Claire Castillon
Hommes, Femmes… rapports (in)humainsLe 29/10/2010
Avec « Les bulles », une fois encore, Claire Castillon nous bouscule et nous pousse devant le miroir. Celui qui met à nu et renvoie l’image de soi qu’on aime le moins. Trente-huit portraits pour se re-connaître. C’est effrayant et implacable, fascinant et nécessaire. Dans la tête d’un homme, dans la tête d’une femme, mari salace ou bourgeoise narcissique, sa relation à l’autre est sanguinaire, toujours dévoilée par son écriture magistrale. Ou comment prendre ses fantasmes pour des réalités.
Avec ce livre, vous nous entraînez dans la bulle de chacun de vos personnages où… l’on finit par avoir un relent de la sienne, dans ce qu’elle a de plus inavouable. Qu’avons-nous tous à cacher ?
Nous cachons ce que nous voulons montrer, quand même. L’exercice impudique que nous nous imposons souvent, est de couvrir nos zones bizarres, de les masquer, et nous les rendons alors tellement flagrantes qu’elles en deviennent émouvantes. J’aime photographier avec des mots les moments que les gens préféreraient oublier en disparaissant sous un tapis.
Dans « Insecte », vous disséquiez les rapports mère/fille. Dans « Bulles » vous disséquez les rapports homme/femme. Pourquoi semblent-ils gagner davantage votre complaisance ?
Je ne pense pas qu’on puisse parler de complaisance. L’œil que je pose sur les gens, qu’ils soient mère, fils, ou amant, est le même. C’est le mien, en tant qu’être vivant et en tant qu’écrivain. Je ne saurais pas être complaisante. Je n’ai pas pitié des êtres et encore moins des personnages. Je les regarde, je les traverse, je décris le voyage en eux comme il se déroule.
Dorothée, Xavière, Nancy, Élisabeth, Laurent, Hugues, les chapitres de votre livre s’égrènent comme les saints du calendrier. Pourtant, vos personnages ne sont-ils pas tous diaboliques ?
Il y a aussi Sharla ! Lombric ! ceux-là n’ont pas de fête, c’est sûr ! Diaboliques ? Non ! Ou bien autant qu’on peut le devenir quand on est pris dans la petite musique de sa tête, le temps d’une angoisse, d’une jalousie, d’une mesquinerie, d’un péril.
Votre personnage Dorothée est trop pieuse pour succomber à une relation physique, l’appel de la chaire l’éloigne des plaisirs de la chair. On aurait imaginé Claire Castillon trouver une certaine jouissance à écrire le contraire …
Dorothée n’est pas pieuse, elle est frigide. Bloquée dans sa détestation pour le corps de l’homme, elle veut pourtant paraître, se marier, devenir socialement la femme de quelqu’un. Mais à l’approche de sa nuit de noces, elle se tisse tout un tas de principes, ne sachant comment calmer les ardeurs de son homme. Le régal d’écriture, là, c’était d’imaginer ce que cette femme allait encore inventer pour éviter d’avoir affaire au loup.
Quentin refuse l’« Ensemble » en amour. Est-ce la définition de l’égoïsme ou de l’altruisme ?
Du snobisme ! Entendez certains couples aujourd’hui vous dire « On est ensemble, mais séparément, on est amoureux, mais pas fusionnels, on a deux vies plus une, etc… », tout un tas de conneries pour se fabriquer des armes, des murailles. Ce qui se joue là, c’est la question de la liberté. On croit que couple et liberté n’ont pas d’affinités, mais si, évidemment. Pour moi, c’est la définition même du couple. Aimer par choix, par liberté. Dans le monde entier, je choisis lui et personne d’autre. Parce que j’en ai envie. Pas parce qu’il le faut.
L’amant de Marcelle, qui reste en retrait de la vie (et de l’avis) de sa maîtresse, lui dit cette phrase : « Assume ce que tu es, sans vérifier auprès de moi ce que j’en pense ». Franchise ou méchanceté ? Cette phrase aurait-elle un sens différent dans la bouche d’une femme ?
Je pense qu’une femme pourrait le dire. Dans cette nouvelle, le personnage de l’homme est macho, sûr de lui, imbécile. On entend que sa femme plutôt soumise aimerait parfois quelques encouragements, compliments, mais lui garde ce ton de l’homme insupportable, « ma femme, elle n’était rien, c’est moi qui l’ai faite ! » Une femme, aujourd’hui, a aussi ce pouvoir de castrer l’homme. Elle se fait craindre sur des sujets pourris parfois. J’ai par exemple entendu un homme me confesser qu’il achetait désormais, contre son goût, du chocolat avec des fèves parce que sa femme lui avait dit qu’il était plouc d’aimer le Galak !!! Ça vole haut parfois, je vous jure !
Faut-il vraiment choisir avec quel homme on veut passer son temps (et sa vie) ou mener de front mari et amants comme votre personnage avec Lawrence, Sven et Jean-Pierre ?
La question du choix se pose dans une société monogame. Il faut vivre, aimer, aller vers ce qui nous attire. Ce qui abîme, ce sont les mensonges, les agressions. L’élan amoureux, l’élan charnel, l’élan en général n’est pas un devoir. C’est tout le contraire. Le devoir est dans l’attitude, dans les égards, dans la délicatesse.
Rien du travers humain ne vous échappe. Ça n’est pas difficile pour tomber amoureuse ?
Non !
Est-ce culpabilisant de mettre l’Autre à nu ?
Pas du tout. La culpabilité est un sentiment auquel je n’ai pas accès. Je le trouve grand comme une petite excuse. Je trouve qu’il décharge de la dignité, de l’engagement, du devoir. C’est trop facile. La culpabilité est une machine à broyer. Elle ne répare rien. C’est l’action qui répare, l’action et l’honnêteté. Porter son lourd fardeau noir, c’est seulement narcissique.
Selon vous, qui est capable de la plus grande cruauté, l’homme ou la femme ?
Je ne sais pas trop. Chez les hommes, on a pu croiser de grands pervers narcissiques quand même ! Les femmes savent-elles davantage où appuyer pour faire mal, c’est ce qu’on dit… Mais dans les On dit, il n’y a pas assez de On vit.
Vous maniez les mots avec une précision chirurgicale. Lesquels supportez-vous le moins pour nommer le sexe ?
Bite et chatte.
Où trouvez-vous le plus de plaisir : à parler de chair ou de sentiments ?
A photographier le moment où les personnages sont en équilibre, soit dans leur chair, soit dans leurs sentiments. Ce qui me plaît, c’est d’imaginer ce que cache un grand sourire par exemple ou de saisir le contenu des secondes mortes.
Le porno vous semble-t-il un sujet que les femmes devraient prendre à bras le corps ?
Que met-on dans le porno ? Le porno en tant que sujet, ça me déprime. On dirait qu’on a trouvé la poule aux œufs d’or ! Le sexe, d’accord. Quand on a une histoire à raconter dessus. Mais la femme porte-parole du cul, elle l’a toujours été finalement. Regardez ce qui se passe dans les lits !
Qu’est ce qui vous coûterait le plus dans un Sex-Shop ?
La balade est ennuyeuse, pas drôle. Ça devrait être amusant, ludique, mais c’est vraiment sinistre. Et pas du tout excitant. Les badines ressemblent à des tapettes à mouches et les menottes en fourrure rose, au secours !
Quels sont les meilleurs outils ou atouts de transmission entre une mère et sa fille au sujet de la sexualité ?
Personnellement, on ne m’a parlé que sida, maladies vénériennes et contraception ! En même temps, je trouve qu’à part parler d’amour, une mère doit rester à sa place et ne jamais se permettre d’allusions au sexe, au plaisir sexuel, aux pratiques sexuelles, ou pire à ses goûts personnels. Chacun chez soi et les vaches seront bien gardées. Mais quand même, trop de mises en garde sont un peu tristes parfois. Quand une fille dit à sa mère : « Maman, je suis amoureuse ! », elle aimerait entendre autre chose que : « Tu mets des préservatifs au moins ? »
Au fond, le sexe est-il un sujet de famille ?
Oh non, surtout pas ! Un sujet personnel, une nécessité dans le couple, un voyage d’amour, une conversation avec son homme, mais au sein de la famille, je prône la pudeur.
Chaque fille fantasme-t-elle sa mère ou chaque mère fantasme-t-elle sa fille ?
Aucune idée (pardon…)
Que préférez-vous lire : « Claire Castillon, une fille qui… » ou « Claire Castillon, une femme qui… » ?
Tant que je ne lis pas « une chose qui », tout me va !
Qu’est ce qu’une femme peut faire de pire à un homme ? Et vice versa ?
Ne jamais montrer son mal-être dans le couple pour un jour l’avouer comme un état qui dure depuis des mois, des années. L’homme est très déstabilisé quand il croit que tout va bien et qu’une femme lui annonce que non. L’homme, lui, peut être systématiquement prévisible : mine de rien, la femme a besoin d’un peu de rugosité. C’est dans sa crainte qu’elle puise son désir fou. L’homme-chien, ça l’assèche.
Sa sexualité dit-elle tout de quelqu’un ?
La sexualité est mouvante, on ne pratique pas la même avec les uns et avec les autres. Elle dit beaucoup d’une rencontre, elle ne dit pas grand chose d’une solitude.
Qu’est ce qui vous paraît le plus fascinant à observer dans une relation entre un homme et une femme ?
L’amour qui monte et puis l’amour qui redescend. La lutte acharnée une fois que c’est en bas, une fois que c’est trop tard. Au lieu d’aimer pendant, certains analysent après des tas de choses. Ils découvrent alors qu’ils ont aimé l’image de ce qu’ils percevaient d’eux. Quand on aime, on quitte les images, on donne et puis voilà.
Où se trouve la vraie perversion, dans la chair ou dans les sentiments ?
Dans les êtres. Certains êtres. Elle pourra alors s’appliquer partout, tout le temps. La chair n’est pas perverse, elle tâte des expériences si elle en a envie. Le mental est pervers quelquefois. Mais heureusement pas chez tout le monde !
Duquel de ces adjectifs vous sentez-vous la plus proche : cynique, audacieuse ou impudente ?
Cynique. Mais pas à tout prix.
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Propos recueillis pas Adèle Santoni[/gris]
Les bulles de Claire Castillon, éditions Fayard (2010)
© Kate Barry
Commentaires (4)
J’aime ce franc parler, ce cynisme léger, ce vitriol sucré...
Claire Castillon est souvent présentée par le biais de ces anciens amants people, cela fait du bien de ne pas en entendre parler et de laisser la parole à l’écrivain.
pointue, précise, honnête, on a vraiment l’impression d’être face a une Claire Castillon sans fards et sans concessions. une leçon.
merci !!!
Merci pour cette belle interview d’une de mes auteures contemporaines préférées. Pour moi, Claire Castillon incarne LA femme moderne, libre, mûre, incisive, pour qui écrire est avant tout synonyme de plaisir. Plaisir communicatif côté lectrice !