amour ou de sexe. Maladresses, préjugés, complexes semblent être le lot commun de ses personnages. Pour Second Sexe, l’écrivain révèle sa vérité d’homme derrière la fiction romanesque.
Le personnage principal de votre roman décide qu’il doit sortir avec une femme de quarante ans avant la fin de l’année. Que leur trouvez-vous aux femmes de quarante ans ?
Le narrateur du roman, Jules, prend les choses de l’amour de manière ludique et expérimentale. Il a trente-six ans, il connaît plutôt des femmes de trente ans. Il finit par se dire qu’une femme mûre connaîtra mieux son corps, sera débarrassée des enjeux narcissiques et sentimentaux qui parasitent le sexe, et qu’elle pourra donc une meilleure maîtresse. Il va tomber de haut. Parce que la femme qu’il va rencontrer, Natacha, va se révéler plus narcissique encore que toutes les jeunes femmes qu’il a croisé avant. Sauf que son narcissisme ne s’exprime pas de la même manière à quarante ans qu’à vingt ans. Elle n’appréhende le monde que sous un seul critère : est-ce qu’on m’aime ?
Mais tout le monde en est là, non ?
Oui et non. Moi aussi, je suis narcissique, j’ai le « souci de soi » dont parle Michel Foucault, j’essaie de me voir comme quelqu’un de bien. Mais je ne suis pas si obnubilé par moi que je ne puisse pas m’intéresser aux autres indépendamment de l’affection qu’ils me portent. Et je pense que la tâche principale assignée à chacun de nous, c’est de se débarrasser de sa vanité. C’est bon en général, et c’est bon pour le sexe en particulier. Dès qu’on est capable de prendre les échecs et autres pannes sexuelles avec légèreté et humilité, on prend beaucoup plus de plaisir.
Vous ne pensez pas que cette question de la vanité sexuelle est très masculine ?
Je crois que les femmes ont en effet sur ce plan là, un peu moins de travail que les hommes, qui mettent beaucoup de leur fierté dans leurs performances sexuelles. Les femmes ont une vanité sexuelle également, être une bonne maîtresse, faire naître le désir des hommes, mais il me semble que cette vanité s’exprime en général en termes plus nobles que celle des hommes.
Avez-vous des amies femmes et comment les voyez-vous ?
J’ai des amies de 45-50 ans que je trouve très apaisées, très libres, très drôles. Elles sont sorties du rôle assigné de la potiche qui rigole, elles assument leur corps tel qu’il est, et l’offrent d’autant plus volontiers qu’elles ne vivent pas les refus comme un drame. Elles se sentent beaucoup mieux sexuellement qu’à vingt ans ou même à trente ans, d’une part parce qu’elles ne mélangent pas forcément le sexe avec l’amour ou la vanité, et ensuite parce qu’elles se connaissent mieux : elles savent où est leur plaisir, elles connaissent leurs limites, ce qui leur plaît et ce qui ne leur plaît pas... Elles ont passé le stade de l’expérience. Bien sûr il n’y aucune raison de généraliser, mais c’est clair que ces femmes de plus de quarante ans complètement décomplexées sont très attirantes...
Les personnages masculins de votre roman sont tous des journalistes sportifs, des hétérosexuels "de base", pas toujours très subtils. Pour vous, l’homme moyen c’est ça ?
Oui. J’ai voulu croquer des personnages d’hommes simples. J’ai grandi dans le foot et le punk-rock, ce sont des ambiances très masculines, j’ai fait mon éducation sentimentale à la campagne, et je continue à aimer cette sociabilité masculine, parce que je la trouve inégalable pour la fête. Je m’amuse bien dans les ambiances de chambrées et les bals populaires. Mais mon goût pour les hétérosexuels "de base", comme vous dites, s’arrête là. Ce n’est pas avec eux que je parle des films, des livres ou des femmes que j’aime. Il faut apprendre à dépasser les carcans et tenter d’être un homme total : simple par moment, intellectuel et raffiné à d’autres, féminin parfois… Ce qui est terrible c’est de se laisser enfermer dans un univers et de ne jamais pouvoir en sortir.
Vos personnages féminins ont tous des empêchements majeurs à l’amour : mal dans leur peau, égocentriques, victimes…
Elles sont quand même beaucoup plus évoluées que les personnages masculins. Même si leur complexes physiques les rendent souvent inaptes au plaisir et à l’amour. Le personnage de Cathy, qui souffre d’avoir un grand nez et de grosses fesses, a intériorisé pour son malheur, un préjugé que les femmes prêtent aux hommes sur leurs préférences physiques. Certes, il y a des hommes qui pensent que les beaux corps sont uniquement ceux des mannequins, mais c’est loin d’être la majorité d’entre nous. D’ailleurs, quand le personnage de Bruce, le beau gosse de la bande, va proposer à Cathy de coucher avec lui, elle va penser qu’elle n’a pas bien compris, « puisqu’elle a un gros cul ». En abordant ce sujet dans un roman sur les sentiments et le sexe, j’ai envie tout simplement d’appeler un chat un chat, et au lieu de chercher des explications au mal-être de Cathy dans son enfance ou dans ses rapports avec son père, je préfère commencer par le fait qu’elle se trouve moche. Même si les mecs aiment plus les formes que les filles ne le croient, ce qui reste sûr c’est qu’ils aiment les belles filles, ou en tout cas, celles qui se trouvent belles, parlent, bougent, vivent et se présentent comme telles. La laideur, réelle ou ressentie, est une souffrance permanente pour beaucoup de femmes. Les êtres, hommes ou femmes d’ailleurs, qui porte leur physique comme une croix, ça m’a toujours touché, voire attiré.
Vous êtes intéressé par le phénomène ou "attiré" au sens propre du terme ?
Quand j’étais plus jeune, à l’âge où on peut draguer frénétiquement, je passais auprès de mes amis pour celui qui couchait avec des "moches". Et j’en suis très fier ! Chez moi l’érotisme passait par autre chose que la seule plastique. Ça passait, ça passe toujours, par des situations où le langage a sa place au moins autant que le physique. Par exemple : une soirée un peu ennuyeuse, puis une fille dit soudain un truc très sexuel, très provoquant, ça, ça me stimule ! Une certaine trivialité dans la séduction, une certaine frontalité du désir m’inspirent beaucoup de sympathie. Et ça aussi, c’est quelque chose que l’on trouve plus facilement chez des femmes de 40 ou 50 ans. De ce point de vue-là, l’alcool est un formidable échangeur démocratique. Parce qu’il rend désirables des filles qui ne le sont pas forcément à jeun, elles se lâchent, comme on dit, et cela met à nu ce qu’elles peuvent avoir d’excitant pour un homme comme moi.
On reproche à ce roman d’être un livre misogyne…
Je peux démontrer point par point que c’est totalement faux. Dans ce roman, les personnages féminins sont les seuls à apporter des solutions, à innover face aux problèmes relationnels. Et les hommes n’y ont pas le beau rôle. Je salue même quelque part « l’irrésistible avance prise par les femmes depuis vingt ans ». Je les ai toujours trouvé plus évoluées que les hommes. Aujourd’hui les femmes ont récupéré un grand nombre d’attributs traditionnellement masculins, tout en gardant la séduction féminine, et j’adore ça ! Le plus impressionnant, c’est l’émergence de la drôlerie dans l’arsenal de la féminité. C’est ce que j’ai essayé de dire dans mon livre sur Florence Aubenas (Fin de l’Histoire, Éditions Verticales). La question reste posée : une femme drôle peut-elle être excitante ? J’ai une amie très jolie et très drôle qui, à l’usage, trouve que son humour la dessert avec la plupart des hommes...
Quelle est « la douceur » vers laquelle le titre de votre roman nous propose d’aller ?
C’est le passage de relations sentimentales heurtées, conflictuelles, douloureuses, à des rapports plus tendres, plus apaisés. En gros, il s’agit de passer de l’affrontement entre les sexes à l’amour. Les narcissismes se calment, et les sexes trouvent un ajustement. Et dans le roman, ce sont généralement des femmes qui apportent les solutions. Le personnage de Jules, qui est un peu mon double, disparaît du livre à ce moment-là, parce que lui est incapable de cette douceur. Pour lui, il n’y aura jamais de paix.
Et où en êtes-vous personnellement de ce chemin "vers la douceur" ?
C’est vrai que dans ma vie, j’aimerais bien arriver à cette douceur, mais je n’y suis pas encore. Et ça ne va pas être facile. Lorsque Jules, le narrateur de mon roman, voit que son histoire avec Jeanne pourrait devenir sérieuse, se dit : « Ouh la la, il va y avoir de l’amour. L’amour, c’est quatre nuits par semaine, est-ce que je vais avoir du temps dans les mois qui viennent ? » Dans le roman c’est comique, mais c’est le genre de pensée qui me vient parfois. Et pas pour rire ! À chaque rupture amoureuse, même si je ressens de la douleur, j’ai aussi l’impression de recevoir un lot de temps supplémentaire. J’ai un rapport au temps très frénétique, et il faudra que je me calme pour pouvoir me disposer à la temporalité de l’amour, qui est différente de celle de la vie intellectuelle.
Mais selon vous, il est impossible de conjuguer les deux ?
Si bien sûr, je l’espère, mais il faut aussi trouver la femme qui peut partager ma vision de la relation. Une relation à inventer. Par exemple je ne suis absolument pas disposé à accorder l’exclusivité sexuelle à une femme, et je ne demanderai pas à une femme l’exclusivité sexuelle. Mon premier roman (Jouer juste, Éditions verticales) parlait de ça. Le narrateur proposait un programme anti-jalousie à son amie, qui reposait sur le consentement aux aventures sexuelles de l’autre. C’était le seul moyen d’échapper à la jalousie. Dans le roman ça ne marchait pas du tout, mais dans la vie j’y tiens toujours. On n’est pas obligé d’utiliser la liberté qu’on s’accorde. Et bien sûr il ne faut pas raconter à l’autre ses escapades. Mais l’exclusivité sexuelle, non, vraiment, je ne pourrai pas.
Et vivre avec une femme ?
La cohabitation, c’est autre chose. Je crois que ça peut apaiser les rapports. Si tu n’habites pas avec ton amie, chaque fois que tu la vois il faut que créer du plein. Si on va au restaurant et qu’on n’a pas beaucoup parlé, en sortant c’est « on n’a rien à se dire ». Ça me rend nerveux. Ce que j’ai aimé quand je suis parti en week-end ou en vacances avec une fille, c’est qu’on n’est pas obligé de se parler, on vit côte à côte, on s’effleure. J’ai 38 ans et je n’ai jamais vécu avec une femme. Je n’ai jamais essayé. Mon appartement est un genre de laboratoire conçu pour un célibataire. Et j’ai besoin de mon espace de travail. Quand j’avais 16 ans, je n’écrivais pas encore, mais déjà je pensais qu’il y avait toujours mieux à faire que d’aller voir les filles. Il y a dans Voyage au bout de la nuit deux pages qui à mon avis disent très bien l’empêchement majeur de beaucoup d’hommes dans leur vie amoureuse : Bardamu rencontre à New-York une femme qui lui convient parfaitement, Molly : il est amoureux d’elle, elle est amoureuse de lui, physiquement elle est tout ce qui lui plaît, et pourtant il la quitte. Pourquoi ? Parce qu’il a autre chose à faire ailleurs. Il ne sait pas quoi, mais il est sûr que c’est ailleurs que ça se passe. Et pourtant Bardamu n’est pas un artiste, il n’écrit pas, c’est un petit médecin. Pour moi, « la douceur », c’est le moment où l’homme, face à une femme tendre, aimante et qui lui plaît, arrête de se dire qu’il y a « autre chose » ailleurs...
[gris]Propos recueillis par Gilles Verdiani[/gris]
Commentaires (3)
Elles doivent être vachement contentes ses ex de lire des trucs du style "je passais auprès de mes amis pour celui qui couchait avec des "moches". Quel gentleman !
C’est curieux, j’ai cru lire quelque part que Begaudeau était gay...
Néanmoins, le personnage, un poil agaçant, est très intéressant mais je ne sais pas si je lirai son livre.
J’aime bcq ce qu’il dit sur la disponibilité temporelle des hommes, je crois bcq à ça, je l’ai vécu plusieurs fois..
COppCw That’s the best aneswr of all time ! JMHO